Lanfranco Caminiti: l’autonomie méridionale, territoire d’ombres, luttes solaires

La crise des groupes extra­parlemen­taires, au milieu des années 1970, oblig­eait à repenser la ques­tion mérid­ionale

1 En 1926, dans Alcu­ni temi del­la ques­tione merid­ionale, Anto­nio Gram­sci pointait l’écart de développe­ment entre le Sud et le Nord de l’Italie. La « ques­tion mérid­ionale » est dès lors dev­enue une prob­lé­ma­tique clas­sique du mou­ve­ment révo­lu­tion­naire ital­ien.

. Si les groupes les plus atten­tifs aux réal­ités du tra­vail ouvri­er avaient regardé la con­sti­tu­tion des pôles indus­triels (à Gela, Milaz­zo, Pri­o­lo, Taran­to, Por­to Tor­res) comme les lieux pos­si­bles d’une con­science révo­lu­tion­naire, les groupes marx­istes-lénin­istes s’intéressaient surtout à la tra­di­tion comme garantie de vir­ginité, aux racines paysannes, à la sagesse antique, aux jacqueries (ain­si à Cutro, Pao­la, Bronte, Lenti­ni2 Dans ces com­munes de Cal­abre et de Sicile, pen­dant la péri­ode de l’unification ital­i­enne, de nom­breuses révoltes paysannes se sont opposées au sys­tème d’exploitation et de pro­duc­tion inten­sive lat­i­fon­di­aire). Dans les deux cas, au-delà du fait d’avoir impul­sé des mou­ve­ments de luttes mas­sifs, ils étaient capa­bles à la fois ­d’éléments de vérité et de con­nais­sance, mais aus­si d’une forte sur­déter­mi­na­tion théorique ou idéologique (qui les avait par exem­ple décon­certés et paralysés lors des événe­ments de Reg­gio Cal­abria

3 Pen­dant l’été 1970, des émeutes survi­en­nent à Reg­gio Cal­abria alors que l’administration prévoit de déplac­er le chef-lieu de région de Reg­gio à Catan­zaro. On compte 6 morts et plus de 50 blessés au terme du siège mil­i­taire que les forces armées et la police ont déployé durant dix mois. Une par­tie de Lot­ta con­tin­ua mis­era sur l’exemplarité de ces émeutes, comme en témoigne le film Dod­i­ci dicem­bre (1972) réal­isé avec Pier Pao­lo Pasoli­ni

). Ces sur­déter­mi­na­tions avaient comme brouil­lé les proces­sus de con­nais­sance et les caté­gories de l’analyse. Il fal­lait revenir en arrière pour regarder et com­pren­dre ce que nous avions sous les yeux. Mais, en atten­dant, il fal­lait sor­tir de leur tor­peur toute un ensem­ble de con­sciences, de réal­ités, de mil­i­tants, qui s’était sédi­men­té. C’est ain­si que naît l’autonomie mérid­ionale.

À un pre­mier réseau de mil­i­tants, réu­nis autour du jour­nal Comu­nis­mo, s’agrège une nébuleuse plus hétérogène qui s’était réu­nie en 1976 à l’université de Cosen­za

4 « L’assemblée, qui compte env­i­ron 300 par­tic­i­pants, se tient à Cosen­za dans l’amphi jaune de l’université, les 23 et 24 octo­bre. C’est un moment impor­tant pour tout le Sud. Pour la pre­mière fois le Sud s’organise en coor­di­na­tion qui se donne des échéances, choisit ses pri­or­ités et définit les points chauds du Merid­ione. Mais surtout, le mou­ve­ment mérid­ion­al com­mence à se don­ner une iden­tité. Ce n’est pas un retour aux thès­es de Gram­sci, d’un Sud à l’abandon et qui veut pren­dre part à la poli­tique indus­trielle de la Nation, c’est tout le con­traire. C’est un Sud qui a pris acte de ses pro­pres ressources et qui compte en tir­er par­ti selon des principes ant­i­cap­i­tal­istes et anti-développe­ment. Les luttes à venir s’articuleront dans cette direc­tion », Francesco Cir­i­lo, « Mo’ Bas­ta » in Ser­gio Bianchi, Lan­fran­co Camini­ti (dir.), Gli Autono­mi, vol.1, op. cit

. Les ques­tions soulevées, les posi­tions des uns et des autres s’amoncellent dans un chaos où tout se tient (de la com­mune anar­chiste de Pel­laro, aux fémin­istes de Vibo, des dyna­mi­teurs de … aux musi­ciens de Ver­bicaro).

En octo­bre 1976, la fac­ulté de let­tres de Palerme est occupée par des pré­caires et des étu­di­ants. Lors d’une assem­blée surpe­u­plée, on abor­de les ques­tions cen­trales du tra­vail non ouvri­er, du sens de la recherche et des sci­ences au ser­vice de la dom­i­na­tion et de l’exploitation, de la néces­sité d’avoir des droits et de sor­tir de la mar­gin­al­ité. Le 77 ital­ien com­mence.

« […] La dis­per­sion des mil­i­tants, l’absence de canaux rapi­des et sta­bles pour débat­tre, le manque de réflex­ion sur les luttes, con­fiées à une per­pétuelle repro­duc­tion spon­tanée sans moyens organ­i­sa­tion­nels, le manque de points de fix­a­tion capa­bles d’accueillir l’ensemble du champ de la con­tra­dic­tion pour pou­voir ensuite le dif­fuser, l’absence presque totale d’information; dans le Sud, entre la lutte et la représen­ta­tion il n’existe qu’indifférence. Le pro­lé­tari­at mérid­ion­al n’a pas de voix, il n’a pas de com­mu­ni­ca­tion interne, n’a pas de lieu où dépos­er sa mémoire pour la trans­former en théorie […]. Ain­si, la pri­or­ité deve­nait de con­naître le Sud, et récipro­que­ment de le faire con­naître à ses mil­i­tants, de con­fron­ter des dizaines de sit­u­a­tions, de réal­ités résol­u­ment antag­o­nistes, libres de tout lien sinon occa­sion­nel, de mon­tr­er sim­ple­ment l’irréductibilité de luttes qui échap­paient au cadre politi­co-insti­tu­tion­nel et surtout enrac­inées sur leur ter­ri­toire […]. Les organ­i­sa­tions ter­ri­to­ri­ales de masse, les organ­i­sa­tions locales, régionales, mérid­ionales de masse, devi­en­nent la pra­tique organ­i­sa­tion­nelle des ren­con­tres. La décou­verte de cen­taines de mil­i­tants vivants, act­ifs, plongés au quo­ti­di­en dans l’esprit de la lutte sur les besoins de toutes les frac­tions du pro­lé­tari­at, for­més au lent tra­vail capil­laire, for­més au con­flit avec les patrons et les petits chefs, les mafieux et les admin­is­tra­tions publiques, for­més depuis tou­jours à toutes les pra­tiques de lutte, for­més au per­pétuel chantier de la con­struc­tion, de la désagré­ga­tion et de la recon­struc­tion, était le signe tan­gi­ble de l’offensive con­tre la nor­mal­i­sa­tion insti­tu­tion­nelle. La fin de la com­par­ti­men­ta­tion grou­pus­cu­laire libérait de la disponi­bil­ité, ouvrait la pos­si­bil­ité d’un débat qui puisse repar­tir des choses con­crètes et offrait la per­spec­tive d’une ori­en­ta­tion mérid­ion­al­iste. On pou­vait enfin lire l’histoire des luttes mérid­ionales non pas en ter­mes de carences, d’insuffisances, mais comme l’expression d’une autre manière de con­cevoir l’organisation pro­lé­taire. L’histoire du Sud n’est pas seule­ment faite d’imprévisibles explo­sions de rage, mais d’un inces­sant tra­vail de masse, de tout un réseau de dis­cus­sion pro­lé­taire, d’une dimen­sion ter­ri­to­ri­ale hor­i­zon­tale qui, à par­tir des vil­lages, à par­tir des quartiers, des rues, des lieux de ren­con­tre, investit les lieux de tra­vail, dans une mat­u­ra­tion lente mais sûre […]. »

