Che Guevara: Le pas de la guérilla doit s’aligner sur celui du camarade le plus faible

Le texte qui suit est com­posé de dif­férents écrits d’Ernesto Che Gue­vara dont les tra­duc­tions français­es ont été pub­liées par les édi­tions Maspero entre 1962 et 1972 et rééditées aux édi­tions La Décou­verte. Nous présen­tons ici une ver­sion légère­ment mod­i­fiée de ces tra­duc­tions.

Qu’est-ce qu’un guérillero

1Ernesto Che Gue­vara, « Qu’est-ce qu’un guérillero ? », paru dans Rev­olu­ciôn le 19 févri­er 1959. Repris dans Textes mil­i­taires, La Décou­verte, 2001

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« L’armée de guéril­la, armée pop­u­laire par excel­lence, doit avoir sur le plan des indi­vidus toutes les meilleures ver­tus du meilleur sol­dat du monde. Elle doit se fonder sur une stricte dis­ci­pline. Si les for­mal­ités de la vie mil­i­taire ne con­vi­en­nent pas à la guéril­la, s’il n’y a ni claque­ment de talons ni salut rigide, ni expli­ca­tion soumise devant le supérieur, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de dis­ci­pline. La dis­ci­pline du guérillero est intérieure; elle vient de la con­vic­tion pro­fonde qu’a l’individu de la néces­sité d’obéir à son supérieur, pour assur­er l’efficacité de l’organisme armé dont il fait par­tie, mais aus­si pour garan­tir sa pro­pre effi­cac­ité. […] Sol­dat dis­ci­pliné, le guérillero est aus­si un sol­dat très agile, physique­ment et men­tale­ment; une guerre de guéril­la sta­tique est inimag­in­able. Tout se passe la nuit. Grâce à leur con­nais­sance du ter­rain, les guérilleros se dépla­cent la nuit, pren­nent posi­tion, attaque­nt l’ennemi et se retirent. Il n’est pas néces­saire qu’ils se retirent très loin du théâtre des opéra­tions; il faut sim­ple­ment qu’ils le fassent très vite […] ».

Du rôle de la vio­lence

2 Id., « La guerre de guéril­la, une méth­ode » paru dans Révo­lu­tion africaine d’Alger en sep­tem­bre 1963, repris dans Textes mil­i­taires, op. cit

« Nous répon­drons: la vio­lence n’appartient pas aux exploiteurs, les exploités peu­vent l’employer eux aus­si, et plus encore, ils doivent l’utiliser au moment oppor­tun. […] Lénine, dans le Pro­gramme mil­i­taire de la Révo­lu­tion pro­lé­tari­enne, écrivait: “Celui qui admet la lutte de classe ne peut pas ne pas admet­tre les guer­res civiles qui dans toute société de classe représen­tent la con­tin­u­a­tion et le développe­ment – naturels et par­fois inévita­bles – de la lutte de classe. Toutes les grandes révo­lu­tions l’attestent. Nier les guer­res civiles ou les oubli­er, ce serait tomber dans un oppor­tunisme extrême et renier la révo­lu­tion social­iste.” Ce qui sig­ni­fie que nous ne devons pas avoir peur de la vio­lence lorsqu’il s’agit de don­ner le jour à des sociétés nou­velles; mais cette vio­lence ne doit advenir qu’au moment pré­cis où ceux qui guident le peu­ple en ont jugé les cir­con­stances favor­ables ».

Mais après la vic­toire de la révo­lu­tion cubaine, et au terme d’un tour du monde comme ambas­sadeur et mes­sager des idéaux révo­lu­tion­naires qui le mène en Afrique, en Asie, en Europe et au Moyen Ori­ent, le besoin irré­press­ible de libér­er d’autres peu­ples lati­no-améri­cains des dic­tatures pro-USA revient hanter le Che. C’est la ­cul­ture du « foco » guérillero, du petit groupe qui, en se liant aux mass­es opprimées, déchaîne la tem­pête qui désagrégera les forces de l’ennemi. C’est un engage­ment qu’il a pris en son temps avec Fidel et avec lui-même: ­exporter la révo­lu­tion!

