Les collectifs politiques de Vénétie

Cette con­tri­bu­tion s’inscrit dans une recherche plus vaste sur la mémoire, ini­tiée par un groupe de tra­vail con­sti­tué à la Fon­da­tion Bruno Pici­ac­chia – Librairie Calus­ca de Padoue. Il ne s’agit donc pas d’une recon­struc­tion exhaus­tive, mais de notes qui seront ultérieure­ment dévelop­pées à la lumière des nom­breux fonds et matéri­aux encore inédits : les témoignages oraux recueil­lis, les (rares) livres disponibles, les revues, les jour­naux, les brochures et les tracts du mou­ve­ment con­servés à la Fon­da­tion, ain­si qu’une revue de presse des jour­naux locaux de l’époque. Nous avons en out­re util­isé les doc­u­ments issus du Sémi­naire auto­géré inter-uni­ver­si­taire sur les années 1970, qui s’est tenu à la Fac­ulté des Sci­ences poli­tiques de l’Université de Padoue en 1993–1994 [N.d.A.]

Tous les mou­ve­ments qui ont tra­ver­sé les « longues années 1970 » ital­i­ennes ont procédé d’une spé­ci­ficité ter­ri­to­ri­ale dont il est impos­si­ble de ne pas tenir compte. Le con­texte dans lequel les dif­férents sujets antag­o­nistes ont agi a mar­qué de manière déci­sive ces expéri­ences et leurs évo­lu­tions. Cela est d’autant plus vrai lorsqu’on exam­ine l’expérience qui s’est déroulée en Vénétie, avec un pre­mier axe, de 1967 à 1973, cen­tré sur le pôle indus­triel de pétrochimie de Por­to Marghera, et un sec­ond, de 1974 à 1979, sur la ville de Padoue. Épisodes sig­ni­fi­cat­ifs, au point d’attirer – en même temps que l’opération politi­co-­ju­di­ci­aire du 7 avril

1 Le 7 avril 1979, le sub­sti­tut du pro­cureur de Padoue ordonne l’arrestation des « chefs de l’autonomie ». Cet événe­ment « peut être con­sid­éré comme la date d’instauration – spec­tac­u­laire, résolue et désor­mais sta­ble – de l’état d’urgence judi­ci­aire. L’opération de police con­sti­tu­ait en fait une “rafle judi­ci­aire” […] Arrêtés dans dif­férentes villes d’Italie, les vingt et un inculpés du 7 avril ne se voy­aient pas imput­er de dél­its cir­con­stan­ciés ; ils étaient plutôt désignés comme “les chefs”, “les intel­lectuels” de la mou­vance de l’autonomie ouvrière, les “mau­vais maîtres” de la sub­ver­sion et de la lutte armée », Pao­lo Per­sichet­ti et Oreste Scal­zone, La Révo­lu­tion et l’État, op. cit. Voir égale­ment Chapitre 12 – Les années du cynisme, de l’opportunisme et de la peur

– l’intérêt mor­bide de grandes sig­na­tures du monde de la presse, de soci­o­logues et d’intellectuels, et de mérit­er par la suite, à l’intérieur même de l’« anom­alie ital­i­enne » du long Mai 68, le qual­i­fi­catif d’« anom­alie véni­ti­enne ».

Là encore, il s’agit de redonner voix, en par­ti­c­uli­er à l’encontre des recon­struc­tions judi­ci­aires, à une mul­ti­plic­ité de sujets et d’expériences qui se lais­sent dif­fi­cile­ment réduire à un par­cours unique et à une com­po­si­tion de classe homogène. Si beau­coup a été dit et écrit au sujet de la pre­mière expéri­ence de lutte et d’organisation, liée à la fig­ure sociale de l’ouvrier-masse dans les usines de la grande con­cen­tra­tion indus­trielle de Mestre-Marghera dans les années 1960 et 1970, il ne reste presqu’aucun témoignage (excep­tion faite des actes du procès « 7 avril, colonne véni­ti­enne ») au sujet des expéri­ences qui ont suivi à Padoue

2 On peut désor­mais se reporter à l’article de Mar­cel­lo Tarì, « I Col­let­tivi politi­ci veneti per il potere operaio », in Ser­gio Bianchi, Lan­fran­co Camini­ti (dir.), Gli autono­mi, vol. 1, op. cit., et en français à l’ouvrage de Devi Sac­chet­to et Gian­ni Sbro­gio, Pou­voir ouvri­er à Por­to Marghera, op. cit.

.

Au cours de ces années, la ville et la province de Padoue seront au cen­tre d’un sin­guli­er mélange, entre les spé­ci­ficités pro­duc­tives d’un ter­ri­toire (mar­qué par la présence d’une petite et moyenne indus­trie déjà forte­ment décen­tral­isée dans les lab­o­ra­toires du tra­vail au noir, et par une ville où le rôle de l’université était et demeure décisif), une com­po­si­tion de classe en voie de trans­for­ma­tion pro­fonde, et une pra­tique orig­i­nale de l’organisation poli­tique et de l’« usage de la force ».

