Des luttes à la communication, de la communication aux luttes.

Au milieu des années 1970, l’archipel de la com­mu­ni­ca­tion antag­o­niste des­sine un ter­ri­toire vaste et con­trasté qui s’étend aux qua­tre coins du pays. C’est sans doute entre 1975 et 1977 que la pro­duc­tion d’information auto­gérée et sub­ver­sive (mar­ginale, rad­i­cale, mil­i­tante, directe, antag­o­niste, alter­na­tive, démoc­ra­tique, trans­ver­sale, clan­des­tine, révo­lu­tion­naire, et toutes les nom­breuses autres déf­i­ni­tions qu’on en a don­nées) atteint son apogée. Elle pos­sède par­fois ses pro­pres infra­struc­tures tech­niques (imprimeries, locaux plus ou moins durables, etc.), ses canaux de dis­tri­b­u­tion mil­i­tante et même ses struc­tures de dif­fu­sion, indépen­dantes des cir­cuits com­mer­ci­aux petits ou grands. Des ren­con­tres nationales sont organ­isées pour met­tre en place des réseaux de coopéra­tion. Ses pro­duc­teurs aus­si bien que ses lecteurs en assurent le finance­ment. Le tra­vail intel­lectuel est presque entière­ment gra­tu­it et bénév­ole.

Il est impos­si­ble de trac­er les con­tours d’une « géo­gra­phie de la con­spir­a­tion » dans un paysage aus­si vaste et con­trasté, et le résul­tat en serait dans tous les cas sché­ma­tique et sec­taire. Il est plus ardu encore de pré­ten­dre remon­ter le cours des influ­ences inter­na­tionales récipro­ques, des « réseaux » poli­tiques et cul­turels qui se sont entremêlés sur les qua­tre con­ti­nents, des filons idéologiques his­toriques qui con­stituent le back­ground de beau­coup d’élaborations théoriques.

« Le besoin de recon­stituer les géométries du « poli­tique », les sen­tiers tortueux de la con­spir­a­tion, les intri­ca­tions idéologiques, don­ner à voir les “âmes per­dues” de la révolte est au moins aus­si ancien que l’idée de révo­lu­tion. Mal­gré cela, rares sont ceux qui ont ten­té de réfléchir sur ce “besoin”. En revanche, copieuse, cap­tieuse et sou­vent nocive est la géo­gra­phie de la déla­tion, la pul­sion pré­fec­torale des soci­o­logues, jour­nal­istes et mag­is­trats de dessin­er des cartes, de dress­er des listes, de rac­corder et d’indiquer des com­plic­ités poli­tiques et matérielles

1 Col­lec­tif, I dieci anni che scon­volsero il mon­do [Les dix ans qui boulever­sèrent le monde], Arcana, 1978

. »

En réal­ité, der­rière les mil­liers de pages de livres, der­rière les cen­taines de titres de revues, il y a des myr­i­ades d’intelligences qui ont fait du « refus de la fonc­tion » un choix con­scient, un pro­gramme d’existence, et qui ont traduit en com­porte­ment pra­tique l’heureuse pen­sée marx­i­enne des Grun­drisse: « Le tech­ni­cien, le sci­en­tifique, l’intellectuel comme machine, et par con­séquent la sci­ence – quelle qu’elle soit – comme “puis­sance hos­tile” à la classe, le tra­vailleur intel­lectuel comme tra­vailleur pro­duc­tif inséré dans le cycle de social­i­sa­tion du cap­i­tal ou dans l’appareil de com­man­de­ment. Un tra­vailleur qui doit se libér­er “de lui-même” avant même de rechercher des alliances avec le pro­lé­tari­at. Un tra­vailleur sans alliés, capa­ble d’exercer de manière autonome un refus des rôles imposés, capa­ble donc de dévelop­per – déjà dans la forme du tra­vail intel­lectuel abstrait – une force d’initiative autonome, des formes spé­ci­fiques d’organisation, de refus, d’organisation de masse. En con­clu­sion: sci­ence et tech­nolo­gie comme une seule chose, matéri­al­isée dans la machine “puis­sance hos­tile” à la classe, toutes deux objet d’un proces­sus par­al­lèle de libéra­tion, de la part de la classe et du tra­vail intel­lectuel, con­cret et poten­tiel. Aus­sitôt la classe et le tra­vail intel­lectuel se met­tent-ils en mou­ve­ment de manière antag­o­niste que d’énormes, de puis­sants proces­sus cog­ni­tifs s’amorcent à l’intérieur même du con­flit, comme pro­duit du con­flit: une force d’invention latente se libère et se traduit en con­nais­sances spé­ci­fiques, nou­velles tech­niques et “sci­ences” nou­velles