Voilà ce qu’avec Fio­ra nous écriv­ions dans Sciroc­co

5 Fio­ra Pir­ri, Lan­fran­co Camini­ti, Sciroc­co, Col­let­ti­vo edi­to­ri­ale Sciroc­co, 1979

. Mais il fal­lait y être. Je veux dire: il fal­lait vrai­ment se trou­ver là, au milieu des choses. Pren­dre la voiture de nuit à Cosen­za pour arriv­er à Palerme et par­ler avec les types des chantiers navals, puis repar­tir pour Reg­gio parce qu’il était urgent de soutenir la lutte chez Ome­ca

6 Le Officine mec­ca­niche cal­abre­si (OMe­Ca) sont une entre­prise de con­struc­tion fer­rovi­aire instal­lée en Cal­abre dans le cadre des pro­grammes de décen­tral­i­sa­tion de la pro­duc­tion impul­sés par l’État au début des années 1960

et pouss­er dans la foulée jusqu’à Tar­ente, à l’Italsider7 L’Italsider était un impor­tant groupe sidérurgique pub­lic ital­ien. L’usine de Tar­ente con­stru­ite au début des années 1960 et désor­mais pri­vatisée, reste l’une des plus grandes aciéries d’Europe, en s’arrêtant en chemin du côté de Sibari, assis­ter à une réu­nion à l’université de Bari, dormir quelques heures et repar­tir pour Naples – une assem­blée l’après-midi au Politec­ni­co. C’est à ce moment qu’est née la théorie de l’itinérance, du nomadisme. Que pou­vions-nous inven­ter d’autre? Nous devions être fous. Et extra­or­di­naire­ment forts. Les plus séden­taires étaient les cama­rades de Naples mais, on le sait, ils vivaient sur un con­ti­nent d’autosuffisance; les plus dynamiques étaient les cama­rades lucaniens

8 Habi­tants de la Basil­i­cate, située entre la Cal­abre, la Cam­panie et les Pouilles. « C’est vrai, nous n’avions pas, comme les plus chanceux cama­rades de Naples, Tar­ente ou Palerme, un “con­ti­nent d’autosuffisance” où vivre notre mil­i­tan­tisme de manière sim­ple­ment sta­ble : l’université, un grand pôle indus­triel ou une ville cap­i­tale. Notre mil­i­tan­tisme, au con­traire, était tou­jours un choix, un choix qui renou­ve­lait tou­jours le désir : par­tir sans s’en aller », Daniele Adamo, Anti­mo de San­tis, « I Lucani era­no i più dinam­i­ci » in Ser­gio Bianchi, Lan­fran­co Camini­ti (dir.), Gli autono­mi, vol. 1, op. cit

, eux, ils étaient presque au cen­tre de l’univers, en un rien de temps ils étaient à Tar­ente ou à Naples ou à Cosen­za, que pou­vaient-ils vouloir de plus? Et puis ce n’était pas désagréable d’aller d’une réu­nion à une autre le long de la côte Amal­fi­taine, de faire la route au cré­pus­cule entre Maratea et Dia­mante ou de se ren­con­tr­er la nuit dans les lumières de ce mon­stre de Bag­no­li vu de Bacoli

9 Bacoli est une com­mune située sur le golfe de Poz­zuoli, au Nord de Naples. Elle fait face à Bag­no­li, qui a con­nu une forte indus­tri­al­i­sa­tion au début du XXe siè­cle, avec notam­ment la con­struc­tion d’une aciérie du groupe Ital­sider.

; ce n’était pas désagréable de s’arrêter dans les tro­quets des Quartiers espag­nols pour par­ler de com­mu­nisme, avec poulpe et fri­ariel­li

10 Les fri­ariel­li sont des jeunes pouss­es de navet util­isées dans la cui­sine napoli­taine

, ou d’affronter la pluie et le vent sur la Basen­tana11 La route départe­men­tale 407, dite Basen­tana, tra­verse toute la Basil­i­cate depuis Poten­za jusqu’à la Méditer­ranée pour l’impression de l’éternel numéro zéro12 Comme on l’a vu précédem­ment, pour échap­per aux lois sur la presse et à l’obligation d’avoir un directeur de pub­li­ca­tion, l’usage était de pub­li­er un nom­bre indéter­miné de « numéros zéro », mais après cela planter ses crocs dans des sauciss­es de san­gli­er lucani­ennes. Ce n’était pas facile, c’est vrai. Nous devions aller à con­tre-courant de l’usinisme

13 À la dif­férence de l’operais­mo, dont les dif­férentes accep­tions réfèrent à l’histoire de la classe ouvrière, le terme ital­ien de fab­bric­chis­mo asso­cie ici le salut du Sud de l’Italie à l’implantation d’usines, qui avaient fait le suc­cès du « mir­a­cle économique » au Nord

et de l’industrialisme qui avaient régné sans partage sur la pro­gram­ma­tion éta­tique dans les années 1960 et 1970, pol­lu­ant la total­ité de la gauche et jusqu’à la gauche révo­lu­tion­naire. Nous devions de nou­veau suiv­re le fil rouge de l’opposition mérid­ion­al­iste, retourn­er comme un gant l’illusion du développe­ment, déca­per à l’huile de coude les apor­ies des groupes. Régler son compte au gram­scisme insti­tu­tion­nal­isé. Nous redé­cou­vri­ons les racines loin­taines (les brig­ands, les Fas­ci siciliens, le mou­ve­ment indépen­dan­tiste de Finoc­chiaro Aprile et l’EVIS de Canepa, les occu­pa­tions de ter­res

14 Les Fas­ci sicil­iani dei lavo­ra­tori sont un mou­ve­ment pop­u­laire d’inspiration démoc­ra­tique et social­iste apparu en Sicile entre 1889 et 1894. Anto­nio Canepa et Andrea Finoc­chiaro Aprile étaient des lead­ers indépen­dan­tistes siciliens. Le pre­mier créa en 1945 une armée clan­des­tine l’Esercito volon­tario indipen­den­za del­la Sicil­ia (EVIS), le sec­ond le Movi­men­to indipen­den­tista sicil­iano

) pour revenir à Marx, ce Marx qui dans le Sud, et ici en Ital­ie, avait tou­jours été lu de manière his­tori­ciste et pos­i­tiviste, par Labri­o­la, Croce, Del­la Volpe

15 Anto­nio Labri­o­la (1843–1904) est un philosophe et homme poli­tique ital­ien, proche de Friedrich Engels et maître de Benedet­to Croce (1866–1952), philosophe, his­to­rien et homme poli­tique, auteur de Matéri­al­isme His­torique et Économie Marx­iste [1901]. Gal­vano del­la Volpe (1895–1968), dont on peut lire en français Rousseau, Marx et autres écrits, Gras­set, 1974, a eu une forte influ­ence sur le marx­isme ital­ien des années 1960, en par­ti­c­uli­er sur Mario Tron­ti : « Del­la Volpe démon­tait pièce par pièce, sans se préocup­per des obé­di­ences ortho­dox­es, la ligne cul­turelle des com­mu­nistes ital­iens. Con­fes­sons-le : pour nous libér­er du nation­al-pop­u­laire, nous restâmes attachés, sous son influ­ence, à un cer­tain aris­to­cratisme intel­lectuel », Mario Tron­ti, Nous opéraïstes, op. cit

. S’il y avait un endroit où le cap­i­tal­isme fai­sait la preuve de sa matu­rité c’était bien le Sud.