On ten­tera ici d’ébaucher quelques pistes, en assumant un point de vue tout à fait sub­jec­tif et par­ti­san, sur ce que furent les acteurs de ces mou­ve­ments et de ces luttes, dans l’expérience organ­isée des « col­lec­tifs poli­tiques » qui débute en 1974, jusqu’à sa crim­i­nal­i­sa­tion en 1979 par le pro­cureur Pietro Calogero.

S’il est un fil qui relie cette expéri­ence au cycle de luttes ouvrières de Por­to Marghera, il tient au fait que beau­coup de ses prin­ci­paux pro­tag­o­nistes ont mil­ité ensem­ble dans les rangs de Potere operaio. L’importance de cette mil­i­tance com­mune tient moins à une con­ti­nu­ité organ­i­sa­tion­nelle, comme l’a soutenu en son temps la mag­i­s­tra­ture, qu’à une sorte d’imprint­ing, à l’acquisition d’un ensem­ble d’outils théori­co-pra­tiques qui furent décisifs pour l’analyse et l’intervention sur la réal­ité sociale: une capac­ité, au fond, à artic­uler la com­po­si­tion sociale de classe et les besoins, les besoins et l’élaboration de reven­di­ca­tions, de formes de lutte et d’organisation. L’expérience des « col­lec­tifs » s’enracine – entre 1968 et la fin de Potere operaio – dans le pre­mier grand cycle région­al de mobil­i­sa­tions sur les trans­ports (1970). Par­tant du con­stat que « le temps de tra­vail, le temps de l’exploitation ne se lim­ite pas aux huit heures d’usine, mais com­prend aus­si a min­i­ma les deux heures néces­saires aux mil­liers de tra­vailleurs pen­dolari (ceux par exem­ple qui habitent à Chiog­gia ou dans la région de San Dona­to) pour aller de leur domi­cile au pôle chim­ique et inverse­ment, tran­sis à bord de navettes brin­que­bal­antes, en payant un abon­nement qui est un vol sup­plé­men­taire sur le salaire », les luttes investis­sent de manière capil­laire l’ensemble du ter­ri­toire de la Vénétie. L’organisation prend la forme de « comités de lignes », qui exi­gent des amélio­ra­tions du ser­vice, davan­tage de navettes, moins d’affluence, le gel du prix du bil­let; on lutte en blo­quant les lignes et en refu­sant de pay­er les aug­men­ta­tions. Sur ce ter­rain, on assiste à une vaste recom­po­si­tion sociale des fig­ures pro­lé­taires et notam­ment les lycéens pen­dolari, aus­si bien ceux qui sont sco­lar­isés dans la région de Venise que ceux qui fréquentent les insti­tuts tech­niques et com­mer­ci­aux de Padoue. Car c’est la très jeune généra­tion des lycéens de Potere operaio qui don­nera nais­sance aux « col­lec­tifs » de Padoue: au moment de la crise et de la fin du groupe, ils se deman­deront com­ment met­tre en œuvre sur le ter­ri­toire une inter­ven­tion poli­tique d’ensemble, en prise sur la com­plex­ité de la société. Sans vouloir revenir sur les motifs de la dis­so­lu­tion de PO, il faut soulign­er com­bi­en, d’après les témoignages, ces jeunes mil­i­tants ne parv­in­rent saisir que très peu de chose – et pas par mau­vaise volon­té – des dif­férentes posi­tions qui s’opposaient au sein du « groupe dirigeant » de l’organisation. « Nous n’arrivions pas à com­pren­dre – dis­ent-ils – ce qu’allait sig­ni­fi­er pour nous le choix des assem­blées autonomes d’usines: nous étions presque tous étu­di­ants, et nous pen­sions tous que cela n’avait pas de sens de nous réduire au rôle de “sou­tiens” des luttes ouvrières. » Au début des années 1970, l’usine métal­lurgique d’Utita à Este, dans la Bas­sa padovana, est la seule réal­ité sig­ni­fica­tive de la province de Padoue où des luttes ouvrières autonomes repren­nent, à leur échelle, les reven­di­ca­tions et les com­porte­ments à l’œuvre dans les grandes usines: en l’espace de quelques mois, l’insubordination ouvrière et l’intervention con­tin­ue du Comité ouvri­ers-étu­di­ants ren­verse la sit­u­a­tion dans ce fief du syn­di­cat fas­ciste CISNAL. On lutte pour de fortes aug­men­ta­tions salar­i­ales égales pour tous, pour la sup­pres­sion des primes et des caté­gories. Le refus ouvri­er de l’organisation cap­i­tal­iste du tra­vail est majori­taire, général­isé: du sab­o­tage des machines à des pra­tiques de lutte telles que les piquets et les cortèges internes qui « ratis­sent » les bureaux de la direc­tion. Les mil­i­tants du Comité ouvri­er seront pour la plu­part élus au Con­seil d’usine et les avant-gardes de l’Utita joueront un rôle impor­tant d’impulsion et de propo­si­tion dans les réu­nions de la coor­di­na­tion nationale des Con­seils d’usine, en dif­fu­sant des formes de lutte comme les grèves coor­don­nées, tour­nantes ou « à la chat sauvage ». Ce n’est pas un hasard si c’est à l’Utita, en 1973, qu’auront lieu les pre­miers licen­ciements poli­tiques. La sit­u­a­tion est dif­férente dans les usines de la zone indus­trielle de Padoue où, mal­gré la présence spo­radique de formes d’organisation ouvrières autonomes, le con­trôle sur une com­po­si­tion de classe encore très « pro­fes­sion­nelle » restera résol­u­ment aux mains du PCI et du syn­di­cat.

