La révolution partielle

Non seule­ment, donc, la révo­lu­tion ne répond pas à la néces­sité pour les femmes de men­er une exis­tence libre, mais le « sujet his­torique » (la classe) est tra­ver­sé par la con­tra­dic­tion, par le con­flit entre les sex­es

1 « C’est à par­tir de l’autonomie du mou­ve­ment des femmes, de cette con­tra­dic­tion spé­ci­fique qui nous touche en tant que femmes, que l’on peut retrou­ver aus­si un mode nou­veau de con­sid­ér­er l’économie. Je ne sup­porte plus de lire des comptes-ren­dus de luttes ouvrières où l’on ne tient pas compte en pro­fondeur de ce qu’est le corps de l’ouvrier, de sa sex­u­al­ité, de tous les phan­tasmes qui l’agitent au moment même où il lutte, de son rap­port aux autres ouvri­ers, etc. Même l’analyse de l’exploitation économique s’est défor­mée parce qu’elle s’est juste­ment établie sur la néga­tion des autres con­tra­dic­tions matérielles. […] La lutte des femmes est par­tielle et n’exclut pas les luttes ouvrières, on peut dire qu’elle les tra­verse et les trans­forme en tant que dis­cours sur le corps et le quo­ti­di­en. », Lea Melandri, « La vio­lence invis­i­ble : con­ver­sa­tion avec des femmes de Padoue, 1975 », L’infamie orig­i­naire, Pour en finir avec le Cœur et la Poli­tique, éd. Des Femmes, 1979

. Le machisme et l’autoritarisme patri­ar­cal sont les deux prin­ci­pales cibles des textes du DEMAU, un groupe né à Milan à la fin des années 1960.

Il s’agit à présent, de devenir l’un des deux sex­es, de sor­tir de cette sub­or­di­na­tion sécu­laire qui s’est répliquée dans le mou­ve­ment ouvri­er et dans le mou­ve­ment étu­di­ant. Les femmes décou­vrent qu’elles y par­ticipent dans un silence soumis. Elles ne pren­nent pas la parole dans les assem­blées ; elles n’écrivent pas les tracts, mais elles se lèvent à six heures du matin pour aller les dis­tribuer devant les usines (à la pre­mière équipe) et devant les écoles. Elles sont en quelque sorte les « gril­lons de la ronéo ». On n’est pas très loin des « gril­lons du foy­er

2 « Depuis 1967, je suis sur le soi-dis­ant front de lutte – protes­tait une femme dans une des pre­mières assem­blées fémin­istes – j’ai lut­té en dis­tribuant des tracts, en faisant des piquets de grève pour les ouvri­ers à 4 heures du matin, j’ai occupé pour les étu­di­ants… Main­tenant j’en ai marre ! Pen­dant toutes ces années, j’ai lut­té pour tout le monde sauf pour moi, et ma sit­u­a­tion a plutôt empiré, et celle de la classe aus­si », « Il per­son­ale è politi­co », Quaderni di lot­ta fem­i­nista, n° 2, éd. Musoli­ni, 1973

».

Aus­si déci­dent-elles de gag­n­er en autonomie en se soustrayant au regard mas­culin, et en met­tant en ques­tion l’image d’elles-mêmes que l’homme leur ren­voie – y com­pris parce que beau­coup de femmes sont con­va­in­cues qu’elle est juste. Il faut se sépar­er. Le séparatisme devient la pre­mière forme poli­tique de ce mou­ve­ment : les hommes hors des assem­blées et des réu­nions. On se retrou­ve dans les maisons, unique­ment entre femmes. Une fois, deux fois par semaine. ­Naturelle­ment, les femmes s’étaient tou­jours ren­con­trées, mais jusque-là, elles avaient plutôt « prof­ité » de l’absence des hommes pour récupér­er cet espace autorisé de socia­bil­ité.

À présent, les hommes sont explicite­ment – et par­fois douloureuse­ment – exclus. Il arrive que cer­tains (dans les écoles) for­cent la porte. Soudain, ils s’intéressent à ce que dis­ent les femmes. Les con­flits se mul­ti­plient dans la sphère privée, au point de provo­quer régulière­ment des rup­tures, ou tout au moins une exi­gence de redéf­i­ni­tion de ce qui avait été jusqu’alors l’équilibre – asymétrique – du cou­ple.

Chercher l’identité d’un sexe, le sien, par une patiente archéolo­gie de la mémoire ; par une atten­tion aux pro­duc­tions (lit­téra­ture, ciné­ma, poésie de femmes) ; par une néga­tion aus­si dure qu’une autre (« Moi je ne suis pas comme vous ») pour démon­tr­er l’altérité du sexe mas­culin. Étudi­er les raisons de la sécu­laire sub­or­di­na­tion fémi­nine ; celles de la com­plic­ité ; inven­ter une phénoménolo­gie qui aurait pour cen­tre la vie quo­ti­di­enne, dévoil­er la face intéri­or­isée de la vio­lence, la déval­ori­sa­tion, la rival­ité et/ou la com­plic­ité entre les femmes, telle fut l’opération. Et la phénoménolo­gie clas­sique, on lui crache dessus.

dans ce chapitre« Il y a deux sex­esL’autoconscience »
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    « C’est à par­tir de l’autonomie du mou­ve­ment des femmes, de cette con­tra­dic­tion spé­ci­fique qui nous touche en tant que femmes, que l’on peut retrou­ver aus­si un mode nou­veau de con­sid­ér­er l’économie. Je ne sup­porte plus de lire des comptes-ren­dus de luttes ouvrières où l’on ne tient pas compte en pro­fondeur de ce qu’est le corps de l’ouvrier, de sa sex­u­al­ité, de tous les phan­tasmes qui l’agitent au moment même où il lutte, de son rap­port aux autres ouvri­ers, etc. Même l’analyse de l’exploitation économique s’est défor­mée parce qu’elle s’est juste­ment établie sur la néga­tion des autres con­tra­dic­tions matérielles. […] La lutte des femmes est par­tielle et n’exclut pas les luttes ouvrières, on peut dire qu’elle les tra­verse et les trans­forme en tant que dis­cours sur le corps et le quo­ti­di­en. », Lea Melandri, « La vio­lence invis­i­ble : con­ver­sa­tion avec des femmes de Padoue, 1975 », L’infamie orig­i­naire, Pour en finir avec le Cœur et la Poli­tique, éd. Des Femmes, 1979
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    « Depuis 1967, je suis sur le soi-dis­ant front de lutte – protes­tait une femme dans une des pre­mières assem­blées fémin­istes – j’ai lut­té en dis­tribuant des tracts, en faisant des piquets de grève pour les ouvri­ers à 4 heures du matin, j’ai occupé pour les étu­di­ants… Main­tenant j’en ai marre ! Pen­dant toutes ces années, j’ai lut­té pour tout le monde sauf pour moi, et ma sit­u­a­tion a plutôt empiré, et celle de la classe aus­si », « Il per­son­ale è politi­co », Quaderni di lot­ta fem­i­nista, n° 2, éd. Musoli­ni, 1973