« S’il est une manière inepte d’envisager la “ques­tion du développe­ment”, c’est bien de le faire au prisme d’une cod­i­fi­ca­tion économique fondée sur des don­nées sta­tis­tiques: taux de chômage/taux d’activité, dis­tri­b­u­tion d’énergie élec­trique, revenu moyen, taux moyen de richesse pro­duite, etc. Rien de tout cela ne rend compte des rap­ports de pro­duc­tion, ni de la manière dont l’État tisse sa toile au tra­vers de la coopéra­tion sociale […]. On a dit que dans la société cap­i­tal­iste avancée, il était dif­fi­cile de pos­tuler un cen­tre, prob­a­ble­ment parce qu’elle se survit à elle-même; mais si on choisit de pos­er au cen­tre le rap­port travail/capital, ce n’est qu’en tant qu’il est le sym­bole d’un proces­sus de pro­duc­tion de la richesse dont les con­di­tions se sont lente­ment trans­for­mées. À présent, on ne peut pas affirmer que le Sud a été la périphérie de ce champ mag­né­tique struc­turé par le rap­port travail/capital […]. L’opposition travail/capital s’est pro­duite trans­ver­sale­ment, dans la société, dans chaque rela­tion, et c’est la rai­son pour laque­lle, dans la société cap­i­tal­iste avancée, toute rela­tion sociale a été ramenée à la coopéra­tion, à la pro­duc­tion de richesse. Ce type de déplace­ment du rap­port de com­man­de­ment intéresse le Sud. En d’autres ter­mes, le pou­voir poli­tique, l’État, ont trans­posé au Sud la même fonc­tion con­flictuelle que le rap­port travail/capital […]. Le saut qual­i­tatif, le pas­sage volon­tariste de la dialec­tique cap­i­tal­iste, se man­i­feste dans l’inversion de la ten­dance: de l’accroissement du tra­vail ouvri­er à l’accroissement du tra­vail non ouvri­er […]. Au Sud, on voit appa­raître des déséquili­bres rad­i­caux entre les capac­ités de tra­vail respec­tives des dif­férents secteurs du proces­sus de travail/production. Ce qui dif­féren­cie la capac­ité de tra­vail d’un employé de la Banque de Sicile, où des ter­minaux ont été instal­lés, le tra­vail des ouvri­ers agri­coles dans les Pouilles, le tra­vail au noir dans le cen­tre de Naples, le tra­vail illé­gal des con­tre­bandiers, le tra­vail à domi­cile dans les nou­veaux proces­sus de restruc­tura­tion du tex­tile en Cal­abre, le tra­vail du tech­ni­cien d’Olivetti à Mar­cianise, le tra­vail ouvri­er à la SIR16 LA SIR (Soci­età ital­iana resine) est une entre­prise de chimie indus­trielle instal­lée à Por­to Tor­res en Sar­daigne. , se mesure au temps de tra­vail néces­saire à cha­cun pour cou­vrir la part de chiffre d’affaires qui cor­re­spond à son salaire. Mais pour l’État, la seule chose qui compte, c’est la capac­ité glob­ale de tra­vail social […]. Par con­séquent, la richesse pro­duite, non seule­ment n’appartient pas au tra­vail social mais elle s’y oppose en tant que com­man­de­ment, dans le proces­sus de tra­vail mais aus­si dans le temps de repro­duc­tion (temps de non-tra­vail), c’est-à-dire dans la vie. La con­tra­dic­tion s’accroît entre le développe­ment des forces pro­duc­tives et les rap­ports de pro­duc­tion. Elle n’est plus seule­ment l’indice du para­doxe entre une capac­ité de richesse ­tou­jours accrue, ren­due pos­si­ble par le développe­ment des forces pro­duc­tives, et la mis­ère à laque­lle le tra­vail est réduit par les rap­ports de pro­duc­tion; elle y ajoute le para­doxe sup­plé­men­taire d’une richesse étrangère, non pas au sens de non pos­sédée, mais au sens d’ennemie, vers laque­lle le développe­ment des forces pro­duc­tives est con­traint. L’ouvrier du bâti­ment mérid­ion­al con­stru­it des petites vil­las où il n’ira jamais habiter et, à côté, des pris­ons spé­ciales où il pour­rait bien aller habiter; l’ouvrier de Face Stan­dard fab­rique des com­posants élec­tron­iques pour les télé­com­mu­ni­ca­tions qui n’étendent ni ne facili­tent l’usage privé dans ce domaine, mais celui de l’État17 La FACE (Fab­bri­ca apparec­chia­ture per comu­ni­cazioni elet­triche) fab­ri­quait des équipements à usage essen­tielle­ment mil­i­taire […]. Les ter­mes de développe­ment ou de sous-développe­ment ne ren­voient plus seule­ment à la présence ou non de richesse, mais aux formes du salaire indi­rect ou à une con­fig­u­ra­tion ter­ri­to­ri­ale et urbaine dont il est pos­si­ble de tir­er sat­is­fac­tion ou avan­tage (il n’y a pas de cen­tre urbain où l’eau ne vienne à man­quer l’été, que ce soit à Tar­ente, à Palerme ou à Sas­sari – et la lumière l’hiver; les virus sont partout mais il n’y a qu’à Naples qu’ils provo­quent des mas­sacres d’innocents; il n’existe pas, ou qua­si­ment pas de réseau fer­rovi­aire à l’intérieur des ter­res, il n’y a que des ser­vices privés d’autocar, pour ne pas par­ler des camions amé­nagés par des par­ti­c­uliers pour le trans­port d’ouvriers agri­coles; le prix du bil­let de train est le même entre Reg­gio Cal­abria et Bat­ti­paglia qu’entre Venise et Milan, mais dans le pre­mier cas on voy­age entassés les uns sur les autres dans des wag­ons d’ex-troisième classe et dans le sec­ond, on voy­age dans des wag­ons insonorisés à moitié vides; l’autoroute Salerne-Reg­gio Cal­abria est gra­tu­ite, con­traire­ment à l’Autosole18 L’Autosole (autoroute A1) relie Milan, Bologne, Rome et Naples. Inau­gurée en 1964 sous le gou­verne­ment Moro, c’est la plus longue autoroute ital­i­enne, mais l’une est en per­pétuelle réno­va­tion, avec virages en dévers pour la tenue de route, Auto­grill et Luna Park, alors que l’autre a plus de cratères que la Lune et qu’entre les trous et les virages, il y a de quoi assur­er la sélec­tion naturelle pour la sur­pop­u­la­tion du Sud; pareil pour le réseau hydrique, pareil pour tout). Le bien-être mét­ro­pol­i­tain a accom­pa­g­né l’utopie cap­i­tal­iste du développe­ment […]. Les aires de l’immigration n’ont été affec­tées par ce mod­èle qu’à la marge. Zones “sous-dévelop­pées” par antono­mase, elles mesurent aujourd’hui leur con­tri­bu­tion à cette phase du développe­ment tar­do­cap­i­tal­iste à la présence d’éléments de com­man­de­ment-plan social, points lumineux sig­nalant le rythme d’une activ­ité sociale coor­don­née par l’État. Voilà la mesure actuelle du développe­ment […]. Si l’ouvrier intéresse le cap­i­tal­iste huit heures par jour, il intéresse l’État pen­dant les 16 heures restantes; et dans la mesure où l’État pénètre fis­cale­ment la struc­ture du salaire et finan­cière­ment celle de l’accumulation, il com­mence à l’intéresser aus­si pen­dant les huit pre­mières heures. »

C’est donc sur l’État que nous avions refo­cal­isé notre atten­tion.

L’État-entreprise, capa­ble de val­oris­er la redis­tri­b­u­tion du revenu sous les formes du com­man­de­ment et du con­sen­sus for­cé, et de con­stru­ire ain­si un « pacte social » avec beau­coup plus de cohé­sion que ne l’avaient jamais fait les cap­i­tal­istes

19 Sur l’État comme cap­i­tal­iste col­lec­tif voir notam­ment les analy­ses de Marx (Le Cap­i­tal, Livre II) et de Lénine (L’Impérialisme, stade suprême du cap­i­tal­isme, 1916), qui seront repris­es et pro­longées par Mario Tron­ti : « Quand la pro­duc­tion cap­i­tal­iste s’est général­isée à la société tout entière, la pro­duc­tion sociale est dev­enue, tout entière, pro­duc­tion du cap­i­tal – ce n’est qu’alors que naît sur ces bases une société cap­i­tal­iste pro­pre­ment dite comme fait his­torique­ment déter­miné. Le car­ac­tère social de la pro­duc­tion a atteint un tel niveau que la société tout entière rem­plit le rôle de moment de la pro­duc­tion […] Le cap­i­tal­iste col­lec­tif représente la forme que prend le pou­voir quand il est détenu par le cap­i­tal social, pou­voir de la société cap­i­tal­iste sur elle-même, l’autogouvernement du cap­i­tal, et par con­séquent de la classe des cap­i­tal­istes », Ouvri­ers et cap­i­tal, « Le plan du cap­i­tal », op. cit

