La naissance des Brigades rouges

Les luttes de l’automne 1969 et celles du print­emps 1970 provo­quent une véri­ta­ble crise de régime. Pour endiguer la con­flict­ual­ité ouvrière et sociale, le patronat et les ser­vices occultes de l’appareil d’État avaient misé sur deux phénomènes: la mon­tée en légitim­ité du syn­di­cat d’une part, la « stratégie des bombes » et la bru­tal­ité de la répres­sion de l’autre. Ils sont à présent con­traints de chercher de nou­velles médi­a­tions. Agnel­li en arrive même à augur­er que « les syn­di­cats et les entre­pre­neurs se met­tent d’accord sur la défense com­mune de cer­tains objec­tifs, le cas échéant con­tre le pou­voir poli­tique lui-même […] ».

La loi sur le « statut des tra­vailleurs » et l’instauration des con­seils d’usine sont une ten­ta­tive sup­plé­men­taire pour enfer­mer le mou­ve­ment dans de nou­velles formes de représen­ta­tion, pour fix­er de nou­velles règles du jeu. Mais pour l’essentiel, l’autonomie ouvrière con­tin­ue de ne respecter aucune règle, elle parvient même à détourn­er les nou­velles struc­tures représen­ta­tives pour asseoir son indépen­dance par rap­port aux cen­trales syn­di­cales

1 La loi sur le « Statut des tra­vailleurs » adop­tée en 1970, sera suiv­ie en 1972 par l’instauration de « Con­seils d’usines », instances syn­di­cales élec­tives dotées d’un pou­voir de négo­ci­a­tion. Lire à ce pro­pos dans ce chapitre – Prob­lé­ma­tiques du mou­ve­ment ouvri­er, notam­ment la note 63, p. 403

.

Du côté des mil­i­tants de Potere operaio, de Lot­ta con­tin­ua et du CPM (devenu Sin­is­tra pro­le­taria), le spec­tre d’un tour­nant réac­tion­naire et autori­taire de l’appareil d’État fait l’objet d’analyses de plus en plus poussées et de plus en plus pré­cis­es. On ressent une urgence crois­sante à se dot­er des moyens d’y résis­ter, de struc­tures politi­co-mil­i­taires non seule­ment défen­sives mais aus­si poten­tielle­ment offen­sives.

L’été 1969, l’éditeur Gian­gia­co­mo Fel­trinel­li pub­lie un opus­cule où la men­ace d’un « coup d’État » est sérieuse­ment évo­quée. L’ouvrage, inti­t­ulé Estate 69. La minac­cia incombente di una svol­ta rad­i­cale autori­taria a destra, di un colpo di sta­to all’italiana2 « Été 1969. La men­ace immi­nente d’un virage rad­i­cal autori­taire à droite, d’un coup d’État à l’italienne ». Ce texte a été réédité chez Fel­trinel­li en 2012, fait grand bruit. Il le doit pour par­tie au texte du romanci­er grec Vas­sili Vas­sil­likos qui fig­ure en appen­dice sous le titre En Grèce non plus, nous ne croyions pas que c’était pos­si­ble, par référence au coup d’État sanglant qui avait écrasé les mou­ve­ments et porté les « colonels » au pou­voir avec la com­plic­ité des ser­vices secrets améri­cains.

Mais si le mou­ve­ment se mil­i­tarise, ce n’est pas sim­ple­ment ou pas seule­ment par crainte d’un coup d’État. Avec le « mas­sacre d’État », la bour­geoisie a choisi de déplac­er le con­flit sur le ter­rain mil­i­taire et ce con­stat, omniprésent dans les analy­ses, a chez les mil­i­tants de fortes réper­cus­sions théoriques et idéologiques. On se réfère de plus en plus à la guéril­la urbaine lati­no-améri­caine (surtout aux Tupa­maros uruguayens) et à la théorie de la métro­pole comme cen­tre du com­man­de­ment cap­i­tal­iste. Dans le texte rédigé à Chi­avari, le CPM écrit:

« La dimen­sion sociale de la lutte est le niveau ultime de son développe­ment: la lutte con­tre la répres­sion général­isée con­stitue déjà un moment révo­lu­tion­naire […]. La bour­geoisie a d’ores et déjà choisi l’illégalité. La longue marche révo­lu­tion­naire dans la métro­pole est la seule réponse adéquate.

