Don Milani: Lettre à une maîtresse d’école

C’est dans un con­texte social chargé, qui dit son aspi­ra­tion à la démoc­ra­tie et à des change­ments pro­fonds, que paraît en 1966 la Let­tre à une maîtresse d’école

1 Don Milani, Let­tera a una pro­fes­sores­sa, Libre­ria editrice fiorenti­na, 1966. Tr. fr. Let­tre à une maîtresse d’école, Mer­cure de France, 1968. Nous repro­duisons ci-dessous la tra­duc­tion et les notes de Michel Thur­lotte [MT]

. C’est un extra­or­di­naire petit prêtre qui l’a écrite, avec les gamins de sa paroisse à Bar­bi­ana del Mugel­lo, un petit vil­lage très pau­vre de l’Apennin toscan. Il s’agit d’un acte d’accusation très dur con­tre l’institution sco­laire, con­tre l’insensibilité des enseignants, con­tre l’abstraction et les fal­si­fi­ca­tions du « savoir des patrons ». En util­isant de manière ingénieuse et créa­tive les annu­aires de l’ISTAT2 Isti­tu­to Nazionale di Sta­tis­ti­co, équiv­a­lent ital­ien de l’INSEE. [NdMT], il mon­tre les réal­ités et les mécan­ismes de la sélec­tion sco­laire qui favorise les « Pieri­no » (les enfants des patrons) et exclut les enfants des pro­lé­taires. Ce qui est en cause, ce n’est pas seule­ment le fonc­tion­nement de l’institution sco­laire, ce sont aus­si les con­tenus de l’enseignement (les « Pieri­no » les absorbent en famille depuis tout petit) et l’usage même de la langue, qui est en soi éli­taire et clas­siste.

Écrite dans un ital­ien à la fois sim­ple et riche, la Let­tre à une maîtresse d’école est éditée par une petite mai­son d’édition flo­ren­tine. En 1972, il s’en est pour­tant déjà ven­du un mil­lion d’exemplaires. Elle devien­dra très vite pour les étu­di­ants et les enseignants une base de l’engagement et de la prise de con­science, et par­ticipera à la réflex­ion des intel­lectuels sur leur pro­pre fonc­tion. Elvio Fachinel­li la qual­i­fiera dans les Quaderni pia­cen­ti­ni de « livre chi­nois » (pour soulign­er son impact révo­lu­tion­naire) et Fran­co For­ti­ni déclar­era qu’il se sent lui-même « un Pieri­no

3 Voir « Tre inter­ven­ti sul libro di Don Milani : Elvio Fachinel­li, Fran­co For­ti­ni, Gio­van­ni Giu­di­ci », Quaderni pia­cen­ti­ni n° 31, 1967. Elvio Fachinel­li (1928–1989), psy­ch­an­a­lyste, lecteur de Lacan et tra­duc­teur en 1966 de L’interprétation des rêves de Freud, a fondé en 1971 la revue L’Erba voglio. La même année, il pub­lie chez Ein­au­di, avec Luisa Muraro et Giuseppe Sar­tori, un livre homonyme qui est une cri­tique acerbe du sys­tème sco­laire ital­ien. Dans la foulée de 68, il par­ticipe avec un groupe d’étudiants à la mise en place d’une crèche alter­na­tive à Milan, l’Asilo auto­gesti­to e anti­au­tori­tario di Por­ta Tici­nese. Le texte d’Elvio Fachinel­li sur Don Milani a été repub­lié dans Elvio Fachinel­li, Intorno al ‘68, un’antologia di testi, Mas­sari, 1998. Sur Fran­co For­ti­ni, voir note 55 de ce chapitre (p. 205)

».

Mais l’action de Don Milani ne se lim­ite pas au champ de l’école, elle touche égale­ment à d’autres insti­tu­tions, comme l’armée (en faveur de l’objection de con­science), et jusqu’à l’Église elle-même, avec son sec­ond livre: L’obéissance n’est plus une ver­tu

4 Don Milani, L’obbedienza non è più una virtù, Libre­ria editrice fiorenti­na, 1967. Tr. fr. L’Obéissance n’est plus une ver­tu, doc­u­ments du procès de Don Loren­zo Milani, Le champ du pos­si­ble, 1974.