. Pour cela, il avait besoin de la par­tic­i­pa­tion de représen­tants du champ social (par­tis, syn­di­cats, asso­ci­a­tions caté­gorielles etc., jusqu’aux copro­prié­taires). Encore une fois, le Sud ser­vait de lab­o­ra­toire (dans une inter­view au Cor­riere del­la Sera en sep­tem­bre 1995, Andreot­ti lui-même fera allu­sion à cet aspect d’« expéri­men­ta­tion poli­tique »). En Sicile, l’administration régionale dirigée par les démoc­rates-chré­tiens et le PCI avait pré­fig­uré les gou­verne­ments d’unité nationale, réédi­tant des formes nou­velles de « milazz­isme20 En 1958, Sil­vio Milaz­zo est élu prési­dent de la région Sicile avec le sou­tien des com­mu­nistes, des social­istes, d’une par­tie des démoc­rates-chré­tiens, des monar­chistes et du MSI, met­tant en échec le can­di­dat offi­ciel de la DC. Le néol­o­gisme « milazz­is­mo » désigne depuis des alliances entre par­tis opposés visant à con­stituer une majorité de cir­con­stance ». Ce sera la pre­mière expéri­men­ta­tion du « com­pro­mis his­torique ». La gauche réformiste s’était pré­parée intel­lectuelle­ment à cette entrée dans la salle des machines en for­mu­lant des théories de l’État qui val­ori­saient sa capac­ité à inté­gr­er les instances sociales et à représen­ter les droits des citoyens. En réal­ité, tout ceci prospérait de manière par­a­sitaire sur une longue vague de luttes qui était en train de redis­tribuer les cartes au Sud (pour la pre­mière fois en Ital­ie, on assis­tait à des vic­toires élec­torales de la gauche hors du tri­an­gle Émi­lie-Toscane-Ombrie) et qu’il fal­lait con­tenir. Poussées réfor­ma­tri­ces, iner­ties mafieuses et rêves tech­nocra­tiques con­sti­tu­aient pêle-mêle un agir de l’État qui était pour­tant déjà déter­miné par et pour le cap­i­tal.

« […] Il y a un fonds com­mun aux dif­férents courants du mou­ve­ment ouvri­er insti­tu­tion­nel: de Vac­ca21 Homme poli­tique et his­to­rien né à Bari en 1939, Giuseppe Vac­ca a été mem­bre du comité cen­tral du PCI de 1972 à 1991, et député des Pouilles de 1983 à 1992 qui entend “pro­mou­voir une recom­po­si­tion uni­taire des con­flits dont les par­tis sont les prin­ci­paux inter­prètes et médi­a­teurs”, à la con­cep­tion ingrai­enne du décen­trement de l’État vers le tis­su cor­po­ratif des par­tis devenus l’instrument uni­taire de l’émancipation des mass­es, jusqu’à la con­cep­tion tron­ti­enne de l’autonomie du poli­tique pour laque­lle la classe ouvrière, unique inter­prète du pou­voir poli­tique, prend le cap­i­tal de vitesse en l’anticipant dans la réor­gan­i­sa­tion d’une machine d’État très en retard sur les exi­gences de val­ori­sa­tion du cap­i­tal […]. En presque 30 ans d’existence et en dépit de ses invraisem­blables revire­ments pro­gram­ma­tiques et “stratégiques”, la Cas­sa per il Mez­zo­giorno22 La Cas­sa del Mez­zo­giorno (en abrégé : « Cas­mez ») est une insti­tu­tion publique de finance­ment pour l’industrialisation des régions du Sud de l’Italie, créée en 1950. a assuré une fonc­tion con­tin­ue et sans équiv­oque: le développe­ment du pou­voir poli­tique qui struc­ture les rela­tions sociales mérid­ionales. L’État a mis en œuvre simul­tané­ment deux ori­en­ta­tions qui con­courent à la social­i­sa­tion de l’exploitation. La pre­mière est incar­née par les tech­nocrates (Sara­ceno, Pesca­tore, Peg­gio, Vera Lutz, Galas­so, Novac­co, Com­pagna, etc.) qui ont œuvré à la pro­gram­ma­tion éta­tique […]. Avec le pre­mier plan quin­quen­nal nais­sent Tar­ente, Gela, Pri­o­lo, Ottana, Brin­disi, Naples, les 34 zones et foy­ers d’industrialisation; dans leur sil­lage, les plans-fic­tion de la poli­tique de pro­gram­ma­tion, assez liés toute­fois aux mytholo­gies du cen­tre-gauche […]. L’autre ten­dance, c’est celle des cos­tumes gris, des bil­lets de pre­mière classe dans les rapi­des, de l’argent qui glisse entre les doigts, des mains ten­dues, des trafics, des clien­tèles, des men­aces, celle des Gioia, Lima, Mattarel­la, Fras­ca, Principe, Dell’Andro, Lat­tanzio, Matar­rese, celle des grands réseaux du cor­po­ratisme des par­tis […]. En con­vergeant, ces deux ten­dances ont per­mis, comme l’avait anticipé Moro, la mat­u­ra­tion du com­man­de­ment social de l’État au Sud. L’État a com­pris la néces­sité de trans­former ses pro­pres struc­tures poli­tiques, encore tein­tées de provin­cial­isme, en fonc­tion des axes de la restruc­tura­tion dom­i­nante: au niveau poli­tique (ges­tion des insti­tu­tions locales et de tous les niveaux du décen­trement insti­tu­tion­nel); tech­nocra­tique (lié aux plans de restruc­tura­tion et de réor­gan­i­sa­tion sociale); financier (à tra­vers les organ­ismes qui émet­tent ou facili­tent l’accès au crédit et aux finance­ments en général); mil­i­taire (avec la réor­gan­i­sa­tion de toutes les struc­tures locales de con­trôle); sci­en­tifique (avec les plans élec­tron­ique et infor­ma­tique, têtes de pont du développe­ment des tech­nolo­gies avancées de con­trôle au Sud). Presque vingt ans après les pre­mières implan­ta­tions de pôles indus­triels, qu’est-ce qui appa­raît? Par-delà la crise de la chimie et de la sidérurgie, on dis­tingue un réseau extrême­ment dense de drainage ter­ri­to­r­i­al au ser­vice de la cir­cu­la­tion finan­cière nationale et inter­na­tionale […]. Le cycle financier qui se con­stru­it au Sud est en règle générale conçu de la manière suiv­ante: l’argent est intro­duit par l’État, par le truche­ment de lois de finance­ment des par­tic­i­pa­tions de l’État (IRI, EFIM, ENI), et des lois de finance­ment de la Cas­mez et de la Gepi23 L’IRI est l’Institut pour la recon­struc­tion indus­trielle ; l’EFIM, l’Établissement pour les par­tic­i­pa­tions et le finance­ment des indus­tries man­u­fac­turières ; l’ENI, l’Établissement nation­al des hydro­car­bu­res ; la Gepi, la Société pour les ges­tions et les par­tic­i­pa­tions indus­trielles, dont la mis­sion « publique » con­sis­tait à entr­er au cap­i­tal de sociétés privées en crise; ces étab­lisse­ments pren­nent des par­tic­i­pa­tions avec d’autres organ­ismes de crédit vers lesquels con­ver­gent les finance­ments de la CEE, à tra­vers la BEI24 Banque Européenne d’Investissement et le Fonds région­al, et les investisse­ments privés nationaux et multi­na­tionaux. Ils se trans­for­ment donc en ini­tia­tives pro­duc­tri­ces de biens et de ser­vices, en même temps qu’ils met­tent en œuvre une activ­ité de recherche et de con­trôle social […]. L’État n’a aucun intérêt à se met­tre en jeu en tant que cap­i­tal­iste réel. Il a bien plus à cœur de monop­o­lis­er la cir­cu­la­tion finan­cière par l’offre aux entre­pris­es (avec les dif­férentes modal­ités de prêt financier, le leas­ing, le crédit, les facil­ités fis­cales) et par la demande et les com­man­des passées par ses struc­tures et ses organ­ismes ter­ri­to­ri­aux, que de monop­o­lis­er la pro­priété entre­pre­neuri­ale. Il déplace ain­si le con­trôle juridique des rap­ports de pro­priété aux rap­ports soci­aux en tant que rap­ports d’échange: argent et ter­ri­toire devi­en­nent la base de la jurid­i­fi­ca­tion de la société […]. Dans une pro­duc­tion sociale car­ac­térisée par la plus-val­ue sociale, par le fait de met­tre tous les aspects de la vie sociale au ser­vice de la valeur, où la con­som­ma­tion privée sem­ble une sur­vivance aris­to­cra­tique (c’est le “com­mu­nisme du cap­i­tal

25 « La méta­mor­phose des sys­tèmes soci­aux en Occi­dent, dans les années 1930, a par­fois été désignée par une expres­sion à la fois claire et en apparence para­doxale : social­isme du cap­i­tal. On fait allu­sion ain­si au rôle déter­mi­nant assumé par l’État dans le cycle économique, à la fin du laiss­er-faire libéral­iste, aux proces­sus de cen­tral­i­sa­tion et de plan­i­fi­ca­tion menés par l’industrie publique, aux poli­tiques du plein-emploi, aux débuts de l’État prov­i­dence (du Wel­fare). […] C’est l’expression com­mu­nisme du cap­i­tal qui résume le mieux la méta­mor­phose des sys­tèmes soci­aux en Occi­dent dans les années 1980 et 90. Cela veut dire que l’initiative cap­i­tal­iste orchestre à son pro­pre avan­tage les con­di­tions matérielles et cul­turelles mêmes qui assurent le réal­isme tran­quille de la per­spec­tive com­mu­niste », Pao­lo Virno, Gram­maire de la mul­ti­tude, Thèse 10 : Le post­fordisme est le « com­mu­nisme du cap­i­tal », L’éclat, 2002.