Elle doit com­mencer ici et main­tenant. […]

On n’a pas suff­isam­ment pen­sé à ce que pou­vait sig­ni­fi­er un proces­sus révo­lu­tion­naire dans le con­texte mét­ro­pol­i­tain du cap­i­tal­isme avancé. On ne peut y trans­pos­er ni les mod­èles révo­lu­tion­naires du passé, ni ceux qui pré­va­lent aujourd’hui dans les régions périphériques […].

a) Dans les zones mét­ro­pol­i­taines nord-améri­caines et européennes, les con­di­tions objec­tives du pas­sage au com­mu­nisme sont déjà là: la lutte doit s’attacher pour l’essentiel à en créer les con­di­tions sub­jec­tives […] ;

b) À l’heure où struc­ture et super­struc­ture ten­dent de plus en plus à coïn­cider, le proces­sus révo­lu­tion­naire doit être appréhendé de manière glob­ale, dans ses aspects à la fois poli­tiques et “cul­turels”. Cela implique la mod­i­fi­ca­tion des rap­ports entre les mou­ve­ments de masse et l’organisation révo­lu­tion­naire, et par con­séquent la mod­i­fi­ca­tion des principes d’organisation.

La ville représente aujourd’hui le cœur du sys­tème, elle est le cen­tre où s’organise l’exploitation économique et poli­tique, elle est la vit­rine où s’exhibe le “but à attein­dre”, le mod­èle qui est cen­sé motiv­er l’intégration pro­lé­tari­enne. Mais c’est aus­si son mail­lon faible: c’est dans la ville que les con­tra­dic­tions écla­tent de la manière la plus fla­grante, c’est là où le chaos organ­isé, qui est le pro­pre de la société cap­i­tal­iste avancée, est le plus évidem­ment per­cep­ti­ble.

C’est là, au cœur du sys­tème, qu’il faut frap­per.

La ville doit devenir pour l’adversaire, pour ces hommes qui exer­cent un pou­voir chaque jour plus hos­tile et plus étranger à l’intérêt des mass­es, un ter­rain mou­vant. Nous pou­vons con­trôler cha­cun de leurs gestes, dénon­cer cha­cun de leurs abus, révéler au grand jour chaque col­lu­sion entre le pou­voir économique et le pou­voir poli­tique

3 Soc­cor­so rosso, Brigate rosse…, op. cit

. »

Du reste, pour qui veut la regarder avec une cer­taine dose d’utopie, il sem­ble que la lutte armée pro­gresse partout dans le monde: dans cer­tains con­flits en Amérique du nord, dans les métrop­o­les lati­no-améri­caines, dans la lutte des Pales­tiniens qui s’intensifie, et surtout au cœur de l’Europe, en Alle­magne, où la RAF a com­mencé à agir avec une grande effi­cac­ité

4 La Frac­tion armée rouge (Rote Armee Frak­tion) est une organ­i­sa­tion clan­des­tine qui agit en Alle­magne fédérale à par­tir de 1970. Voir La « Bande à Baad­er » ou la vio­lence révo­lu­tion­naire, Champ Libre, 1972

. On peut lire dans l’ultime numéro de Sin­is­tra pro­le­taria, en octo­bre 1970:

« La guéril­la est à présent sor­tie de sa phase ini­tiale […], on ne peut plus la con­sid­ér­er comme un sim­ple déto­na­teur […], elle est aujourd’hui l’unique visée stratégique qui soit en mesure de dépass­er la per­spec­tive insur­rec­tion­nelle, désor­mais inadéquate […], elle pénètre dans les métrop­o­les en don­nant au pro­lé­tari­at mon­di­al une forme com­mune de lutte et de stratégie. Le Cap­i­tal uni­fie le monde dans son pro­jet de con­tre-révo­lu­tion armée; le pro­lé­tari­at s’unit dans la guéril­la au niveau mon­di­al.