. Ce titre devient même un slo­gan, qui sera repris sous dif­férentes formes, tant il s’inscrit dans le proces­sus plus général de refus de la « représen­ta­tion » et de l’« autorité ». Les expéri­ences de Don Milani influ­enceront large­ment, sur le plan cul­turel et poli­tique, le monde catholique (mais pas seule­ment). Elles don­neront matière à l’action des « prêtres ouvri­ers », qui choi­sis­sent d’aller tra­vailler en usine aux côtés des exploités et d’habiter dans les quartiers dégradés (comme celui de l’Isolotto à Flo­rence) pour vivre l’« Église des pau­vres », en rup­ture avec les fastes du « pou­voir tem­porel » des évêques et du Pape. Ils auront aus­si un effet durable sur la longue marche vers la gauche des ACLI (les asso­ci­a­tions chré­ti­ennes des tra­vailleurs ital­iens) jusqu’à la scis­sion, con­duite au début des années 1970 par leur secré­taire Liv­io Labor5 Les ACLI (Asso­ci­azioni cris­tiane dei lavo­ra­tori ital­iani) ont été créées à la fin de la guerre pour pro­mou­voir la for­ma­tion et l’éducation des tra­vailleurs dans le sens de la doc­trine sociale chré­ti­enne. Leur vice-prési­dent, Dino Penaz­za­to, futur député de la DC, déclare en 1952 que les ACLI « sont une part essen­tielle et con­sti­tu­tive du mou­ve­ment ouvri­er ». Dans les années 1950, s’affirme une ten­dance ouverte­ment favor­able à l’indépendance entre les mis­sions (cul­turelles, syn­di­cales) de l’association et l’action de gou­verne­ment de la Démoc­ra­tie chré­ti­enne. Mal­gré les rap­pels à l’ordre de la Con­férence épis­co­pale, Liv­io Labor, son prési­dent de 1961 à 1969, pour­suit ce « virage à gauche », avant de rejoin­dre le PSI. Son suc­cesseur Emilio Gabaglio, définis­sait les ori­en­ta­tions qu’il entendait dévelop­per comme « un choix fer­me­ment ant­i­cap­i­tal­iste, la néces­sité d’approfondir la recherche d’un autre futur pour l’homme, sans exclure l’hypothèse authen­tique­ment social­iste ». Et même si Don Milani est réduit au silence par ­l’autorité épis­co­pale

6 En 1954, la Curie de Flo­rence décide d’éloigner Don Milani de l’école pop­u­laire ouvrière de Calan­zano et de le nom­mer dans la loin­taine com­mune de Bar­bi­ana. En 1957, il pub­lie Espe­rien­ze pas­torali avec l’approbation du diocèse, mais l’année suiv­ante, l’Église demande que l’œuvre de Don Milani (celle d’un « fou échap­pé de l’asile » selon les mots de Jean XXIII) soit pro­hibée. Le Saint-Office en inter­dit la repub­li­ca­tion et la tra­duc­tion. En 1965, Don Milani répond publique­ment aux aumôniers mil­i­taires toscans démo­bil­isés qui définis­saient l’objection de con­science comme une lâcheté, et sera pour cela attaqué en jus­tice pour inci­ta­tion à la déser­tion et out­rage aux forces armées. Relaxé en pre­mière instance, il meurt le 26 juin 1967 avant que soit pronon­cé le délibéré de son procès en appel

, la dif­fu­sion de son œuvre ne cesse ni par­mi les jeunes ni dans l’aire de ce qui va devenir les groupes extra­parlemen­taires.

Le nou­veau sec­ondaire.

Nous avons lu la loi et les pro­grammes du nou­v­el enseigne­ment sec­ondaire.

Presque tout ce qui y est écrit ne nous paraît pas mal. Et puis il y a le fait que le nou­veau sec­ondaire existe, qu’il est le même pour tout le monde, qu’il est oblig­a­toire, qu’il a déplu à la droite. C’est un fait posi­tif.