”), la fig­ure même de l’échange se trans­forme, elle devient trans­fert, tout comme se trans­forme la fig­ure juridique du con­trat: le con­trat de droit privé se dis­sout, et tire sa rai­son d’être du con­trat social […]. Ain­si, le refus du tra­vail (la lib­erté du non-tra­vail) est à la fois l’hypothèse et la prax­is du cap­i­tal, lorsqu’à tra­vers la machine, il rend pro­gres­sive­ment le tra­vail humain excé­den­taire et qu’il sub­or­donne per­pétuelle­ment l’échange à la pro­duc­tion de valeur. Une marchan­dise sans marché, telle a tou­jours été l’hypothèse de lutte com­mu­niste. Un marché sans marchan­dis­es, un marché de valeurs, de signes, de trans­ac­tions abstraites, de con­traintes sociales, c’est l’hypothèse-rêve du cap­i­tal-argent social

26 Fio­ra Pir­ri, Lan­fran­co Camini­ti, Dirit­to alla guer­ra, Edi­zioni Sciroc­co, 1981. La notion de cap­i­tal-argent, qui appa­raît dans Le Cap­i­tal de Marx (Livre II) con­stitue un piv­ot de l’analyse du mode de pro­duc­tion cap­i­tal­iste dans L’Anti-Œdipe de Gilles Deleuze et Félix Guat­tari (Minu­it, 1972) : « le cap­i­tal-argent est cette “axioma­tique des quan­tités abstraites” qui s’impose à tout le réel, c’est le monde social organ­isé selon la rela­tion de pou­voir créancier/débiteur, en dehors du sys­tème d’exploitation lié spé­ci­fique­ment au tra­vail. Par-delà le fordisme et la péri­ode indus­trielle du cap­i­tal­isme, c’est aus­si bien le marché que la mon­naie qui sont la vraie police du cap­i­tal­isme ». Pour une relec­ture con­tem­po­raine de cette prob­lé­ma­tique de l’argent-dette chez Deleuze et Guat­tari, voir Mau­r­izio Laz­zara­to, Gou­vern­er par la dette, Les Prairies ordi­naires, 2014

. »

Les trans­for­ma­tions du tra­vail (revenir à Marx) devi­en­nent fon­da­tri­ces pour l’analyse. Le con­cept de « pro­lé­tari­at mérid­ion­al » nous sem­blait peu per­ti­nent. Nous nous entê­tions à mon­tr­er non seule­ment com­ment la pro­duc­tion de plus-val­ue accom­pa­g­nait désor­mais tout reflux de l’activité tra­vail­lée au Sud (quand bien même elle était de repro­duc­tion et d’assistance, ce qui fab­ri­quait du con­sen­sus et du com­man­de­ment), mais aus­si com­ment les aspects de cette pro­duc­tion (où coex­is­taient des formes féo­dales et des tech­nolo­gies d’avenir) por­taient désor­mais – comme du papi­er-tour­nesol – la mar­que des nou­veaux car­ac­tères généraux du rap­port travail/capital, prolétariat/État.

« […] Le tra­vail au noir, pré­caire, mar­gin­al, la gigan­tesque aire du sous-emploi […] quand l’État-Sud struc­ture un cer­tain nom­bre de zones pro­duc­tives en met­tant l’accent sur la petite et moyenne entre­prise, puis sur l’automation de la grande entre­prise sans mod­i­fi­er le taux d’occupation du tra­vail ouvri­er, voire en élim­i­nant le tra­vail ouvri­er (même en ten­ant compte des nou­veaux investisse­ments, le taux d’accroissement de l’emploi est tou­jours et de toute façon inférieur à l’entrée sur le marché de la force de tra­vail des jeunes), il ne fait que déplac­er la force de tra­vail vers d’autres zones du proces­sus de tra­vail social où, à l’inverse, le cap­i­tal n’est absol­u­ment pas en mesure de pro­duire du com­man­de­ment […]. Le tra­vail au noir se divise en tra­vail “ouvri­er” et tra­vail “non ouvri­er”. Le tra­vail au noir ouvri­er peut-être haute­ment tech­nologique (c’est le cas dans cer­tains secteurs du tra­vail à domi­cile: dans le tex­tile où les ouvrières tra­vail­lent chez elles avec un méti­er à tiss­er automa­tique, dans la répa­ra­tion et la pro­duc­tion à domi­cile de cer­taines pièces mécaniques et élec­tromé­caniques, dans le dessin tech­nique à domi­cile, etc.); ou bien ce peut être un tra­vail pour le compte de tiers, toutes ces activ­ités (manu­ten­tion, chantiers de con­struc­tion, gros travaux par­ti­c­ulière­ment risqués ou nocifs) que la grande entre­prise exter­nalise pour se sous­traire aux respon­s­abil­ités économiques liées à des secteurs de tra­vail dans lesquels elle n’est pas en mesure de pro­duire une avancée pro­duc­tive (acci­dents du tra­vail dits “homi­cides blancs” à l’Italsider); ou ce peut être un tra­vail arti­sanal (brodeuses, gan­tières, tri­co­teuses, cou­turières, et une infinité d’autres travaux comme la fab­ri­ca­tion de fleurs ­arti­fi­cielles, de chaus­sures, d’uniformes) fondé sur la pro­lon­ga­tion max­i­male de la journée de tra­vail, puis coor­don­né par les grandes entre­pris­es com­mer­ciales à des­ti­na­tion de l’étranger ou des chaînes de dis­tri­b­u­tion. Le tra­vail au noir non ouvri­er est lui aus­si hétérogène. C’est un tra­vail qui se développe dans l’ombre du ter­ti­aire, repro­duisant de manière plus ou moins illé­gale ou extralé­gale des activ­ités de com­merce et de ser­vices très liés à la repro­duc­tion (tra­vail domes­tique non déclaré, con­tre­bande, vente ambu­lante, cours par­ti­c­uliers); le tra­vail à temps par­tiel ou saison­nier ou à durée déter­minée, dans tous les cas pré­caire, et c’est vers là que s’oriente le rap­port de tra­vail dans le ter­ti­aire supérieur: embauch­es régionales (usage admin­is­tra­ti­vo-mérid­ion­al de la loi 28527 La loi n° 285 de juin 1977 pré­tend dans son arti­cle 1 : « Favoris­er l’emploi des jeunes dans les activ­ités agri­coles, arti­sanales, com­mer­ciales, indus­trielles et de ser­vice […] Financer des pro­grammes régionaux de tra­vail pro­duc­tif pour des pro­jets et des ser­vices sociale­ment utiles, avec une atten­tion par­ti­c­ulière au secteur agri­cole et aux pro­grammes de ser­vices et pro­jets prévus par les admin­is­tra­tions cen­trales »), con­cours, recherche, étab­lisse­ments et ser­vices, pro­gram­ma­tion en général, dis­sémi­na­tion « ter­ri­to­ri­ale ». Et pour fer­mer le ban, les formes var­iées (mais tou­jours exis­tantes) de tra­vail pré­caire, saison­nier, ou à domi­cile, au noir, dans l’agriculture et les secteurs qui lui sont liés: du tra­vail “à domi­cile” du paysan pour la Cip-Zoo28 La Cip-Zoo était une immense usine de la fil­ière porcine, instal­lée en Basil­i­cate dans la périphérie de Poten­za. Elle com­pre­nait 20 000 m² de cabanons ami­antés, conçus pour les besoins de l’élevage inten­sif de cochons aux cueilleuses d’olives de Nicas­tro, des ouvri­ers forestiers de l’Opera Sila29 L’Opera Sila est une opéra­tion de val­ori­sa­tion du haut plateau de la Sila, en Cal­abre, mise en place après la Sec­onde Guerre dans le cadre de la réforme agraire au tra­vail des jour­naliers dans toutes les zones agraires, et jusqu’au dou­ble tra­vail de presque tous les ouvri­ers-paysans pen­du­laires des zones agri­coles qui bor­dent les aires indus­trielles, en par­ti­c­uli­er dans les Pouilles. Il faut aujourd’hui con­sid­ér­er le large spec­tre de ces formes de tra­vail, tout à fait dom­i­nantes sur le ter­ri­toire mérid­ion­al même avant la “révo­lu­tion tech­nologique” de la petite et moyenne entre­prise, comme autant de solu­tions que le cap­i­tal­isme avancé entend apporter au proces­sus de tra­vail: si cer­taines de ces solu­tions sont pas­sives, et si elles inter­agis­sent toutes, aucune n’est la sur­vivance de formes pré­cap­i­tal­istes (même dans le cas des brodeuses ou des cueilleuses d’olives). De ce point de vue, il serait vain de vouloir mesur­er les dif­férentes inten­sités d’exploitation entre les dif­férentes formes de tra­vail au noir-pré­caire et les autres activ­ités de tra­vail. »