L’ITALIE ET L’EUROPE NE SONT PAS DES EXCEPTIONS DE ­L’HISTOIRE

5 Soc­cor­so rosso, Brigate rosse…, op. cit

. »

C’est ain­si qu’en févri­er 1971 s’achève la brève exis­tence de Sin­is­tra pro­le­taria. Les cama­rades qui avaient porté cette expéri­ence légale l’ont con­sumée en l’espace de quelques mois. La clan­des­tinité appa­raît désor­mais comme son débouché naturel.

Les autres groupes, au demeu­rant, con­fir­ment dans leurs analy­ses de la sit­u­a­tion la néces­sité de hauss­er le niveau de l’affrontement. Lot­ta con­tin­ua en par­ti­c­uli­er, qui, avec Potere operaio, est mas­sive­ment présente dans les usines turi­nois­es, sem­ble pencher pour un usage général­isé de la « jus­tice pro­lé­taire » (par oppo­si­tion à la jus­tice bour­geoise) et pose résol­u­ment la ques­tion du con­tre-pou­voir ouvri­er. C’est à ce moment que les chan­sons de lutte font leur appari­tion dans les man­i­fes­ta­tions, à la fois pour ryth­mer les cortèges et pour énon­cer de manière con­cise le sens de la lutte:

La Ballata della Fiat (Alfredo Bandelli)

Mon­sieur le Patron, cette fois

pour toi c’est sûr ça va mal se pass­er

nous sommes fatigués d’attendre

que tu nous fass­es crev­er à la tâche.

Nous, on con­tin­ue à boss­er

et les syn­di­cats vien­nent nous dire

qu’il faut encore réfléchir

mais de lut­ter, on n’en par­le jamais.

Mon­sieur le Patron, on s’est réveil­lés

et cette fois on va livr­er bataille

et cette fois nous serons les seuls

à décider com­ment nous voulons lut­ter.

Regarde le jaune comme il se débine

écoute le silence dans les ate­liers

peut-être que demain tu n’entendras plus

que le bruit de la mitraille!

Mon­sieur le Patron, cette fois

pour toi c’est sûr ça va mal se pass­er

à par­tir de main­tenant si tu veux négoci­er

tu vas t’apercevoir que ça n’est plus pos­si­ble.

Et cette fois tu ne pour­ras pas nous acheter

avec cinq lires d’augmentation

si tu nous en offres dix nous en voulons cent

si tu nous en offres cent nous en voulons mille.

Mon­sieur le Patron, tu n’as pas réus­si à nous rouler

avec tes inven­tions, avec les délégués

tous tes pro­jets sont éven­tés

et nous, on lutte con­tre toi.

Les qual­i­fi­ca­tions et les caté­gories

nous voulons qu’elles soient toutes abolies

les divi­sions, c’en est fini

à la chaîne nous sommes tous égaux!

Mon­sieur le Patron, cette fois

on a appris à lut­ter

on l’a mon­tré à Mirafiori

on le mon­tr­era dans toute l’Italie.

Et quand nous sommes descen­dus dans la rue

tu t’attendais à un enter­re­ment

mais ça s’est vrai­ment mal passé

pour ceux qui voulaient nous enfumer.

On en a vu vrai­ment beau­coup

des matraques et des boucliers romains

mais on a aus­si vu telle­ment de mains

qui allaient chercher leur pavé.

Toute la Turin pro­lé­taire

à la vio­lence poli­cière

réplique désor­mais sans crainte

les luttes à men­er seront dures!

À bas les bureau­crates et les patrons

que voulons-nous? Nous voulons tout!

la lutte con­tin­ue à Mirafiori

et le Com­mu­nisme tri­om­phera!

À bas les bureau­crates et les patrons

que voulons-nous? Nous voulons tout!

la lutte con­tin­ue en usine et ailleurs

et le Com­mu­nisme tri­om­phera!