Après le con­grès de Rosoli­na, en juil­let 1973, qui entérine la scis­sion de Potere operaio

3 Le con­grès de Potere operaio à Rosoli­na ver­ra s’affronter deux lignes irré­c­on­cil­i­ables : l’une affir­mant la néces­sité de s’organiser en par­ti (défendue par Fran­co Piper­no) et l’autre affir­mant la néces­sité de se fon­dre dans l’aire de l’Autonomie et de clore par con­séquent l’expérience d’organisation de Potere operaio – posi­tion alors défendue par Toni Negri et qui l’emportera : « Ceci est le dernier numéro de Potere operaio. Nous avons choisi l’autonomie organ­isée et la direc­tion ouvrière. Si d’autres cama­rades souhait­ent con­tin­uer à crier le slo­gan « pou­voir ouvri­er », qu’ils se ras­surent, nous le fer­ons égale­ment […] Nous avons refusé le groupe et sa logique pour être à l’intérieur du mou­ve­ment réel, pour être dans l’Autonomie organ­isée », édi­to­r­i­al de Potere operaio, « Ricom­in­cia­re da capo non sig­nifi­ca tornare indi­etro », sep­tem­bre 1973, cité dans Ser­gio Bianchi, Lan­fran­co Camini­ti (dir.), Gli autono­mi, vol. 2, op. cit

, les « lycéens » de Padoue con­tin­ueront pen­dant plusieurs mois à se ­revendi­quer de cette organ­i­sa­tion: en jan­vi­er 1974, ils entre­pren­nent un voy­age à tra­vers l’Italie pour mieux com­pren­dre ce qu’il est resté du « groupe », désor­mais exsangue, dans les autres sit­u­a­tions de lutte. À par­tir de ce moment, ils fer­ont le choix de priv­ilégi­er l’implantation sociale sur leur ter­ri­toire, cette Vénétie que, grâce aux luttes sur les trans­ports, ils com­men­cent tout juste à appréhen­der comme une « entité homogène ». Un choix qui les con­duit, cette même année 1974, à aban­don­ner la stérile réu­nion heb­do­madaire du « noy­au » de PO et à fonder, tout sim­ple­ment, des col­lec­tifs sus­cep­ti­bles d’intervenir directe­ment dans les quartiers et dans les vil­lages, où le pre­mier réseau mil­i­tant sera pré­cisé­ment con­sti­tué par les étu­di­ants qui blo­quaient les cars. « À l’époque, à Padoue – se sou­vient l’un d’entre eux – les “grou­pus­cules” de la gauche extra­parlemen­taire dom­i­naient. Il y avait une tra­di­tion his­torique de mil­i­tants m‑l qui deve­naient fous dès qu’on par­lait de refus du tra­vail salarié. Nous, on était minori­taires, mais on se sen­tait dif­férents par rap­port aux “groupes” […] on n’avait pas d’identité pré­cise parce que la référence théorique c’était l’ouvrier-masse, mais ici il n’y en avait pas […], nous avons dû tout inven­ter de A à Z, et peut-être que nous avons été, sans le savoir, les précurseurs d’une nou­velle fig­ure qui com­mençait à se man­i­fester dans le corps social. »