Ce qui fait de la peine c’est de savoir qu’il est entre vos mains. Est-ce que vous lui redonnerez le même esprit de classe qu’au précé­dent?

C’est surtout dans son horaire et dans son cal­en­dri­er7 Demi-journée, qua­tre mois de vacances. [NdMT] que l’ancien sec­ondaire mon­trait qu’il était un instru­ment de classe. Le nou­veau ne les a pas changés. L’école reste faite à la mesure des rich­es. De ceux qui ont la cul­ture à la mai­son et ne vont à l’école que pour récolter des diplômes.

Il y a pour­tant une lueur d’espoir à l’article trois. Il est prévu une étude d’au moins dix heures par semaine. Aus­sitôt après, le même arti­cle vous offre une échap­pa­toire pour ne rien faire du tout: le pro­jet ne sera réal­isé « qu’après qu’on se soit assuré des pos­si­bil­ités locales ». Tout dépend donc de vous.

Désar­més

[Con­tre la sélec­tion] les par­ents les plus pau­vres, eux ne font rien. Ils ne soupçon­nent même pas que ces choses-là exis­tent. Ils s’émeuvent facile­ment. De leur temps, à la cam­pagne, il n’y avait que l’école pri­maire et elle ne durait que trois ans.

Si les choses ne vont pas, c’est que leur garçon n’est pas doué pour les études. « C’est le Pro­fesseur qui l’a dit. Il est bien poli, cet homme. Il m’a fait asseoir. Il m’a mon­tré son car­net de notes. Un devoir tout plein de ratures bleues8 En Ital­ie, les cor­rec­tions à l’encre rouge indiquent les fautes moins graves (faux sens), celles à l’encre bleue les plus graves (con­tre­sens par ex.). [NdMT]. Notre gosse, qu’est-ce vous voulez, c’est pas un cerveau. Eh ben, tant pis. Il ira aux champs tout comme on y est allés. »

Les tables

Bar­bi­ana, quand j’y arrivai, n’avait pas l’air d’une école. Ni chaire, ni tableau noir, ni bancs. Rien que de grandes tables autour desquelles on fai­sait l’école et on mangeait.

Il n’y avait qu’un seul exem­plaire de chaque livre. Les gars se ser­raient autour. C’est à peine si on s’apercevait qu’il y en avait qui étaient un peu plus grands et qui enseignaient aux autres.

Le plus âgé de ces maîtres avait peut-être seize ans, le plus petit douze et il me rem­plis­sait d’admiration. Je décidai tout de suite qu’un jour je ferais moi aus­si la classe.

Pas fait pour les études

C’est Gian­car­lo qui s’est chargé des sta­tis­tiques. Il a quinze ans. C’est encore un de ces garçons du pays dont vous avez décrété qu’ils n’étaient pas faits pour les études.

Chez nous pour­tant ça colle. Tenez, ça fait qua­tre mois qu’il est plongé dans les chiffres. Et les math­é­ma­tiques non plus n’ont rien d’ingrat pour lui. […]

On lui a pro­posé de tra­vailler pour une noble cause: se sen­tir frère des 1031000 gars qui se sont fait coller en même temps que lui (recalés par l’enseignement oblig­a­toire au cours de l’année sco­laire 1963–1964) et se pay­er le plaisir de se venger, lui et eux.

Élèves-maîtres

L’année suiv­ante j’étais passé maître. C’est-à-dire que je l’étais trois demi-­journées par semaine. J’enseignais la géo­gra­phie, les math­é­ma­tiques et le français à la six­ième (pre­mière année de cours sec­ondaire).

Pour par­courir un atlas ou pour expli­quer les frac­tions on n’a pas besoin d’être licen­cié.

D’ailleurs si je me trompais on n’en fai­sait pas une mal­adie. Les gars, ça les ras­sur­ait plutôt. On s’y met­tait tous ensem­ble. Les heures pas­saient sans his­toire, sans qu’on ait peur, sans qu’on se sente gênés. Pour ça, vous ne savez pas faire la classe comme je sais moi.

Poli­tique et avarice

Et puis tout en enseignant, j’apprenais bien des choses.