2 Ser­gio Bologna, Pri­mo Mag­gio n° 11, 1967

. »

Cette syn­thèse exem­plaire de Ser­gio Bologna, nous sem­ble con­tenir l’essentiel du par­cours de la pro­duc­tion cul­turelle révo­lu­tion­naire des années 1970.

La richesse illim­itée de « l’autre tra­vail intel­lectuel » a investi la total­ité des champs du savoir: de l’histoire à la psy­ch­analyse, de la psy­chi­a­trie à la tech­nolo­gie, de l’économie à la philoso­phie, de la sex­u­al­ité à l’urbanisme, de l’alimentation à la médecine, jusqu’au droit et à la crim­i­nolo­gie. Ses résul­tats ont été iné­gaux, mais il ne fait aucun doute qu’en dépit de l’occultation opérée au début des années 1980 par des mag­is­trats, des édi­teurs, des « jour­nal­istes-policiers* » etc., la cul­ture révo­lu­tion­naire des années 1970 a posé des ques­tions et ouvert des voies qui pour­ront dif­fi­cile­ment être éludées à l’avenir. Il est évi­dent, et incon­testable, que le proces­sus de libéra­tion par­al­lèle de la classe et du tra­vailleur intel­lectuel a représen­té une con­tra­dic­tion inc­on­cil­i­able avec le développe­ment cap­i­tal­iste. Mais peut-être les acteurs de cette révo­lu­tion cul­turelle par le bas n’ont-ils pas perçu toute l’importance de ce phénomène, ni les inquié­tudes qu’il générait chez les élites cap­i­tal­istes, jusqu’à aboutir plus tard à une vaste offen­sive répres­sive. En atten­dant des études plus appro­fondies, on peut toute­fois rap­pel­er ce que pen­sait la Com­mis­sion Tri­latérale de ce prob­lème en 1975.

La Tri­lat­er­al Com­mis­sion avait été créée au début des années 1970 par les pays appar­tenant aux trois zones les plus indus­tri­al­isées du globe: Japon, USA, Europe. Dans les inten­tions de ses pro­mo­teurs, elle se voulait une sorte de « gou­verne­ment mon­di­al supra­na­tion­al » qui réu­nis­sait aus­si bien des représen­tants des dif­férents gou­verne­ments que des indus­triels, des généraux, des soci­o­logues, des jour­nal­istes de rang, des écon­o­mistes, des poli­tiques, des sci­en­tifiques, etc.: le « meilleur », en somme, des représen­tants et des col­lab­o­ra­teurs du sys­tème. La « Tri­latérale » se réu­nis­sait une fois par an dans dif­férentes cap­i­tales, avec l’objectif de coor­don­ner les poli­tiques de dom­i­na­tion au plan inter­na­tion­al. Ce n’est pas ici le lieu de mesur­er l’importance qu’a eue cet organ­isme, ni la suré­val­u­a­tion dont elle a été l’objet (pour les BR, par exem­ple, elle était la preuve de l’existence du « SIM »: L’État impéri­al­iste des multi­na­tionales

3 « L’État impéri­al­iste des multi­na­tionales est la super­struc­ture insti­tu­tion­nelle « nationale » qui cor­re­spond à la phase de l’impérialisme des multi­na­tionales. Ses car­ac­téris­tiques essen­tielles sont : la for­ma­tion d’un per­son­nel poli­tique impéri­al­iste ; la cen­tral­i­sa­tion rigide des struc­tures éta­tiques sous le con­trôle de l’Exécutif, le réformisme et l’anéantissement comme formes inté­grées de la même fonc­tion : la con­tre-révo­lu­tion préven­tive », Réso­lu­tion de la direc­tion stratégique des Brigades rouges, févri­er 1978, cité dans Soc­cor­so rosso, Brigate rosse…, op. cit

); il ne s’agit pour nous que de con­stater l’importance que les intel­li­gences cap­i­tal­istes accor­daient aux proces­sus soci­aux en actes. Voici donc ce que dis­ent les « tri­latéral­istes » lors de leur réu­nion de 1975:

« Aujourd’hui, une men­ace non nég­lige­able provient des intel­lectuels et des groupes aux­quels ils sont liés, qui affir­ment leur aver­sion pour la cor­rup­tion, le matéri­al­isme et l’inefficacité de la démoc­ra­tie, ain­si que pour la sub­or­di­na­tion des gou­verne­ments démoc­ra­tiques au “cap­i­tal­isme monop­o­liste”. Le développe­ment chez les intel­lectuels d’une “cul­ture antag­o­niste” a eu une influ­ence sur les étu­di­ants, les chercheurs et les out­ils de com­mu­ni­ca­tion […]. Les sociétés indus­trielles avancées ont don­né nais­sance à une strate d’intellectuels ani­més par des valeurs qui s’appliquent à dis­créditer le lead­er­ship, à défi­er l’autorité, à dénon­cer et à nier la légitim­ité des pou­voirs con­sti­tués, et adoptent un com­porte­ment qui con­traste avec l’ensemble des intel­lectuels tech­nocra­tiques ori­en­tés par la poli­tique […] Ce développe­ment représente pour le sys­tème démoc­ra­tique une men­ace aus­si grave, au moins poten­tielle­ment, que celles qu’ont représen­té par le passé les groupes aris­to­cra­tiques, les mou­ve­ments fas­cistes et les par­tis com­mu­nistes

4 Michel Crozi­er, Samuel P. Hunt­ing­ton, Joji Waranu­ki, The Cri­sis of Democ­ra­cy : Report on the Gov­ern­abil­i­ty of Democ­ra­cies to the Tri­lat­er­al Com­mis­sion, New York Uni­ver­si­ty Press, 1975. Depuis 2011, la Tri­lat­er­al Com­mis­sion est présidée pour la zone Europe par Jean-Claude Trichet.

. »

Pas­sons sur la référence aux « mou­ve­ments fas­cistes », ici men­tion­nés pour dis­simuler élégam­ment les « cadavres dans le plac­ard » et raviv­er la poli­tique des « extrêmes opposés »: il ne fait pas de doute que ces obser­va­tions ren­dent compte de la préoc­cu­pa­tion des élites au pou­voir, face à ces « intel­lectuels qui, en tant que groupe social, sont propul­sés à l’avant-garde des luttes socio-poli­tiques

5 Ibi­dem

». Dans un monde où « il n’y a pas lieu de croire que la révo­lu­tion cul­turelle actuelle sera plus paci­fique que les révo­lu­tions indus­trielles du passé », et où « le défaut d’intégration de la classe ouvrière non seule­ment inter­dit la con­trac­tu­al­i­sa­tion et l’entente immé­di­ate […] mais est aus­si à l’origine de la réti­cence générale des jeunes à accepter des travaux manuels génériques et sous-rétribués

6 Ibi­dem

», les rap­ports entre les intel­lectuels et la société se trans­for­ment rad­i­cale­ment.

Le rap­port de 1975 se pour­suit en appelant de ses vœux une démoc­ra­tie plus « forte » et une nou­velle cul­ture poli­tique de la « gou­vern­abil­ité ». Les Berufsver­bot7 Ain­si nomme-t-on les lois fédérales adop­tées en 1975 en RFA, dans l’objectif d’exclure les per­son­nes de gauche des emplois publics [N.d.A.] en Alle­magne et la « lég­is­la­tion d’urgence » en Ital­ie seront, au cours des deux années suiv­antes, la tra­duc­tion insti­tu­tion­nelle de ces réflex­ions. Il ne s’agit pas pour nous d’affirmer que tout est réductible à un « com­plot » des som­mets, à l’existence d’un cerveau occulte et invin­ci­ble du com­man­de­ment cap­i­tal­iste qui prévoit et plan­i­fie tout. Bien au con­traire, il faut avoir à l’esprit, que la dynamique de « plan et con­tre-plan », le con­flit entre pro­jets antag­o­nistes, entre cap­i­tal et tra­vail, dans toutes ses formes et ses man­i­fes­ta­tions, engen­dre un enrichisse­ment réciproque des forces et des intel­li­gences qui s’affrontent et que dans ce con­flit, le ­proces­sus révo­lu­tion­naire joue son des­tin.