Mais qu’est-ce qui car­ac­térise alors, du point de vue social, la spé­ci­ficité padouane? Dans le sys­tème pro­duc­tif et urbain « poly­cen­trique » de la région, la ville avait un rôle de cap­i­tale du ter­ti­aire, des ser­vices, en par­ti­c­uli­er dans les secteurs du crédit et de la finance. Dans la province de Padoue pré­dom­i­naient déjà les petites et moyennes usines et le lab­o­ra­toire du tra­vail au noir (mais très dif­férem­ment de la typolo­gie rétic­u­laire de l’entreprise d’aujourd’hui). Des proces­sus rapi­des de mod­erni­sa­tion coex­is­taient avec la vio­lence archaïque des rap­ports d’exploitation, arrachant des bras à des cam­pagnes his­torique­ment très pau­vres, qui jusqu’à la fin des années 1950 avaient été vidées par l’émigration. Padoue, ville « blanche », dom­inée par l’Église selon les stéréo­types les plus ancrés (au référen­dum sur l’abolition du divorce en mai 1974, le oui l’emporte par 55,9%), compte égale­ment une très anci­enne uni­ver­sité, dirigée par des autorités hiérar­chiques aus­si rigides qu’impénétrables, dont le taux de fréquen­ta­tion con­naît une aug­men­ta­tion ver­tig­ineuse (pen­dant l’année uni­ver­si­taire 1973–74 le nom­bre d’inscrits atteint 47 000, soit 6000 de plus que l’année précé­dente). Fruit de la mas­si­fi­ca­tion de l’accès aux études supérieures et du fort afflux, d’étudiants orig­i­naires du Sud – en par­ti­c­uli­er en psy­cholo­gie – une nou­velle com­po­si­tion étu­di­ante, s’impose. Ici, l’institut de sci­ences poli­tiques con­stitue une anom­alie sup­plé­men­taire: c’est une expéri­ence unique par la richesse de sa pro­duc­tion théorique cri­tique et sub­ver­sive, des dizaines de sémi­naires et de recherch­es de dimen­sion inter­na­tionale s’y déroulent, dans un rap­port d’osmose avec les luttes sociales.

Mais jusque 1975, l’université, en par­ti­c­uli­er la fac­ulté de droit, est aus­si un lieu où les fas­cistes agis­sent en toute impunité: c’est ici que Fre­da et les cam­erati font leurs pre­mières armes (la bombe con­tre le bureau du pro­fesseur Opocher, recteur démoc­ra­tique et ancien par­ti­san), aux côtés de Mas­si­m­il­iano Fachi­ni et d’autres qui s’avéreront plus tard impliqués dans les pro­jets d’attentats de la Rosa dei ven­ti

4 La Rosa dei ven­ti est une organ­i­sa­tion anti­com­mu­niste dont les ram­i­fi­ca­tions s’étendaient au niveau de l’État et au niveau inter­na­tion­al. Gior­gio Fre­da est un mil­i­tant néo­fas­ciste ital­ien du syn­di­cat étu­di­ant FUAN et de l’organisation Ordine nuo­vo. En 1987, il sera inculpé pour l’attentat de la piaz­za Fontana puis acquit­té par la cour d’assise de Bari. En 2005, il est con­damné sans que sa par­tic­i­pa­tion directe puisse être démon­trée. Ce juge­ment aura donc une stricte valeur sym­bol­ique. Fre­da sera égale­ment désigné par Fran­co Tomasi­ni (un mem­bre du MSI) comme auteur de l’attentat con­tre le recteur Opocher, le 15 avril 1969 (l’enquête fini­ra aux oubli­ettes) et recon­nu respon­s­able en 1987 de l’attentat du 8 août 1969 dans un train de voyageurs. Mas­si­m­il­iano Fachi­ni, élu au con­seil com­mu­nal sous les couleurs du MSI en 1970, sera égale­ment mis en cause dans l’attentat de la Piaz­za Fontana, et acquit­té en 1991

. Ils sont large­ment cou­verts par les autorités académiques et poli­cières, et inter­vi­en­nent armes au poing pour dis­pers­er des piquets ouvri­ers et des assem­blées étu­di­antes. Les mobil­i­sa­tions antifas­cistes du print­emps 1975, et en par­ti­c­uli­er les affron­te­ments très vio­lents avec la police – mise en déroute sous une pluie de cock­tails molo­tov à l’occasion d’un meet­ing élec­toral de Cov­el­li (MSI) mar­quent un tour­nant dans la ville

5 Cet épisode a lais­sé une chan­son : e com­in­cia­rono a volare le molo­tov

: il n’y aura plus aucun espace pour les fas­cistes, tan­dis que les « col­lec­tifs poli­tiques » devi­en­nent hégé­moniques dans ce qu’on appelle la gauche extra­parlemen­taire. Un témoin racon­te: « Pour nous, les fas­cistes n’ont jamais représen­té un prob­lème stratégique […] les dis­cours sur la “fas­ci­sa­tion de l’État” ou le “Fan­fas­cisme

6 Mot-valise, en référence au leader démoc­rate-chré­tien Amintore Fan­fani, nom­mé prési­dent du con­seil pour faire face à l’insurrection de juil­let 1960 con­tre la tenue d’un con­grès du par­ti fas­ciste (MSI) à Gênes