Au fil des mois la ques­tion de la vio­lence, de l’affrontement avec l’État, a com­mencé devenir prég­nante, comme partout. Mais nous viv­ions sur un ter­ri­toire où l’illégalité et la vio­lence con­tre l’État étaient mon­naie courante, dès l’adolescence, et il n’y avait pas besoin de beau­coup forcer le trait. Et pour­tant, l’illégalité et la vio­lence étaient affaire d’individus, elles rel­e­vaient de capac­ités sin­gulières, elles ne par­ve­naient jamais à se trans­former en sci­ence de la lutte. Et là où elles étaient organ­isées, elles deve­naient crim­i­nal­ité, savoir mafieux. Même le refus de la poli­tique se retour­nait sou­vent en son con­traire: une délé­ga­tion des pou­voirs aux pro­fes­sion­nels de la poli­tique. Ain­si, il était clair que nous ne pré­ten­dri­ons jamais assumer une fonc­tion séparée de l’action de sab­o­tage; nous devions imag­in­er, faire imag­in­er, la pos­si­bil­ité d’une con­struc­tion col­lec­tive de la force, d’une déci­sion col­lec­tive. Et en même temps, il était clair que nous devions con­stam­ment nous dépren­dre de nous-mêmes, empêch­er qu’on nous perçoive comme une classe poli­tique, fût-elle alter­na­tive. Jouir d’une délé­ga­tion était facile au Sud; con­stru­ire le mou­ve­ment et la démoc­ra­tie était beau­coup plus com­plexe. Il nous a sem­blé que la rad­i­cal­ité tenait tout entière dans un dis­cours sur la guerre.

« […] L’autodestruction, l’obsolescence de toute par­celle d’organisation pro­lé­taire ne sig­ni­fient pas l’incapacité à don­ner une con­stance à la posi­tion révo­lu­tion­naire mais, exacte­ment à l’inverse, un sens arti­sanal de l’usage, de l’utilité de l’outil organ­i­sa­tion­nel, auquel on inter­dit toute vie séparée, toute pré­ten­tion à représen­ter linéaire­ment la dynamique com­plexe des besoins, tout fonc­tion­nar­i­at à out­rance. C’est un indice de matu­rité, de démoc­ra­tie com­mu­niste qui n’entend pas repro­duire dans le com­porte­ment révo­lu­tion­naire la dis­tinc­tion entre le citoyen et le tra­vailleur, entre le poli­tique et l’économique […]. Sur la souche du refus du tra­vail con­traint germe le refus de la paix con­trainte. Volons la guerre! Volons-la à la sépa­ra­tion, à l’aliénation. À présent, la théorie révo­lu­tion­naire est tout entière cri­tique de la poli­tique, théorie de la guerre. L’activité con­crète de la sub­jec­tiv­ité de guerre doit être mobil­isée con­tre l’abstraction-travail. »

Après le con­grès de Bologne, en sep­tem­bre 1977, auquel nous avons par­ticipé de manière dis­traite, en nous ten­ant à l’écart des petits jeux noc­turnes des groupes, mais en marge duquel nous avons organ­isé une après-midi de ren­con­tre entre tous les mil­i­tants mérid­ionaux présents, le tra­vail poli­tique est devenu plus usant. Trop de choses se super­po­saient et nous nous sen­tions comme des brindilles pro­jetées au loin. Obstiné­ment, nous nous enfon­cions dans l’entonnoir. Fin jan­vi­er 1978, nous avons réus­si à tenir une assem­blée mérid­ionale à la fac­ulté de médecine de Palerme. Une marée de gens. C’était juste après les luttes des tra­vailleurs agri­coles dans la plaine de Bat­ti­paglia et les occu­pa­tions de loge­ments à Salerne; pour la pre­mière fois depuis des années, les fas­cistes avaient été chas­sés de l’université de Mes­sine, et puis Naples, et Palerme. Tout le monde était là. Et tout avait encore l’air de se tenir. À part nous. Au retour des ren­con­tres, les cama­rades de Poten­za ont été arrêtés, perqui­si­tion­nés, gardés à vue. C’est le début de la poisse. À Naples, une bombe explose entre les mains d’un cama­rade. Arresta­tions, terre brûlée. Quelques jours plus tard, après un affron­te­ment armé aux envi­rons de la via Mez­zo­can­none d’autres cama­rades sont incar­cérés, et la répres­sion s’engouffre dans les rues désertées. Nous sommes suiv­is, espi­onnés et même lour­de­ment filés sur des kilo­mètres d’autoroute. Et puis, les arresta­tions annon­cées de Lico­la, et encore, et encore30 Le 6 avril 1978, c’est à Lico­la près de Naples que l’auteur de ce texte est arrêté, avec Fio­ra Pir­ri, Davide Sac­co et Ugo Melchin­da.

Aujourd’hui, lorsque je regarde le présent, il me sem­ble qu’au fil des années le Sud a été pris dans une dou­ble spi­rale: celle de la lutte con­tre la mafia (et con­tre la crim­i­nal­ité en général) qui a fini par s’appliquer à tout type de con­tra­dic­tion; et celle de la vul­gar­i­sa­tion des ques­tions chères au mérid­ion­al­isme, que nous n’avions fait que réin­ven­ter (je pense à l’autogouvernement, à l’autonomie, au fédéral­isme région­al, à la démoc­ra­tie ter­ri­to­ri­ale, au séces­sion­nisme con­tre la représen­ta­tion déléguée et abstraite du pou­voir poli­tique, con­tre l’assistancialisme cor­rup­teur, à l’entrepreneuriat inven­tif lié au ter­ri­toire), trans­for­més en un ramas­sis de petites banal­ités jouées con­tre le Sud (regardé comme le trou noir de la cir­cu­la­tion d’argent, quand c’est juste­ment le con­traire grâce à son épargne), dressées con­tre le Sud.