Durant ces « dix ans qui boulever­sèrent le monde » – de la Chine aux USA, de l’Angleterre à l’Allemagne, du Japon à la France, de l’Amérique Latine à l’Afrique, à l’Asie et au Moyen-Ori­ent – il n’est pas aisé d’expliquer le rôle qu’a joué la com­mu­ni­ca­tion en tant qu’expression et exi­gence des luttes de masse. On pour­rait se hasarder à don­ner foi aux prévi­sions sché­ma­tiques de McLuhan qui, à par­tir de l’ère de la télévi­sion et de la com­mu­ni­ca­tion de masse, développe la théorie du « vil­lage glob­al » plané­taire

8 The Glob­al Vil­lage, Trans­for­ma­tions in World Life and Media in the 21th Cen­tu­ry, Oxford Uni­ver­si­ty Press, 1989.

, ou encore exagér­er l’importance que les forces antag­o­nistes accor­dent à la « recom­po­si­tion » du pro­lé­tari­at au niveau inter­na­tion­al. Les seules choses dont on peut être sûr, ce sont les pro­duc­tions mêmes de la « com­mu­ni­ca­tion antag­o­niste », où l’on pour­ra être sur­pris de trou­ver, dans le bul­letin off­set de Tra­date ou dans la petite revue de Cor­sano (province de Lec­ce), des analy­ses à ce point atten­tives et « infor­mées » sur les luttes de Detroit ou de San ­Benedet­to del Tron­to, sur le rap­port entre Islam et marx­isme ou les liens entre la sci­ence du cap­i­tal et la guerre chim­ique au Viet­nam.

Après 1968 et la décen­nie précé­dente, on avait hérité, dans un « ren­verse­ment » con­scient d’un monde « plus uni, plus inter­dépen­dant, plus douloureuse­ment con­scient de son des­tin com­mun que ce qu’il avait été jusque-là. Sans cet héritage, ren­du pos­si­ble par la cir­cu­la­tion de la com­mu­ni­ca­tion et des luttes, leur spon­tanéité, pour ain­si dire leur “nat­u­ral­ité” et leur richesse seraient incom­préhen­si­bles. On ne pour­rait pas com­pren­dre que pour le mou­ve­ment, où que ce soit, toute bataille avait désor­mais pour décor le monde entier, que le monde était devenu la scène où chaque geste se jouait

9 Pep­pino Ortol­e­va, « La sfin­ge ‘68 », in Nor­ber­to Bob­bio, Francesco Ciafaloni, Pep­pino Ortol­e­va, Rossana Rossan­da et Rena­to Sol­mi, Cinque lezioni sul ‘68, dossier Rossoscuo­la, vol. 1, 1987

».

Avec la lente désagré­ga­tion des groupes qui com­mence en 1974–75, un grand nom­bre d’intelligences for­mées au mil­i­tan­tisme sont « libérées ». L’aire de l’autonomie se pose le prob­lème de ne pas laiss­er se dis­pers­er ce pat­ri­moine de mil­i­tants. Dès 1973, paraît un texte inti­t­ulé Récupér­er les forces sub­jec­tives créées par les groupes.

Mais c’est à par­tir de la spon­tanéité et de la néces­sité de la com­mu­ni­ca­tion sociale que s’opèrent des ren­con­tres et des croise­ments entre les anciens mil­i­tants et les intel­li­gences nou­velles.

Ils ne se ren­con­trent pas autour de la seule « néces­sité de remet­tre en dis­cus­sion un cer­tain appareil his­tori­co-théorique et de le met­tre à jour. Leur base com­mune est con­sti­tuée matérielle­ment par les struc­tures cul­turelles mil­i­tantes qui ont vu le jour à par­tir de 1974–75, con­tre toutes les hypothèques grou­pus­cu­laires et tous les “par­rains” des par­tis. Ces struc­tures auto­gérées reposent unique­ment sur l’intelligence et la force de tra­vail de ceux qui les font vivre, et l’art de s’arranger. Elles ont non seule­ment per­mis la dif­fu­sion de la nou­velle com­mu­ni­ca­tion poli­tique et sociale, mais elles ont aus­si favorisé la nais­sance d’un lan­gage dif­férent et d’une struc­ture organ­i­sa­tion­nelle nou­velle, capil­laire, locale, informelle, par­fois non explicite­ment poli­tique, qui a per­mis de ral­li­er des cama­rades déçus et a fini par con­stru­ire un arrière-plan, un tis­su auquel par la suite tout le monde a recou­ru comme struc­ture de ser­vice

10 Ser­gio Bologna, Pri­mo Mag­gio n° 12, hiv­er 1978–79

».