Par exem­ple j’ai appris que le prob­lème des autres est pareil au mien. La poli­tique ça con­siste à s’en sor­tir tous ensem­ble, l’avarice à s’en sor­tir tout seul.

D’accord je n’étais pas encore vac­ciné con­tre l’avarice. En péri­ode d’examens, je vous assure que je les aurais bien envoyés se promen­er, les petits, j’avais bien assez à faire pour moi.

Tu ne sais pas t’exprimer

Gian­ni […] était sor­ti de votre école anal­phabète et avec la haine des livres. […]

Aux exa­m­ens il y a une maîtresse qui lui a dit: « qu’est-ce que tu vas faire à l’école libre? Tu vois bien que tu ne sais pas t’exprimer? » […]

Du reste il faudrait s’entendre sur ce que c’est qu’une langue cor­recte. Ce sont les pau­vres qui créent les langues et qui ne cessent de les renou­vel­er de fond en comble. Les rich­es les cristallisent pour pou­voir se pay­er la tête de ceux qui ne par­lent pas comme eux. Ou pour les recaler.

Vous dites que le Pieri­no du doc­teur écrit bien. Bien sûr, il par­le comme vous. Il est de la mai­son.

Mais la langue que par­le et qu’écrit Gian­ni est celle de son père. Quand Gian­ni était petit, il appelait la radio lal­la. Et son père tout sérieux: « On ne dit pas lal­la, on dit ara­dio. »

Ce sera bien si c’est pos­si­ble que Gian­ni lui aus­si apprenne à dire radio. Votre langue pour­rait lui servir. En atten­dant ce n’est pas une rai­son pour le fiche ­dehors.

« Tous les citoyens sont égaux sans dis­tinc­tion de langue. » C’est la con­sti­tu­tion qui l’a dit en pen­sant à lui. (À vrai dire les députés pen­saient aux Alle­mands du Tyrol du Sud (Haut-Adi­ge), mais sans le vouloir ils pen­sèrent aus­si à Gian­ni.)

Math­é­ma­tiques et sadisme

Le prob­lème de géométrie fai­sait penser à une sculp­ture de la Bien­nale: « Un solide est for­mé d’un hémis­phère sur­mon­té d’un cylin­dre dont la sur­face est égale aux trois sep­tièmes de la sienne. »

Il n’existe pas d’instrument pour mesur­er les sur­faces. Donc dans la vie il ne peut jamais arriv­er qu’on con­naisse une sur­face avant de con­naître les dimen­sions. Un prob­lème comme celui-là ne peut naître que dans l’esprit d’un malade.

Prêtres et putains

La maîtresse, elle, est pro­tégée par son manque de mémoire. Elle fait la mère à mi-temps. Ceux qui man­quent ont le tort de ne pas se faire voir. Il faudrait au moins une croix ou un cer­cueil sur leur banc pour les lui rap­pel­er.

Mais à leur place il y a un nou­veau. Un pau­vre petit, tout comme les autres. La maîtresse s’y est déjà attachée.

Les maîtress­es sont comme les prêtres et les putains. Elles s’amourachent au moins de deux des petits. Mais plus tard si elles les per­dent elles n’ont pas le temps de pleur­er. Le monde est une grande famille. Et il ne manque pas de petits qui ont besoin qu’on s’occupe d’eux.

C’est beau d’avoir aus­si des yeux pour voir ce qui se passe ailleurs que chez soi. Mais il faudrait encore être sûrs que vos mains n’ont servi à chas­s­er per­son­ne.

Fas­cistes en puis­sance

Pour la plu­part, les cama­rades que j’ai retrou­vés à Flo­rence [à l’école d’instituteurs] ne lisent jamais le jour­nal. Ceux qui le lisent, lisent le jour­nal des patrons. J’ai demandé à l’un d’eux s’il savait qui le finançait: « Per­son­ne. Il est indépen­dant. »

Ils ne veu­lent pas enten­dre par­ler de poli­tique. Il y en a un qui en m’entendant par­ler de syn­di­cat con­fondait avec sin­da­co [maire, en ital­ien].

Tout ce qu’ils ont enten­du dire de la grève c’est qu’elle dérange la pro­duc­tion. Ils ne se deman­dent pas si c’est vrai ou pas.