” n’ont jamais été les nôtres […] En occu­pant le ter­rain face à ces ban­des de gros bras, on com­mençait en revanche à pos­er la ques­tion du con­tre-pou­voir sur le ter­ri­toire, de l’usage de la force de masse mais pas seule­ment, afin d’affirmer un dou­ble pou­voir […]. »

Au cours de cette expéri­ence, l’articulation entre l’analyse de la com­po­si­tion sociale et la matéri­al­ité des besoins qu’elle exprime con­tin­ue d’occuper une place cen­trale. En 1975–76 on assiste à l’essor des col­lec­tifs de l’Alta padovana qui, para­doxale­ment, joueront un rôle impor­tant dans la « syn­di­cal­i­sa­tion » de dizaines d’usines et de petites entre­pris­es de la région. Dans les quartiers pro­lé­taires de la ville (Arcel­la, Mor­tise), la pra­tique de l’autoréduction des fac­tures d’électricité et de télé­phone se répand. Les lycéens du Comi­ta­to inter­is­ti­tu­ti pour­suiv­ent une tra­di­tion de lutte sur les trans­ports, longue désor­mais de plusieurs années.

À l’université, où la Cité uni­ver­si­taire Fusina­to sert pour ain­si dire de « base rouge », la nou­velle fig­ure tou­jours plus présente de l’« étu­di­ant pro­lé­taire » sus­cite des mobil­i­sa­tions sur le coût des loge­ments et des restau­rants uni­ver­si­taires.

Les pra­tiques des « col­lec­tifs poli­tiques » ajoutent à l’originalité de ce par­cours sub­jec­tif d’organisation, en pro­posant une lec­ture de la crise de la forme par­ti clas­sique et des groupes de la « gauche extra­parlemen­taire » en des ter­mes lénin­istes actu­al­isés. Ils inven­tent ain­si un rap­port nou­veau entre « masse et avant-garde », en prise sur le moment: « nous voulions être – racon­te l’un d’entre eux – des cadres trans­ver­saux, au sens où il ne devait pas y avoir de sépa­ra­tion entre le poli­tique et le mil­i­taire, où la con­struc­tion d’organisations pro­lé­taires de masse, autonomes par rap­port aux par­tis et aux syn­di­cats, qui lut­taient pour l’affirmation des besoins, et l’usage de la force, la pra­tique du con­tre-pou­voir, avançaient d’un même pas. » Entre 1975 et 1979 en Vénétie, on compte plus de 500 actes d’« usages raison­nés de la force ». Dans la plu­part des cas, il s’agit d’actes de sab­o­tage et d’importantes dégra­da­tions de biens appar­tenant à des fas­cistes, à des hommes poli­tiques démoc­rates-chré­tiens, à des patrons et à des man­darins de l’Université. La dif­fu­sion de ces pra­tiques d’« illé­gal­ité de masse » con­stituera, entre autres choses, le meilleur anti­dote à l’existence des organ­i­sa­tions com­bat­tantes et du pro­jet stratégique de la lutte armée.

1976 mar­que le début de l’intervention con­tre le tra­vail au noir et les lab­o­ra­toires de la pro­duc­tion décen­tral­isée. Les coor­di­na­tions ouvrières organ­isent des cen­taines de tra­vailleuses et tra­vailleurs jusqu’alors « souter­rains ». La forme de lutte la plus répan­due est celle de la ronde qui impose, par le blocage de la pro­duc­tion, les reven­di­ca­tions ouvrières. Dans les quartiers, la bataille con­tre la « vie chère » com­mence, on implante de petits marchés qui pra­tiquent des prix poli­tiques, on voit appa­raître les pre­mières formes d’appropriation directe dans les super­marchés, avec dis­tri­b­u­tion des marchan­dis­es aux pro­lé­taires du secteur. Dans les écoles supérieures et à l’Université, en même temps que les pre­mières luttes con­tre la sélec­tion, nais­sent des « sémi­naires auto­gérés » dont on impose la recon­nais­sance et le finance­ment pub­lic. Tou­jours en 1976, Radio Sher­wood, l’une des pre­mières radios libres en Ital­ie, com­mence à émet­tre.

Ain­si, le mou­ve­ment de 77 à Padoue ne relèvera pas tant du sur­gisse­ment inopiné d’un événe­ment que du ren­force­ment, de l’intensification d’un proces­sus qui avait vu au cours des années précé­dentes se dévelop­per d’innombrables ter­rains de lutte.

Le compromis historique

L’expression « com­pro­mis his­torique » naît en 1973 à la suite d’une réflex­ion menée par les instances dirigeantes du PCI sur le coup d’État fas­ciste au Chili. Mais il ­serait tout à fait erroné de voir dans cette for­mule, dans ce con­cept, une inno­va­tion rad­i­cale ou un tour­nant dans la poli­tique du PCI.