Et c’est pré­cisé­ment à par­tir de l’idée de « struc­tures de ser­vice inter­mé­di­aires dans le mou­ve­ment » qu’apparaissent, en 1974 et 1975, des dizaines de librairies, de cen­tres de doc­u­men­ta­tion, de cir­cuits de dis­tri­b­u­tion auto­gérés, de petites maisons d’édition orig­i­nales et inven­tives

11 Pri­mo Moroni utilise aus­si l’expression « struc­ture de ser­vice » à pro­pos de la librairie Calus­ca à Milan : « En févri­er 1971, quand nous avons ouvert la Calus­ca, il n’y avait pas de mod­èle bien défi­ni pour la librairie. Nous n’étions mil­i­tants d’aucune organ­i­sa­tion par­ti­c­ulière, mais nous voulions com­pren­dre et accom­pa­g­n­er le mou­ve­ment antag­o­niste qui se dévelop­pait dans cette ville. […] La librairie est dev­enue peu à peu une “struc­ture de ser­vice” où les enseignants qui refu­saient d’utiliser le manuel sco­laire venaient nous par­ler de leur enseigne­ment. Nous, on four­nis­sait une bib­li­ogra­phie raison­née et éventuelle­ment les pho­to­copies des textes. En peu de temps, les enseignants de 35 écoles expéri­men­tales se sont réu­nis à la Calus­ca. Et puis dans le quarti­er Tici­nese, il y avait la pre­mière “com­mune d’enfants” d’Elvio Fachinel­li, et avec Mar­cel­lo Bernar­di, on par­lait de l’éducation dans les écoles mater­nelles : de là est né le groupe Bam­bi­ni mani in alto, et toute la thé­ma­tique de l’éducation anti-autori­taire. En six ans, on avait ven­du 6 800 exem­plaires de l’encyclopédie Io e gli altri [éditée et dif­fusée par la Calus­ca] », Pri­mo Moroni, « Libre­ria Calus­ca », Ca’ lus­ca, scrit­ti e inter­ven­ti di Pri­mo Moroni [1986], Calus­ca City lights, COX18 Books, 2001

. Presque toutes les revues qui nais­sent à cette péri­ode s’appuient sur ce cir­cuit informel de pro­duc­tion. Elvio Fachinel­li, lors d’une polémique sur les valeurs cul­turelles exprimées par le mou­ve­ment, pré­cise son point de vue: « Tout change­ment pro­fond ne peut que naître à par­tir d’une sphère extra-cul­turelle, dans la mesure où il est d’abord une trans­for­ma­tion de la vie. Et à par­tir de là, les fils se renouent, les réseaux cul­turels se recon­stituent. Et donc, c’est vrai que 68 a pro­duit des tracts. Ceux qui dis­ent que 68 n’a rien inven­té, c’est qu’ils raison­nent avec l’esprit de ceux qui sont déjà dans une cer­taine cul­ture con­sti­tuée, qu’il s’agit seule­ment de per­pétuer. Mais à côté du tract, il y a eu une forme d’écriture en rap­port étroit avec lui: les revues »: Quaderni pia­cen­ti­ni, Pri­mo mag­gio, Aut/aut, Sapere, Ombre rosse, L’Erba voglio, A/traverso, pour ne citer que les plus con­nues. Sur ce ter­rain, il est dif­fi­cile de mieux faire. Les revues les plus vivantes ont été et sont tou­jours celles de la nou­velle gauche. Le phénomène est plus impor­tant encore si l’on con­sid­ère que ce secteur est l’un des plus vivants de la sphère cul­turelle, que les lab­o­ra­toires d’idées, sou­vent con­sti­tués de per­son­nes qui ont aus­si une pra­tique de vie com­mune, génèrent des débats qui se dif­fusent très rapi­de­ment sur un large ter­ri­toire, envoient des stim­uli et de nou­veaux mod­èles de com­porte­ments jusqu’aux provinces les plus reculées. L’effet mul­ti­pli­ca­teur de la revue, sauf dans quelques cas qui peu­vent se compter sur les doigts de la main, a tou­jours été supérieur à celui du livre.