« Une étin­celle peut met­tre le feu à la plaine » a dit Mao Tsé-toung: un petit groupe de guérilleros expéri­men­tés et effi­caces peut déchaîn­er la révolte des pro­lé­taires exploités. C’est dans cette inten­tion que le Che part pour la Bolivie, non sans laiss­er des mes­sages et des ori­en­ta­tions pour la lutte.

Créer deux, trois… de nom­breux Viet­nam, voilà le mot d’ordre

3 Extrait de « Mes­sage à la Tri­con­ti­nen­tale : Créer deux, trois… de nom­breux Viet­nam, voilà le mot d’ordre » (mai 1967), envoyé de Bolivie par le Che à la con­férence de l’Organisation lati­no-améri­caine de sol­i­dar­ité réu­nie à La Havane. Repris dans Jour­nal de Bolivie, La Décou­verte, 1997

« L’impérialisme améri­cain est coupable d’agression; ses crimes sont immenses et s’étendent au monde entier. Cela, nous le savons, messieurs! Mais ils sont aus­si coupables ceux qui, à l’heure de la déci­sion, ont hésité à faire du Viet­nam une par­tie invi­o­lable du ter­ri­toire social­iste; ils auraient effec­tive­ment cou­ru les risques d’une guerre à l’échelle mon­di­ale, mais ils auraient aus­si obligé les impéri­al­istes améri­cains à se décider. Ils sont coupables, ceux qui pour­suiv­ent une guerre d’insultes et de crocs-en-jambe, com­mencée il y a longtemps déjà par les représen­tants des deux plus grandes puis­sances du camp social­iste [Le Che fait ici référence à la rup­ture entre la Chine et l’Union Sovié­tique. N.d.A.]. […]

Le paysage mon­di­al est d’une grande com­plex­ité. La tâche de la libéra­tion attend encore les pays de la vieille Europe, ceux qui sont suff­isam­ment dévelop­pés pour ressen­tir toutes les con­tra­dic­tions du cap­i­tal­isme, mais trop faibles pour suiv­re la voie de l’impérialisme ou s’y engager. Là, les con­tra­dic­tions accu­mulées devien­dront, dans les prochaines années, explo­sives […].

Et à nous, les exploités du monde, quel est le rôle qui nous revient? Les peu­ples de trois con­ti­nents obser­vent et appren­nent leur leçon au Viet­nam. Puisque les impéri­al­istes exer­cent, avec la men­ace de la guerre, un chan­tage sur l’humanité, la réponse juste c’est de ne pas avoir peur de la guerre. Atta­quer dure­ment et sans trêve partout où se joue l’affrontement, telle doit être la tac­tique générale des peu­ples. […]

Il faut men­er la guerre là où l’ennemi l’emporte avec lui: jusque dans sa mai­son, dans les lieux où il se diver­tit; il faut qu’elle soit totale. Il ne faut pas laiss­er à l’ennemi une seule minute de tran­quil­lité, une seule minute de calme, que ce soit à l’intérieur ou hors de ses casernes; il faut l’attaquer là où il est; il faut que, partout où il passe, il se sente une bête traquée. Alors il per­dra peu à peu courage. Il devien­dra plus bes­tial encore, mais on notera chez lui des signes de défail­lance. »

D’autres ter­res du monde récla­ment le con­cours de mes mod­estes efforts

4 Le 3 octo­bre 1965 à la Havane, Fidel Cas­tro lit la let­tre d’adieu que Che Gue­vara lui a adressée à son départ pour l’Afrique, puis pour la Bolivie. Elle est reprise dans son inté­gral­ité dans Textes poli­tiques, op. cit

« Fidel,

Aujourd’hui, beau­coup de choses me revi­en­nent en mémoire, le moment où je t’ai con­nu dans la mai­son de Maria Anto­nia, lorsque tu m’as pro­posé de venir avec toi, et toute la ten­sion des pré­parat­ifs.