L’ora del fucile (Pino Masi et Piero Nissim)

Le monde entier est en train d’exploser

de l’Angola à la Pales­tine

L’Amérique latine com­bat

la lutte armée gagne en Indo­chine

dans le monde entier les peu­ples

sont gag­nés par la con­science

et ils descen­dent dans la rue

pleins d’une juste vio­lence – et donc

Que veux-tu de plus cama­rade

pour com­pren­dre

qu’a son­né l’heure

du fusil

L’Amérique des Nixon

Agnew et Mac­Na­ma­ra

dans les jun­gles du Viet­nam

est en train de pren­dre une leçon

les peu­ples n’aiment pas

la civil­i­sa­tion du napalm

tant qu’il y aura des patrons

il n’y aura pas de paix

la paix des patrons

arrange bien les patrons

la coex­is­tence est une arnaque

pour nous faire tenir bien sages – et donc

Que veux-tu de plus cama­rade…

En Espagne et en Pologne les ouvri­ers

nous appren­nent que la lutte n’a jamais con­nu de trêve

con­tre les patrons unis, con­tre le cap­i­tal­isme

même s’il est déguisé en pseu­do-social­isme

les ouvri­ers polon­ais quand ils étaient en grève

cri­aient dans les man­i­fs « police-gestapo »

ils cri­aient « Gomul­ka pour toi ça finit mal »

ils mar­chaient en chan­tant l’Internationale – et donc

Que veux-tu de plus cama­rade…

Les mass­es même en Europe ne restent plus pas­sives

la lutte partout s’embrase, on ne peut l’arrêter

l’heure est aux bar­ri­cades de Bur­gos à Set­ti­no

partout et même ici d’Avola à Turin

d’Orgosolo à Marghera, de Bat­ti­paglia à Reg­gio

la lutte dure est en marche les patrons seront vain­cus – et donc

Que veux-tu de plus cama­rade…

Les pre­mières actions des Brigades rouges, à l’automne 1970, ne con­nais­sent aucun reten­tisse­ment par­ti­c­uli­er. Ce n’est qu’en jan­vi­er 1971, avec l’incendie de la piste de Lainate, qu’elles vont devenir l’objet de toutes les atten­tions, sur le plan nation­al.

« La nuit du 25 jan­vi­er 1971, un com­man­do place une bombe incen­di­aire sous cha­cun des huit semi-remorques garés sur la piste d’essais de pneu­ma­tiques de l’usine Pirelli. Trois camions sont entière­ment détru­its. Les cinq autres, en rai­son d’un défaut de fab­ri­ca­tion des bombes, et surtout à cause de l’humidité, demeurent intacts. À l’entrée de la piste, on retrou­ve une feuille de papi­er qui porte l’inscription: DELLA TORRE-CONTRAT-RÉDUCTIONS DE SALAIRE-MAC MAHON-BRIGADES ROUGES

6 Ibi­dem

. »

Ce mes­sage télé­graphique fait référence à un ouvri­er licen­cié de l’usine Pirelli, à la lutte en cours dans cette usine, et à la grande occu­pa­tion de loge­ments qui a lieu au même moment à Milan.

Le Cor­riere del­la Sera fait grand cas de cet épisode. Il lui con­sacre un arti­cle sur cinq colonnes où, peut-être pour la pre­mière fois, les Brigades rouges sont qual­i­fiées de « fan­toma­tique organ­i­sa­tion extra­parlemen­taire ».

Le PCI et L’Unità, qui n’avaient rien dit des précé­dentes actions, min­imisent. Leur con­damna­tion tient dans un entre­filet: « Ceux qui ont per­pétré [cet atten­tat] ont beau se cacher der­rière d’anonymes tracts à la phraséolo­gie révo­lu­tion­naire, ils n’en agis­sent pas moins pour le compte de ceux qui, tel Pirelli lui-même, ont intérêt à ce que la lutte respon­s­able des tra­vailleurs pour la rené­go­ci­a­tion de leur con­trat, appa­raisse aux yeux de l’opinion publique comme une série d’actes de van­dal­isme. »

Dans un com­mu­niqué, le PCI enjoint les tra­vailleurs à se débar­rass­er eux-mêmes des provo­ca­teurs: « Lorsque de tels actes ont lieu, les tra­vailleurs doivent être les pre­miers à agir pour les éradi­quer, par les moyens les plus adéquats à la nature des actes qui ont été per­pétrés

7 Ibi­dem. Ce sont les auteurs qui soulig­nent

. » L’invitation à main­tenir l’ordre en recourant à la vio­lence ne saurait être plus explicite et con­sonne par­faite­ment avec une précé­dente déc­la­ra­tion syn­di­cale qui qual­i­fi­ait les BR de « fan­faron­nade provo­ca­trice de pur style fas­ciste ».