Il y en a trois qui sont fas­cistes et ne s’en cachent pas. Vingt-huit apoli­tiques et trois fas­cistes cela fait 31 fas­cistes.

Le tourneur

On ne per­met pas au tourneur de ne remet­tre que les pièces qui sont réussies. Autrement il ne ferait plus rien pour qu’elles le soient toutes.

Vous par con­tre vous savez que vous pou­vez écarter les pièces quand ça vous dit. C’est pour cela que vous vous con­tentez de regarder faire ceux qui réus­sis­sent tout seuls pour des raisons qui n’ont rien à voir avec votre enseigne­ment. […]

Moi je vous paierais à for­fait. Tant pour chaque gosse qui s’en tire dans toutes les matières. Mieux encore une amende pour chaque gosse qui n’arrive pas à s’en sor­tir dans une matière.

Il faudrait voir alors avec quelle atten­tion vous suiv­riez Gian­ni […]. Vous vous don­ner­iez plus de mal pour le gosse qui en a le plus besoin, quitte à ce que ce soit au détri­ment du plus veinard, comme on fait dans toutes les familles. Vous vous réveil­leriez la nuit en pen­sant à lui, et à une nou­velle méth­ode d’enseignement que vous seriez en train de met­tre au point, une méth­ode qui soit à sa mesure à lui. Si jamais il ne reve­nait plus, vous iriez le chercher chez ses par­ents.

Aveu­gles

Ceux qui ne me croient pas n’ont qu’à aller à la ville le jour de la fête des bizuths

9 En ital­ien matri­cole : étu­di­ants de pre­mière année à l’université. [NdMT]

.

Les jeunes bour­geois ont si peu honte de leur priv­ilège qu’ils se met­tent un calot sur la tête pour bien se faire recon­naître. Et puis pen­dant toute une journée ils marchent au milieu de la chaussée, comme les chiens, et ils font leur cirque. Obscénités, infrac­tions de toutes sortes. Ils dérangent la cir­cu­la­tion, ils empêchent les gens de tra­vailler. […]

L’agent sup­porte en silence. Il a com­pris ce que le patron attendait de lui. On n’appellera désor­dre que ce que font les ouvri­ers quand ils font grève […].

Les jeunes bour­geois sont telle­ment occupés à faire leur cirque, qu’ils ne font pas atten­tion à ce qu’il peut y avoir d’exagérément servile dans l’attitude du polici­er – et qui les accuse.

Dis­parais

Pieri­no est avan­tagé parce qu’il sait par­ler. Désa­van­tagé parce qu’il par­le trop. Lui qui n’a rien d’important à dire. Lui qui ne fait que répéter des choses qu’il a lues dans des livres, écrites par des gens qui lui ressem­blent. […]

Pau­vre Pieri­no, tu me fais presque pitié. Tu les as payés cher, tes priv­ilèges. Défor­mé que tu es par la spé­cial­i­sa­tion, par les livres, par le con­tact de gens qui se ressem­blent tous. Pourquoi est-ce que tu ne t’en vas pas?

Laisse tomber l’université, les fonc­tions, les par­tis. Mets-toi tout de suite à enseign­er. Le lan­gage seule­ment, rien d’autre.

Ouvre la route aux pau­vres et oublie la tienne. Cesse de lire, dis­parais. C’est tout ce qu’il reste à faire aux gens de ta classe.