dans ce chapitreL’autre édi­tion, l’autre com­mu­ni­ca­tion »
  • 1
    Col­lec­tif, I dieci anni che scon­volsero il mon­do [Les dix ans qui boulever­sèrent le monde], Arcana, 1978
  • 2
    Ser­gio Bologna, Pri­mo Mag­gio n° 11, 1967
  • 3
    « L’État impéri­al­iste des multi­na­tionales est la super­struc­ture insti­tu­tion­nelle « nationale » qui cor­re­spond à la phase de l’impérialisme des multi­na­tionales. Ses car­ac­téris­tiques essen­tielles sont : la for­ma­tion d’un per­son­nel poli­tique impéri­al­iste ; la cen­tral­i­sa­tion rigide des struc­tures éta­tiques sous le con­trôle de l’Exécutif, le réformisme et l’anéantissement comme formes inté­grées de la même fonc­tion : la con­tre-révo­lu­tion préven­tive », Réso­lu­tion de la direc­tion stratégique des Brigades rouges, févri­er 1978, cité dans Soc­cor­so rosso, Brigate rosse…, op. cit
  • 4
    Michel Crozi­er, Samuel P. Hunt­ing­ton, Joji Waranu­ki, The Cri­sis of Democ­ra­cy : Report on the Gov­ern­abil­i­ty of Democ­ra­cies to the Tri­lat­er­al Com­mis­sion, New York Uni­ver­si­ty Press, 1975. Depuis 2011, la Tri­lat­er­al Com­mis­sion est présidée pour la zone Europe par Jean-Claude Trichet.
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    Ibi­dem
  • 6
    Ibi­dem
  • 7
    Ain­si nomme-t-on les lois fédérales adop­tées en 1975 en RFA, dans l’objectif d’exclure les per­son­nes de gauche des emplois publics [N.d.A.]
  • 8
    The Glob­al Vil­lage, Trans­for­ma­tions in World Life and Media in the 21th Cen­tu­ry, Oxford Uni­ver­si­ty Press, 1989.
  • 9
    Pep­pino Ortol­e­va, « La sfin­ge ‘68 », in Nor­ber­to Bob­bio, Francesco Ciafaloni, Pep­pino Ortol­e­va, Rossana Rossan­da et Rena­to Sol­mi, Cinque lezioni sul ‘68, dossier Rossoscuo­la, vol. 1, 1987
  • 10
    Ser­gio Bologna, Pri­mo Mag­gio n° 12, hiv­er 1978–79
  • 11
    Pri­mo Moroni utilise aus­si l’expression « struc­ture de ser­vice » à pro­pos de la librairie Calus­ca à Milan : « En févri­er 1971, quand nous avons ouvert la Calus­ca, il n’y avait pas de mod­èle bien défi­ni pour la librairie. Nous n’étions mil­i­tants d’aucune organ­i­sa­tion par­ti­c­ulière, mais nous voulions com­pren­dre et accom­pa­g­n­er le mou­ve­ment antag­o­niste qui se dévelop­pait dans cette ville. […] La librairie est dev­enue peu à peu une “struc­ture de ser­vice” où les enseignants qui refu­saient d’utiliser le manuel sco­laire venaient nous par­ler de leur enseigne­ment. Nous, on four­nis­sait une bib­li­ogra­phie raison­née et éventuelle­ment les pho­to­copies des textes. En peu de temps, les enseignants de 35 écoles expéri­men­tales se sont réu­nis à la Calus­ca. Et puis dans le quarti­er Tici­nese, il y avait la pre­mière “com­mune d’enfants” d’Elvio Fachinel­li, et avec Mar­cel­lo Bernar­di, on par­lait de l’éducation dans les écoles mater­nelles : de là est né le groupe Bam­bi­ni mani in alto, et toute la thé­ma­tique de l’éducation anti-autori­taire. En six ans, on avait ven­du 6 800 exem­plaires de l’encyclopédie Io e gli altri [éditée et dif­fusée par la Calus­ca] », Pri­mo Moroni, « Libre­ria Calus­ca », Ca’ lus­ca, scrit­ti e inter­ven­ti di Pri­mo Moroni [1986], Calus­ca City lights, COX18 Books, 2001