La réac­tion de Lot­ta con­tin­ua est néga­tive elle aus­si. Le groupe juge l’action « exem­plaire », c’est-à-dire coupée des mass­es, et objec­tive­ment provo­ca­trice. Voici ce que dit son com­mu­niqué: « Juste­ment parce que les mass­es pro­lé­taires n’ont pas besoin qu’on leur explique qu’il faut recourir à la vio­lence, et donc que les actions exem­plaires ne sont pas néces­saires […], l’organisation mil­i­taire des mass­es ne se con­stru­it pas dès lors que quelques groupes com­men­cent à men­er des actions mil­i­taires […]. Elle se con­stru­it à par­tir de l’existence d’organisations poli­tiques de masse, sta­bles et autonomes

8 Ibi­dem

. »

Quoi qu’il en soit, les actions des Brigades rouges se mul­ti­plient, en par­ti­c­uli­er à Milan. Depuis l’arrêt de la pub­li­ca­tion de Sin­is­tra pro­le­taria, c’est le jour­nal Nuo­va resisten­za qui représente le mieux leur point de vue. Il emprunte son titre à un texte de la Gauche pro­lé­tari­enne, l’organisation la plus rad­i­cale qu’ait pro­duit le Mai français, qui avait pra­tiqué des formes de lutte clan­des­tine avant d’être inter­dite. Il suf­fit de lire le texte pro­gram­ma­tique de la Gauche pro­lé­tari­enne pour com­pren­dre les affinités pro­fondes qui le lient à la nou­velle pra­tique de Sin­is­tra pro­le­taria: « Notre poli­tique portera un nom: NOUVELLE RÉSISTANCE: la lutte vio­lente, pop­u­laire, des par­ti­sans. […] L’heure de la guéril­la a son­né

9 Ibi­dem. Cette cita­tion, légère­ment remaniée, est vraisem­blable­ment tirée du texte de la Gauche pro­lé­tari­enne : De la lutte vio­lente de par­ti­sans. Ques­tions du réa­juste­ment stratégique, mars 1970 : « Si nous appliquons avec justesse notre poli­tique, l’attaque de l’ennemi sera brisée et l’espoir dans le peu­ple portera un nom : NOUVELLE RESISTANCE. […] Dans les régions-usines où les mass­es sont pour nous comme la forêt et la jun­gle qui nous cachent, il faut men­er le tra­vail de pro­pa­gande poli­tique tout en pour­suiv­ant la guéril­la. » Ce texte, ain­si que d’autres doc­u­ments de la GP, sont disponibles en ligne sur archivescom­mu­nistes

. »

Nuo­va resisten­za paraît pour la pre­mière fois en 1971. Sous le titre, le mot d’ordre « Pro­lé­taires de tous les pays unis­sez-vous » est flan­qué du sym­bole de Sin­is­tra pro­le­taria: fau­cille, marteau et fusils croisés. Le péri­odique, qui se définit comme « le jour­nal com­mu­niste de la nou­velle résis­tance », envoie (à com­mencer par son titre) une série de sig­naux qui font mouche jusque dans les rangs de la base du PCI. On se sou­vient en effet que depuis les années 1950, tout un courant poli­tique d’anciens par­ti­sans et de mil­i­tants regarde d’un œil très cri­tique les suites que le PCI a choisi de don­ner à la Résis­tance, laque­lle aurait dû à leur sens se pro­longer par un con­flit de classe général­isé jusqu’à l’instauration d’un État social­iste. Con­for­mé­ment à ces objec­tifs, beau­coup de par­ti­sans n’avaient pas ren­du les armes après la défaite du fas­cisme et, au cours des années 1950, les cara­biniers et la police avaient retrou­vé (le plus sou­vent dans des vil­lages de mon­tagne, mais aus­si dans les sous-sols de cer­taines usines) des cen­taines de fusils, de mortiers et de revolvers. Naturelle­ment, ces anciens par­ti­sans étaient à force devenus un peu mythiques et imag­i­naires, mais il ne fait pas de doute qu’au moins en juil­let 1960 ils étaient descen­dus armés dans la rue. Dani­lo Mon­tal­di, dans son Mil­i­tan­ti politi­ci di base, nomme cette ten­dance « sot­tovoce », en un ingénieux jeu de lan­gage qui emprunte au par­ler ouvri­er: sot­tovoce était en effet le surnom du tra­di­tion­nel petit verre de grap­pa que les ouvri­ers pre­naient le matin avant d’aller à l’usine et dont la vente était inter­dite avant 8 heures