Le « com­pro­mis his­torique » est au con­traire, la tra­duc­tion en ter­mes politi­co-insti­tu­tion­nels d’une stratégie longue­ment mûrie, vers laque­lle le PCI s’oriente dès 1946; cette stratégie prend dif­férents noms selon les moments, par­mi lesquels « voie ital­i­enne vers le social­isme » ou « poli­tique des nou­velles majorités », mais son fil con­duc­teur reste la recherche con­stante d’un équili­bre entre une pra­tique réformiste et un lan­gage idéologique révo­lu­tion­naire.

Dans les années qui ont suivi la mort de Togli­at­ti, un nom­bre crois­sant de jeunes cadres com­mu­nistes, en par­ti­c­uli­er ceux qui se sont for­més à l’université, étaient sor­tis de l’orbite du Par­ti sous l’influence de deux forces d’attraction prin­ci­pales. La pre­mière était, sans aucun doute, l’impact de la Révo­lu­tion cul­turelle chi­noise, aus­si bien sur les vieux mil­i­tants stal­in­iens aux­quels elle redonnait une iden­tité agres­sive anti-krouchtchevi­enne, que sur les nou­veaux mil­i­tants étu­di­ants aux­quels elle enseignait des principes résol­u­ment anti­stal­in­iens comme: « les minorités doivent être respec­tées parce que sou­vent la vérité est de leur côté7 « La minorité doit être pro­tégée, parce que par­fois la vérité est de son côté. » Déci­sion du Comité cen­tral du Par­ti com­mu­niste chi­nois sur la grande révo­lu­tion cul­turelle pro­lé­tari­enne, 8 août 1966. »

La deux­ième force d’attraction tenait à la reprise des luttes ouvrières, qui voy­aient émerg­er une com­po­si­tion sociale pro­fondé­ment trans­for­mée par rap­port à l’après-guerre, et où les com­posantes les moins homogènes à la cul­ture com­mu­niste tra­di­tion­nelle – comme les émi­grés mérid­ionaux qui venaient rem­plir par vagues les grandes usines du Nord – tendaient à pren­dre une place de pre­mier plan.

Le PCI, dans les années qui suiv­ent 1968, est tra­ver­sé par deux ten­dances con­traires: il réus­sit d’une part à cap­i­talis­er en ter­mes de votes et d’influence sociale l’élan don­né par le mou­ve­ment étu­di­ant, de l’autre, il doit faire face à une perte d’ascendant et à la fin de son hégé­monie dans les rangs des avant-gardes ouvrières nou­velle­ment for­mées. En 1969 on assiste pour la pre­mière fois à des luttes ouvrières de masse autonomes par rap­port aux direc­tions des syn­di­cats et des par­tis.

Le prob­lème du rap­port entre classe ouvrière et par­ti s’était posé à dif­férentes repris­es dès le milieu des années 1960. Lors de sa Con­férence d’organisation à Gênes en 1966, le Par­ti s’était notam­ment employé à restau­r­er sa fonc­tion dans les usines8 C’est l’année du XIe con­grès du PCI à Rome, le pre­mier après la mort de Togli­at­ti, qui con­firme Lui­gi Lon­go à la tête du par­ti. Mais le prob­lème pour les com­mu­nistes était plus pro­fond. Pré­cisé­ment parce que le Par­ti référait son action poli­tique aux intérêts généraux de l’économie de la Nation, de l’État, il n’était en mesure de don­ner aucune tra­duc­tion, ni aucune récep­tion appro­priée aux poussées antipro­duc­tivistes, égal­i­taires et rad­i­cale­ment ant­i­cap­i­tal­istes.

Con­fron­té à la for­ma­tion d’une nou­velle com­po­si­tion de classe, suite à l’arrivée d’ouvriers jeunes et immi­grés, étrangers à la tra­di­tion poli­tique com­mu­niste, étrangers aux mythes pro­duc­tivistes d’ascendance gram­sci­enne, et surtout étrangers à la cul­ture étatiste du mou­ve­ment ouvri­er offi­ciel, le Par­ti com­mu­niste com­mença à per­dre de plus en plus le con­trôle des luttes d’avant-garde.

À l’extrémisme ouvri­er, le PCI répondait par une poli­tique d’alliances avec les class­es moyennes. Mais ce qui, jusqu’à la fin des années 1960, pou­vait appa­raître comme une poli­tique de con­quête de l’hégémonie cul­turelle et de la direc­tion poli­tique, se révéla pure­ment et sim­ple­ment, après 1968 et plus encore après l’Automne chaud, comme une poli­tique d’affaiblissement, de désagré­ga­tion de la force poli­tique ouvrière.