Il sera impos­si­ble d’échapper à cette dou­ble spi­rale si l’on se borne à per­pétuer un jeu à somme nulle, en reprochant à l’État d’avoir fait le lit du phénomène mafieux, ou en retour­nant son orgueil blessé en anti-nordisme. Ce sont là de ter­ri­bles impass­es dont il vaut mieux se tenir à dis­tance. La voie des procé­dures judi­ci­aires con­tre les poli­tiques et les mafieux, des opéra­tions de police et du con­trôle mil­i­taire du ter­ri­toire mérid­ion­al, même si elle sem­ble aujourd’hui gag­nante, est éton­nam­ment frag­ile: elle s’appuie sur un faible con­sen­sus et reste sans per­spec­tive, si ce n’est une per­pétuelle et dou­teuse auto-repro­duc­tion. La classe poli­tique qui s’est con­sti­tuée au Sud (celle des juges et des mil­i­taires) est big­ote. Et incon­trôlable. Leur vision du gou­verne­ment du ter­ri­toire ressem­ble à celle qui s’applique dans des villes comme New York (Rudolph Giu­liani vient de la « lutte con­tre la mafia »), Los Ange­les après la révolte, Tokyo, Rio. Il n’est pas invraisem­blable de sup­pos­er un rap­port direct entre le dés­in­térêt total que sus­ci­tent les prob­lèmes du Sud dans la classe poli­tique actuelle – comme un signe de dérive de l’imagination – et l’interlocution stricte­ment mil­i­taire que lui réserve l’État. Les atten­tions se focalisent tout entières sur le Nord et c’est vers là qu’on s’ingénie parce que c’est là que se sont exprimés la rup­ture, le ren­verse­ment. La vérité c’est qu’il n’y a pas aujourd’hui de sub­jec­tiv­ité poli­tique mérid­ion­al­iste. Nous nous trompons par excès de ver­tu. S’il est vrai que suré­val­uer à sa pro­pre jeunesse, et ce qu’on y a fait, est un signe de sénil­ité, la sous-éval­uer ne peut être que le signe d’une per­pétuelle ado­les­cence.

Tenir une posi­tion dif­férente, cela sig­ni­fie repren­dre la mesure de la com­plex­ité des ques­tions du Sud, redonner du con­traste à ses nuances. La crise défini­tive des pôles indus­triels, la guerre civile au sein de la classe poli­tique, les trans­for­ma­tions de la présence de l’État, l’énorme richesse et l’épargne qui se sont accu­mulées pen­dant les années de la drogue, la panne des pro­jets d’informatisation et de ter­tiari­sa­tion, la général­i­sa­tion dévas­ta­trice (parce que sans aucun fil­tre) de la télévi­su­al­i­sa­tion de la société, le tra­vail qui appa­raît tou­jours plus comme une poten­tial­ité et ne parvient pas à arracher un revenu, la reprise actuelle de l’émigration avec le soft­ware dans la valise en car­ton à la place du saucis­son, et une explo­sion de l’immigration pour les travaux serviles et ceux de la terre, tout cela demande un nou­v­el effort d’élaboration, de lec­ture, d’intervention.

Mais un fait demeure: il n’y a jamais eu de proces­sus de mod­erni­sa­tion et de libéra­tion, d’avancées, de con­quête du bien-être capa­bles de mar­quer l’histoire de ce pays – des munic­i­pal­ités à l’idée de Nation, de la con­quête des droits de l’Homme à la fin des monar­chies, de la nais­sance des mou­ve­ments ouvri­ers et social­istes à la fin des total­i­tarismes – qui n’aient eu au Sud leurs lieux pro­pres. C’est de là qu’il nous fau­dra repar­tir.