10 « Lorsque les cheminots, ou les ouvri­ers de la houil­lère, ou les ter­rassiers doivent, l’hiver, tra­vailler à l’extérieur, ils font un saut dès qu’il le peu­vent au bistrot voisin et ils deman­dent un « sot­tovoce », parce que le matin, sa vente est inter­dite. À l’intérieur du par­ti, « sot­tovoce » est devenu le terme qui évoque l’autre pos­si­bil­ité, celle de la prise révo­lu­tion­naire du pou­voir », Dani­lo Mon­tal­di, Mil­i­tan­ti politi­ci di base, op. cit

.

Comme on peut s’en douter, cet imag­i­naire s’était peu à peu imposé aux nou­velles généra­tions de mil­i­tants de base. Et la révéla­tion pro­gres­sive de la ligne « col­lab­o­ra­tionniste » de la direc­tion du PCI vis-à-vis du néo­cap­i­tal­isme nais­sant et du gou­verne­ment de cen­tre-gauche n’était pas pour atténuer ce proces­sus.

On se trans­met­tait orale­ment l’histoire de la Volante rossa, ce groupe para­mil­i­taire act­if à Milan et dans le nord de l’Italie dans l’immédiat après-guerre. Des phénomènes sem­blables étaient apparus dans d’autres régions du Nord, comme la Lig­urie et l’Émilie, là où les tra­di­tions par­ti­sane et com­mu­niste étaient les plus fortes. C’est d’ailleurs à Reg­gio Emil­ia qu’une scis­sion du PCI et de la FGCI fini­ra par rejoin­dre les Brigades rouges.

Alber­to Frances­chi­ni a fait par­tie de ce groupe. Ce mil­i­tant, qui avait par­ticipé à la rédac­tion de Sin­is­tra pro­le­taria, était issu d’une des familles his­toriques de la tra­di­tion com­mu­niste de Reg­gio: sa grand-mère avait dirigé une sec­tion du syn­di­cat agri­cole en 1922, son grand-père antifas­ciste avait passé une bonne par­tie de sa vie en exil, son père, après avoir été déporté à Auschwitz et s’en être évadé, avait fait par­tie des Squadre di azione par­ti­giana

11 Les SAP sont un groupe de résis­tants armés fondé en 1944

. Fab­rizio Pel­li (qui mour­ra en prison) et Pros­pero Gal­li­nari y ont égale­ment par­ticipé. D’autres comme Azzoli­ni, Rober­to Ognibene et Fran­co Bon­isoli fréquentent le « Col­let­ti­vo politi­co operai e stu­den­ti », plus con­nu sous le nom de « Grup­po dell’appartemento », du nom du local informel où ses mem­bres se réu­nis­saient après leur sor­tie des organ­i­sa­tions de la gauche offi­cielle.

Le « Groupe » se rap­proche de Cur­cio et de Sin­is­tra pro­le­taria courant 1970 et finit par par­ticiper à la fon­da­tion des Brigades rouges (même si tous ses mem­bres ne font pas ce choix). D’autres mil­i­tants, orig­i­naires de la région de Novara et surtout des quartiers ouvri­ers de Milan et de Turin, provi­en­nent d’expériences ana­logues, ancrées dans la tra­di­tion com­mu­niste

12 Sur la fon­da­tion des BR, l’histoire des « pre­mières colonnes », leur implan­ta­tion dans les usines du Nord de l’Italie et leurs liens avec les milieux com­mu­nistes « dis­si­dents », voir Mario Moret­ti (avec Rossana Rossan­da et Car­la Mosca), Brigate rosse, Une his­toire ital­i­enne, op. cit., en par­ti­c­uli­er le chapitre « De l’usine à la clan­des­tinité », ain­si que Rena­to Cur­cio, À Vis­age décou­vert, Lieu com­mun, 1993

.