dans ce chapitre« Che Gue­vara: Le pas de la guéril­la doit s’aligner sur celui du cama­rade le plus faibleMalaise dans l’école sec­ondaire: l’affaire de la Zan­zara »
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    Don Milani, Let­tera a una pro­fes­sores­sa, Libre­ria editrice fiorenti­na, 1966. Tr. fr. Let­tre à une maîtresse d’école, Mer­cure de France, 1968. Nous repro­duisons ci-dessous la tra­duc­tion et les notes de Michel Thur­lotte [MT]
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    Isti­tu­to Nazionale di Sta­tis­ti­co, équiv­a­lent ital­ien de l’INSEE. [NdMT]
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    Voir « Tre inter­ven­ti sul libro di Don Milani : Elvio Fachinel­li, Fran­co For­ti­ni, Gio­van­ni Giu­di­ci », Quaderni pia­cen­ti­ni n° 31, 1967. Elvio Fachinel­li (1928–1989), psy­ch­an­a­lyste, lecteur de Lacan et tra­duc­teur en 1966 de L’interprétation des rêves de Freud, a fondé en 1971 la revue L’Erba voglio. La même année, il pub­lie chez Ein­au­di, avec Luisa Muraro et Giuseppe Sar­tori, un livre homonyme qui est une cri­tique acerbe du sys­tème sco­laire ital­ien. Dans la foulée de 68, il par­ticipe avec un groupe d’étudiants à la mise en place d’une crèche alter­na­tive à Milan, l’Asilo auto­gesti­to e anti­au­tori­tario di Por­ta Tici­nese. Le texte d’Elvio Fachinel­li sur Don Milani a été repub­lié dans Elvio Fachinel­li, Intorno al ‘68, un’antologia di testi, Mas­sari, 1998. Sur Fran­co For­ti­ni, voir note 55 de ce chapitre (p. 205)
  • 4
    Don Milani, L’obbedienza non è più una virtù, Libre­ria editrice fiorenti­na, 1967. Tr. fr. L’Obéissance n’est plus une ver­tu, doc­u­ments du procès de Don Loren­zo Milani, Le champ du pos­si­ble, 1974.
  • 5
    Les ACLI (Asso­ci­azioni cris­tiane dei lavo­ra­tori ital­iani) ont été créées à la fin de la guerre pour pro­mou­voir la for­ma­tion et l’éducation des tra­vailleurs dans le sens de la doc­trine sociale chré­ti­enne. Leur vice-prési­dent, Dino Penaz­za­to, futur député de la DC, déclare en 1952 que les ACLI « sont une part essen­tielle et con­sti­tu­tive du mou­ve­ment ouvri­er ». Dans les années 1950, s’affirme une ten­dance ouverte­ment favor­able à l’indépendance entre les mis­sions (cul­turelles, syn­di­cales) de l’association et l’action de gou­verne­ment de la Démoc­ra­tie chré­ti­enne. Mal­gré les rap­pels à l’ordre de la Con­férence épis­co­pale, Liv­io Labor, son prési­dent de 1961 à 1969, pour­suit ce « virage à gauche », avant de rejoin­dre le PSI. Son suc­cesseur Emilio Gabaglio, définis­sait les ori­en­ta­tions qu’il entendait dévelop­per comme « un choix fer­me­ment ant­i­cap­i­tal­iste, la néces­sité d’approfondir la recherche d’un autre futur pour l’homme, sans exclure l’hypothèse authen­tique­ment social­iste »
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    En 1954, la Curie de Flo­rence décide d’éloigner Don Milani de l’école pop­u­laire ouvrière de Calan­zano et de le nom­mer dans la loin­taine com­mune de Bar­bi­ana. En 1957, il pub­lie Espe­rien­ze pas­torali avec l’approbation du diocèse, mais l’année suiv­ante, l’Église demande que l’œuvre de Don Milani (celle d’un « fou échap­pé de l’asile » selon les mots de Jean XXIII) soit pro­hibée. Le Saint-Office en inter­dit la repub­li­ca­tion et la tra­duc­tion. En 1965, Don Milani répond publique­ment aux aumôniers mil­i­taires toscans démo­bil­isés qui définis­saient l’objection de con­science comme une lâcheté, et sera pour cela attaqué en jus­tice pour inci­ta­tion à la déser­tion et out­rage aux forces armées. Relaxé en pre­mière instance, il meurt le 26 juin 1967 avant que soit pronon­cé le délibéré de son procès en appel
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    Demi-journée, qua­tre mois de vacances. [NdMT]
  • 8
    En Ital­ie, les cor­rec­tions à l’encre rouge indiquent les fautes moins graves (faux sens), celles à l’encre bleue les plus graves (con­tre­sens par ex.). [NdMT]
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    En ital­ien matri­cole : étu­di­ants de pre­mière année à l’université. [NdMT]