dans ce chapitre« Lucia Mar­ti­ni et Oreste Scal­zone: phénomènes de lutte armée dans le ­mou­ve­ment et à ses margesFran­co Tom­mei et Pao­lo Pozzi: ces coups de feu qui tuèrent le mou­ve­ment à Milan »
  • 1
    En 1926, dans Alcu­ni temi del­la ques­tione merid­ionale, Anto­nio Gram­sci pointait l’écart de développe­ment entre le Sud et le Nord de l’Italie. La « ques­tion mérid­ionale » est dès lors dev­enue une prob­lé­ma­tique clas­sique du mou­ve­ment révo­lu­tion­naire ital­ien.
  • 2
    Dans ces com­munes de Cal­abre et de Sicile, pen­dant la péri­ode de l’unification ital­i­enne, de nom­breuses révoltes paysannes se sont opposées au sys­tème d’exploitation et de pro­duc­tion inten­sive lat­i­fon­di­aire
  • 3
    Pen­dant l’été 1970, des émeutes survi­en­nent à Reg­gio Cal­abria alors que l’administration prévoit de déplac­er le chef-lieu de région de Reg­gio à Catan­zaro. On compte 6 morts et plus de 50 blessés au terme du siège mil­i­taire que les forces armées et la police ont déployé durant dix mois. Une par­tie de Lot­ta con­tin­ua mis­era sur l’exemplarité de ces émeutes, comme en témoigne le film Dod­i­ci dicem­bre (1972) réal­isé avec Pier Pao­lo Pasoli­ni
  • 4
    « L’assemblée, qui compte env­i­ron 300 par­tic­i­pants, se tient à Cosen­za dans l’amphi jaune de l’université, les 23 et 24 octo­bre. C’est un moment impor­tant pour tout le Sud. Pour la pre­mière fois le Sud s’organise en coor­di­na­tion qui se donne des échéances, choisit ses pri­or­ités et définit les points chauds du Merid­ione. Mais surtout, le mou­ve­ment mérid­ion­al com­mence à se don­ner une iden­tité. Ce n’est pas un retour aux thès­es de Gram­sci, d’un Sud à l’abandon et qui veut pren­dre part à la poli­tique indus­trielle de la Nation, c’est tout le con­traire. C’est un Sud qui a pris acte de ses pro­pres ressources et qui compte en tir­er par­ti selon des principes ant­i­cap­i­tal­istes et anti-développe­ment. Les luttes à venir s’articuleront dans cette direc­tion », Francesco Cir­i­lo, « Mo’ Bas­ta » in Ser­gio Bianchi, Lan­fran­co Camini­ti (dir.), Gli Autono­mi, vol.1, op. cit
  • 5
    Fio­ra Pir­ri, Lan­fran­co Camini­ti, Sciroc­co, Col­let­ti­vo edi­to­ri­ale Sciroc­co, 1979
  • 6
    Le Officine mec­ca­niche cal­abre­si (OMe­Ca) sont une entre­prise de con­struc­tion fer­rovi­aire instal­lée en Cal­abre dans le cadre des pro­grammes de décen­tral­i­sa­tion de la pro­duc­tion impul­sés par l’État au début des années 1960
  • 7
    L’Italsider était un impor­tant groupe sidérurgique pub­lic ital­ien. L’usine de Tar­ente con­stru­ite au début des années 1960 et désor­mais pri­vatisée, reste l’une des plus grandes aciéries d’Europe
  • 8
    Habi­tants de la Basil­i­cate, située entre la Cal­abre, la Cam­panie et les Pouilles. « C’est vrai, nous n’avions pas, comme les plus chanceux cama­rades de Naples, Tar­ente ou Palerme, un “con­ti­nent d’autosuffisance” où vivre notre mil­i­tan­tisme de manière sim­ple­ment sta­ble : l’université, un grand pôle indus­triel ou une ville cap­i­tale. Notre mil­i­tan­tisme, au con­traire, était tou­jours un choix, un choix qui renou­ve­lait tou­jours le désir : par­tir sans s’en aller », Daniele Adamo, Anti­mo de San­tis, « I Lucani era­no i più dinam­i­ci » in Ser­gio Bianchi, Lan­fran­co Camini­ti (dir.), Gli autono­mi, vol. 1, op. cit
  • 9
    Bacoli est une com­mune située sur le golfe de Poz­zuoli, au Nord de Naples. Elle fait face à Bag­no­li, qui a con­nu une forte indus­tri­al­i­sa­tion au début du XXe siè­cle, avec notam­ment la con­struc­tion d’une aciérie du groupe Ital­sider.
  • 10
    Les fri­ariel­li sont des jeunes pouss­es de navet util­isées dans la cui­sine napoli­taine
  • 11
    La route départe­men­tale 407, dite Basen­tana, tra­verse toute la Basil­i­cate depuis Poten­za jusqu’à la Méditer­ranée
  • 12
    Comme on l’a vu précédem­ment, pour échap­per aux lois sur la presse et à l’obligation d’avoir un directeur de pub­li­ca­tion, l’usage était de pub­li­er un nom­bre indéter­miné de « numéros zéro »
  • 13
    À la dif­férence de l’operais­mo, dont les dif­férentes accep­tions réfèrent à l’histoire de la classe ouvrière, le terme ital­ien de fab­bric­chis­mo asso­cie ici le salut du Sud de l’Italie à l’implantation d’usines, qui avaient fait le suc­cès du « mir­a­cle économique » au Nord
  • 14
    Les Fas­ci sicil­iani dei lavo­ra­tori sont un mou­ve­ment pop­u­laire d’inspiration démoc­ra­tique et social­iste apparu en Sicile entre 1889 et 1894. Anto­nio Canepa et Andrea Finoc­chiaro Aprile étaient des lead­ers indépen­dan­tistes siciliens. Le pre­mier créa en 1945 une armée clan­des­tine l’Esercito volon­tario indipen­den­za del­la Sicil­ia (EVIS), le sec­ond le Movi­men­to indipen­den­tista sicil­iano
  • 15
    Anto­nio Labri­o­la (1843–1904) est un philosophe et homme poli­tique ital­ien, proche de Friedrich Engels et maître de Benedet­to Croce (1866–1952), philosophe, his­to­rien et homme poli­tique, auteur de Matéri­al­isme His­torique et Économie Marx­iste [1901]. Gal­vano del­la Volpe (1895–1968), dont on peut lire en français Rousseau, Marx et autres écrits, Gras­set, 1974, a eu une forte influ­ence sur le marx­isme ital­ien des années 1960, en par­ti­c­uli­er sur Mario Tron­ti : « Del­la Volpe démon­tait pièce par pièce, sans se préocup­per des obé­di­ences ortho­dox­es, la ligne cul­turelle des com­mu­nistes ital­iens. Con­fes­sons-le : pour nous libér­er du nation­al-pop­u­laire, nous restâmes attachés, sous son influ­ence, à un cer­tain aris­to­cratisme intel­lectuel », Mario Tron­ti, Nous opéraïstes, op. cit
  • 16
    LA SIR (Soci­età ital­iana resine) est une entre­prise de chimie indus­trielle instal­lée à Por­to Tor­res en Sar­daigne.
  • 17
    La FACE (Fab­bri­ca apparec­chia­ture per comu­ni­cazioni elet­triche) fab­ri­quait des équipements à usage essen­tielle­ment mil­i­taire
  • 18
    L’Autosole (autoroute A1) relie Milan, Bologne, Rome et Naples. Inau­gurée en 1964 sous le gou­verne­ment Moro, c’est la plus longue autoroute ital­i­enne
  • 19
    Sur l’État comme cap­i­tal­iste col­lec­tif voir notam­ment les analy­ses de Marx (Le Cap­i­tal, Livre II) et de Lénine (L’Impérialisme, stade suprême du cap­i­tal­isme, 1916), qui seront repris­es et pro­longées par Mario Tron­ti : « Quand la pro­duc­tion cap­i­tal­iste s’est général­isée à la société tout entière, la pro­duc­tion sociale est dev­enue, tout entière, pro­duc­tion du cap­i­tal – ce n’est qu’alors que naît sur ces bases une société cap­i­tal­iste pro­pre­ment dite comme fait his­torique­ment déter­miné. Le car­ac­tère social de la pro­duc­tion a atteint un tel niveau que la société tout entière rem­plit le rôle de moment de la pro­duc­tion […] Le cap­i­tal­iste col­lec­tif représente la forme que prend le pou­voir quand il est détenu par le cap­i­tal social, pou­voir de la société cap­i­tal­iste sur elle-même, l’autogouvernement du cap­i­tal, et par con­séquent de la classe des cap­i­tal­istes », Ouvri­ers et cap­i­tal, « Le plan du cap­i­tal », op. cit
  • 20
    En 1958, Sil­vio Milaz­zo est élu prési­dent de la région Sicile avec le sou­tien des com­mu­nistes, des social­istes, d’une par­tie des démoc­rates-chré­tiens, des monar­chistes et du MSI, met­tant en échec le can­di­dat offi­ciel de la DC. Le néol­o­gisme « milazz­is­mo » désigne depuis des alliances entre par­tis opposés visant à con­stituer une majorité de cir­con­stance
  • 21
    Homme poli­tique et his­to­rien né à Bari en 1939, Giuseppe Vac­ca a été mem­bre du comité cen­tral du PCI de 1972 à 1991, et député des Pouilles de 1983 à 1992
  • 22
    La Cas­sa del Mez­zo­giorno (en abrégé : « Cas­mez ») est une insti­tu­tion publique de finance­ment pour l’industrialisation des régions du Sud de l’Italie, créée en 1950.
  • 23
    L’IRI est l’Institut pour la recon­struc­tion indus­trielle ; l’EFIM, l’Établissement pour les par­tic­i­pa­tions et le finance­ment des indus­tries man­u­fac­turières ; l’ENI, l’Établissement nation­al des hydro­car­bu­res ; la Gepi, la Société pour les ges­tions et les par­tic­i­pa­tions indus­trielles, dont la mis­sion « publique » con­sis­tait à entr­er au cap­i­tal de sociétés privées en crise
  • 24
    Banque Européenne d’Investissement
  • 25
    « La méta­mor­phose des sys­tèmes soci­aux en Occi­dent, dans les années 1930, a par­fois été désignée par une expres­sion à la fois claire et en apparence para­doxale : social­isme du cap­i­tal. On fait allu­sion ain­si au rôle déter­mi­nant assumé par l’État dans le cycle économique, à la fin du laiss­er-faire libéral­iste, aux proces­sus de cen­tral­i­sa­tion et de plan­i­fi­ca­tion menés par l’industrie publique, aux poli­tiques du plein-emploi, aux débuts de l’État prov­i­dence (du Wel­fare). […] C’est l’expression com­mu­nisme du cap­i­tal qui résume le mieux la méta­mor­phose des sys­tèmes soci­aux en Occi­dent dans les années 1980 et 90. Cela veut dire que l’initiative cap­i­tal­iste orchestre à son pro­pre avan­tage les con­di­tions matérielles et cul­turelles mêmes qui assurent le réal­isme tran­quille de la per­spec­tive com­mu­niste », Pao­lo Virno, Gram­maire de la mul­ti­tude, Thèse 10 : Le post­fordisme est le « com­mu­nisme du cap­i­tal », L’éclat, 2002.
  • 26
     Fio­ra Pir­ri, Lan­fran­co Camini­ti, Dirit­to alla guer­ra, Edi­zioni Sciroc­co, 1981. La notion de cap­i­tal-argent, qui appa­raît dans Le Cap­i­tal de Marx (Livre II) con­stitue un piv­ot de l’analyse du mode de pro­duc­tion cap­i­tal­iste dans L’Anti-Œdipe de Gilles Deleuze et Félix Guat­tari (Minu­it, 1972) : « le cap­i­tal-argent est cette “axioma­tique des quan­tités abstraites” qui s’impose à tout le réel, c’est le monde social organ­isé selon la rela­tion de pou­voir créancier/débiteur, en dehors du sys­tème d’exploitation lié spé­ci­fique­ment au tra­vail. Par-delà le fordisme et la péri­ode indus­trielle du cap­i­tal­isme, c’est aus­si bien le marché que la mon­naie qui sont la vraie police du cap­i­tal­isme ». Pour une relec­ture con­tem­po­raine de cette prob­lé­ma­tique de l’argent-dette chez Deleuze et Guat­tari, voir Mau­r­izio Laz­zara­to, Gou­vern­er par la dette, Les Prairies ordi­naires, 2014
  • 27
     La loi n° 285 de juin 1977 pré­tend dans son arti­cle 1 : « Favoris­er l’emploi des jeunes dans les activ­ités agri­coles, arti­sanales, com­mer­ciales, indus­trielles et de ser­vice […] Financer des pro­grammes régionaux de tra­vail pro­duc­tif pour des pro­jets et des ser­vices sociale­ment utiles, avec une atten­tion par­ti­c­ulière au secteur agri­cole et aux pro­grammes de ser­vices et pro­jets prévus par les admin­is­tra­tions cen­trales »
  • 28
    La Cip-Zoo était une immense usine de la fil­ière porcine, instal­lée en Basil­i­cate dans la périphérie de Poten­za. Elle com­pre­nait 20 000 m² de cabanons ami­antés, conçus pour les besoins de l’élevage inten­sif de cochons
  • 29
    L’Opera Sila est une opéra­tion de val­ori­sa­tion du haut plateau de la Sila, en Cal­abre, mise en place après la Sec­onde Guerre dans le cadre de la réforme agraire
  • 30
    Le 6 avril 1978, c’est à Lico­la près de Naples que l’auteur de ce texte est arrêté, avec Fio­ra Pir­ri, Davide Sac­co et Ugo Melchin­da