Pen­dant sa courte exis­tence (deux numéros en trois mois), Nuo­va resisten­za entend jouer un rôle de porte-voix pour tous les groupes spon­tanés ou clan­des­tins qui s’accordent sur la néces­sité de s’opposer par la vio­lence à la con­tre-révo­lu­tion armée bour­geoise. Le jour­nal pub­lie les com­mu­niqués des BR, mais aus­si ceux d’autres groupes, et notam­ment, dès le pre­mier numéro, ceux des Grup­pi d’azione par­ti­giana (GAP).

dans ce chapitre« Les orig­ines pos­si­bles de la « ten­dance armée »Les GAP et Fel­trinel­li »
  • 1
    La loi sur le « Statut des tra­vailleurs » adop­tée en 1970, sera suiv­ie en 1972 par l’instauration de « Con­seils d’usines », instances syn­di­cales élec­tives dotées d’un pou­voir de négo­ci­a­tion. Lire à ce pro­pos dans ce chapitre – Prob­lé­ma­tiques du mou­ve­ment ouvri­er, notam­ment la note 63, p. 403
  • 2
    « Été 1969. La men­ace immi­nente d’un virage rad­i­cal autori­taire à droite, d’un coup d’État à l’italienne ». Ce texte a été réédité chez Fel­trinel­li en 2012
  • 3
    Soc­cor­so rosso, Brigate rosse…, op. cit
  • 4
    La Frac­tion armée rouge (Rote Armee Frak­tion) est une organ­i­sa­tion clan­des­tine qui agit en Alle­magne fédérale à par­tir de 1970. Voir La « Bande à Baad­er » ou la vio­lence révo­lu­tion­naire, Champ Libre, 1972
  • 5
    Soc­cor­so rosso, Brigate rosse…, op. cit
  • 6
    Ibi­dem
  • 7
    Ibi­dem. Ce sont les auteurs qui soulig­nent
  • 8
    Ibi­dem
  • 9
    Ibi­dem. Cette cita­tion, légère­ment remaniée, est vraisem­blable­ment tirée du texte de la Gauche pro­lé­tari­enne : De la lutte vio­lente de par­ti­sans. Ques­tions du réa­juste­ment stratégique, mars 1970 : « Si nous appliquons avec justesse notre poli­tique, l’attaque de l’ennemi sera brisée et l’espoir dans le peu­ple portera un nom : NOUVELLE RESISTANCE. […] Dans les régions-usines où les mass­es sont pour nous comme la forêt et la jun­gle qui nous cachent, il faut men­er le tra­vail de pro­pa­gande poli­tique tout en pour­suiv­ant la guéril­la. » Ce texte, ain­si que d’autres doc­u­ments de la GP, sont disponibles en ligne sur archivescom­mu­nistes
  • 10
    « Lorsque les cheminots, ou les ouvri­ers de la houil­lère, ou les ter­rassiers doivent, l’hiver, tra­vailler à l’extérieur, ils font un saut dès qu’il le peu­vent au bistrot voisin et ils deman­dent un « sot­tovoce », parce que le matin, sa vente est inter­dite. À l’intérieur du par­ti, « sot­tovoce » est devenu le terme qui évoque l’autre pos­si­bil­ité, celle de la prise révo­lu­tion­naire du pou­voir », Dani­lo Mon­tal­di, Mil­i­tan­ti politi­ci di base, op. cit
  • 11
    Les SAP sont un groupe de résis­tants armés fondé en 1944
  • 12
    Sur la fon­da­tion des BR, l’histoire des « pre­mières colonnes », leur implan­ta­tion dans les usines du Nord de l’Italie et leurs liens avec les milieux com­mu­nistes « dis­si­dents », voir Mario Moret­ti (avec Rossana Rossan­da et Car­la Mosca), Brigate rosse, Une his­toire ital­i­enne, op. cit., en par­ti­c­uli­er le chapitre « De l’usine à la clan­des­tinité », ain­si que Rena­to Cur­cio, À Vis­age décou­vert, Lieu com­mun, 1993