1973 est indu­bitable­ment l’année-clef de ce proces­sus de dis­jonc­tion entre les avant-gardes ouvrières et le Par­ti com­mu­niste. Et cela pour deux raisons opposées. L’occupation de Mirafiori avait con­sti­tué un sig­nal fort pour les avant-gardes ouvrières et pro­lé­taires: il était pos­si­ble de s’organiser de façon autonome jusqu’à aboutir à l’occupation de la plus grande usine ital­i­enne sans aucune par­tic­i­pa­tion du syn­di­cat ou du Par­ti – et même, en s’opposant ouverte­ment à eux.

Le coup d’État fas­ciste au Chili con­sti­tua pour le PCI un sig­nal d’un sens tout à fait con­traire: il n’était pas pos­si­ble d’aller à l’affrontement ouvert avec la bour­geoisie, même si on était une force majori­taire, sous peine de provo­quer une réac­tion de type fas­ciste. Il con­ve­nait donc de pro­pos­er au plus grand par­ti de la bour­geoisie un com­pro­mis qui rassem­ble l’ensemble des forces sociales du pays dans une per­spec­tive de sol­i­dar­ité nationale. Rien n’était plus éloigné des ten­sions qui tra­ver­saient le corps social tout entier. La dis­jonc­tion entre le Par­ti com­mu­niste et les avant-gardes sociales se mua en une rup­ture ver­ti­cale, en une vio­lente oppo­si­tion.

Mais après 1973, la rup­ture entre le Par­ti et les avant-gardes com­mença égale­ment à pren­dre un tout autre con­tour, plus dra­ma­tique et plus pro­fond qu’une sim­ple diver­gence politi­co-pro­gram­ma­tique. Elle com­mença à pren­dre la forme d’une scis­sion entre deux pans de l’aire sociale du pro­lé­tari­at mét­ro­pol­i­tain. C’est fon­da­men­tale­ment là que com­mença à se dessin­er la divi­sion entre pro­lé­tari­at garan­ti et pro­lé­tari­at non garan­ti qui, en 1977, con­sti­tua le prin­ci­pal motif de la crise de la gauche.

Quand nous par­lons de pro­lé­tari­at non garan­ti, nous n’entendons pas seule­ment les chômeurs, les étu­di­ants, les jeunes à la recherche d’un pre­mier emploi: nous y inclu­ons égale­ment les franges du nou­veau tra­vail ouvri­er les plus exposées aux effets de la restruc­tura­tion et de la réduc­tion de la main‑d’œuvre, qui au cours des années 1970, s’affirme comme une ten­dance incon­tourn­able du développe­ment pro­duc­tif et de la muta­tion tech­nologique.

On trou­ve un symp­tôme de cette ten­dance, par exem­ple, dans le con­flit à l’usine Inno­cen­ti, où le patron ren­voya un tiers des effec­tifs, comme par hasard juste­ment les jeunes ouvri­ers, dont beau­coup étaient liés aux for­ma­tions poli­tiques de l’autonomie9 En 1975, le plan de restruc­tura­tion de l’usine auto­mo­bile Inno­cen­ti-Ley­land prévoy­ait le licen­ciement de 1 700 ouvri­ers : « À Rome, ils déci­dent de notre sort. Il promet­tent une nou­velle usine, un nou­veau pro­jet. Entre-temps, ici, l’exploitation ne cesse de croître. Occupons immé­di­ate­ment l’usine, n’attendons pas nos let­tres de licen­ciement. Blo­quons la sor­tie des marchan­dis­es », appelle en novem­bre 1975 un tract de Lot­ta con­tin­ua dis­tribué à l’usine Inno­cen­ti. À l’automne 1976, on en arrive à l’affrontement entre les ouvri­ers licen­ciés (qui voulaient ren­tr­er dans l’usine avec des cen­taines d’étudiants et de mil­i­tants autonomes) et les ouvri­ers plus âgés, liés au PCI et dont le poste de tra­vail n’était pas, pour l’heure, men­acé.

La poli­tique du PCI, devant l’émergence d’un mou­ve­ment de non-garan­tis – qui se man­i­fes­ta dans toute son ampleur et sa puis­sance destruc­trice lors du con­flit de 77 – accen­tua très vive­ment les oppo­si­tions et pous­sa, indi­recte­ment, des franges non nég­lige­ables des avant-gardes ouvrières vers la lutte armée.