Un jour, on est venu nous deman­der qui on devrait prévenir si nous mou­ri­ons et la pos­si­bil­ité réelle que cela advi­enne nous a tous frap­pés. Plus tard, nous avons appris que cela était vrai, que dans une révo­lu­tion (si c’en est une) ou l’on est vain­queur ou l’on meurt. Beau­coup sont tombés sur le chemin qui mène à la vic­toire. […]

Je sens que j’ai accom­pli la part de mon devoir qui me liait à la révo­lu­tion cubaine sur son ter­ri­toire et je prends con­gé de toi, des cama­rades, de ton peu­ple qui est désor­mais le mien.

Je renonce formelle­ment à mes charges à la direc­tion du par­ti, à mon poste de min­istre, à mon grade de com­man­dant, à ma con­di­tion de cubain. Rien de légal ne me lie plus à Cuba; seule­ment des liens d’une autre nature qui ne peu­vent être détru­its comme peu­vent l’être des papiers offi­ciels. […]

D’autres ter­res du monde récla­ment le con­cours de mes mod­estes efforts. Je peux faire ce que tes respon­s­abil­ités à la tête de Cuba t’interdisent et l’heure est venue de nous sépar­er.

Sache que je le fais avec un mélange de joie et de douleur: ici, je laisse la part la plus pure de mes espérances de con­struc­teur et les plus chers de tous les êtres qui me sont chers. J’en éprou­ve un déchire­ment. Je porterai sur les nou­veaux champs de bataille la foi que tu m’as inculquée, l’esprit révo­lu­tion­naire de mon peu­ple, le sen­ti­ment d’accomplir le plus sacré des devoirs: lut­ter con­tre l’impérialisme où qu’il soit. Voilà qui récon­forte et adoucit n’importe quelle blessure. […]

J’aurais encore beau­coup de choses à dire, à toi et à notre peu­ple, mais je sens que les mots ne sont pas néces­saires, qu’ils ne peu­vent exprimer ce que je voudrais dire et qu’il est inutile de gaspiller davan­tage de papi­er.

Has­ta la vic­to­ria siem­pre! La patrie ou la mort!

Je t’embrasse avec toute ma fer­veur révo­lu­tion­naire.

                                                                                           Che »

Appel avant de quit­ter Cuba

5 « Mes­sage à la Tri­con­ti­nen­tale… », Jour­nal de Bolivie, op. cit

« Toute notre action est un cri de guerre con­tre l’impérialisme et un appel vibrant à l’unité des peu­ples con­tre le grand enne­mi du genre humain: les États-Unis d’Amérique du Nord. Qu’importe où nous sur­pren­dra la mort, qu’elle soit la bien­v­enue pourvu que notre cri de guerre soit enten­du, pourvu qu’une autre main se tende pour ramass­er nos armes, que d’autres hommes se lèvent pour enton­ner les chants funèbres, dans le crépite­ment des mitrailleuses et les nou­veaux cris de guerre et de vic­toire.

Has­ta la vic­to­ria siem­pre! »

dans ce chapitre« Le dis­sensus et les sym­bol­es de la révolteDon Milani: Let­tre à une maîtresse d’école »
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    Ernesto Che Gue­vara, « Qu’est-ce qu’un guérillero ? », paru dans Rev­olu­ciôn le 19 févri­er 1959. Repris dans Textes mil­i­taires, La Décou­verte, 2001
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    Id., « La guerre de guéril­la, une méth­ode » paru dans Révo­lu­tion africaine d’Alger en sep­tem­bre 1963, repris dans Textes mil­i­taires, op. cit
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    Extrait de « Mes­sage à la Tri­con­ti­nen­tale : Créer deux, trois… de nom­breux Viet­nam, voilà le mot d’ordre » (mai 1967), envoyé de Bolivie par le Che à la con­férence de l’Organisation lati­no-améri­caine de sol­i­dar­ité réu­nie à La Havane. Repris dans Jour­nal de Bolivie, La Décou­verte, 1997
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    Le 3 octo­bre 1965 à la Havane, Fidel Cas­tro lit la let­tre d’adieu que Che Gue­vara lui a adressée à son départ pour l’Afrique, puis pour la Bolivie. Elle est reprise dans son inté­gral­ité dans Textes poli­tiques, op. cit
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    « Mes­sage à la Tri­con­ti­nen­tale… », Jour­nal de Bolivie, op. cit