Porté par la vic­toire élec­torale de 1976 et par l’adhésion d’une énorme quan­tité d’intellectuels (can­ton­nés le plus sou­vent à des fonc­tions serviles et sub­al­ternes) voués à jouer les bureau­crates du con­sen­sus, le Par­ti com­mu­niste en vint même à énon­cer le plus déli­rant et le plus sui­cidaire des mots d’ordre: la classe ouvrière se fait État. Énon­cer un tel pro­pos, lancer ce slo­gan au moment où la crise détru­i­sait des postes de tra­vail et où l’État se pré­parait à atta­quer les non-garan­tis et les ouvri­ers mêmes qui con­tin­u­aient de lut­ter, cela sig­nifi­ait semer la dis­corde dans le mou­ve­ment, au sein de la gauche, et dans le pro­lé­tari­at. Ce qui se passe ensuite, en 1977, n’est qu’une con­séquence par­tielle de cette poli­tique de divi­sion (comme nous le ver­rons du reste dans le texte con­sacré au débat entre les intel­lectuels en 1977

10 Sur cette ques­tion voir le chapitre 11, et notam­ment Théorie du con­sen­sus et dis­sensus cul­turel (p. 573 sqq.)

). Mais c’est le PCI qui, plus que tous les autres, a payé les con­séquences de la lâcheté théorique et de la sub­or­di­na­tion poli­tique qu’impliquait la stratégie du com­pro­mis his­torique et de l’étatisation des ouvri­ers.

En récu­sant a pri­ori toute propo­si­tion issue du pro­lé­tari­at autonome non garan­ti et en épou­sant de manière acri­tique les exi­gences du cap­i­tal­isme ital­ien qui affir­mait devoir restruc­tur­er pour pou­voir sor­tir de la crise, le mou­ve­ment ouvri­er renonça à s’engager dans une cam­pagne de lutte, de reven­di­ca­tions et de trans­for­ma­tions qui pour­tant sem­blait s’imposer dans les luttes ouvrières, la con­tes­ta­tion de la jeunesse et les reven­di­ca­tions des chômeurs, pour la réduc­tion générale du temps de tra­vail.

Quand en 1977 les slo­gans « tra­vailler moins, tra­vailler tous », « réduc­tion du temps de tra­vail à salaire égal » furent lancés d’abord par les assem­blées ouvrières autonomes, puis par les instances du mou­ve­ment et jusqu’à une assem­blée nationale ouvrière (en avril au théâtre Lyrique) et de larges secteurs du syn­di­cat, le Par­ti com­mu­niste repous­sa cette per­spec­tive comme s’il s’était agi d’une provo­ca­tion.

Il paya sa fer­me­ture et sa ser­vil­ité phi­lo-patronale lorsque, à peine trois ans plus tard, le patron Agnel­li – ras­suré, parce que les com­mu­nistes l’avaient aidé à ren­voy­er de l’usine le « fond du ton­neau » (selon l’expression du com­mu­niste anti-­ou­vri­er Adal­ber­to Min­uc­ci

11 Respon­s­able du PCI et de la rédac­tion de L’Unità à Turin dans les années 1960–1970, Min­uc­ci fait par­tie des secré­taires de direc­tion de Berlinguer lorsque ce dernier dirige le Par­ti, notam­ment pen­dant le con­flit à la FIAT à l’automne 1980

) – licen­cia 40000 ouvri­ers, et détru­isit l’organisation ouvrière et toute la force du Par­ti com­mu­niste lui-même. C’est à ce moment que com­mence la crise sans fin du Par­ti com­mu­niste ital­ien.

dans ce chapitre« Lucio Castel­lano: L’autonomie, les autonomies
  • 1
    Le 7 avril 1979, le sub­sti­tut du pro­cureur de Padoue ordonne l’arrestation des « chefs de l’autonomie ». Cet événe­ment « peut être con­sid­éré comme la date d’instauration – spec­tac­u­laire, résolue et désor­mais sta­ble – de l’état d’urgence judi­ci­aire. L’opération de police con­sti­tu­ait en fait une “rafle judi­ci­aire” […] Arrêtés dans dif­férentes villes d’Italie, les vingt et un inculpés du 7 avril ne se voy­aient pas imput­er de dél­its cir­con­stan­ciés ; ils étaient plutôt désignés comme “les chefs”, “les intel­lectuels” de la mou­vance de l’autonomie ouvrière, les “mau­vais maîtres” de la sub­ver­sion et de la lutte armée », Pao­lo Per­sichet­ti et Oreste Scal­zone, La Révo­lu­tion et l’État, op. cit. Voir égale­ment Chapitre 12 – Les années du cynisme, de l’opportunisme et de la peur
  • 2
    On peut désor­mais se reporter à l’article de Mar­cel­lo Tarì, « I Col­let­tivi politi­ci veneti per il potere operaio », in Ser­gio Bianchi, Lan­fran­co Camini­ti (dir.), Gli autono­mi, vol. 1, op. cit., et en français à l’ouvrage de Devi Sac­chet­to et Gian­ni Sbro­gio, Pou­voir ouvri­er à Por­to Marghera, op. cit.
  • 3
    Le con­grès de Potere operaio à Rosoli­na ver­ra s’affronter deux lignes irré­c­on­cil­i­ables : l’une affir­mant la néces­sité de s’organiser en par­ti (défendue par Fran­co Piper­no) et l’autre affir­mant la néces­sité de se fon­dre dans l’aire de l’Autonomie et de clore par con­séquent l’expérience d’organisation de Potere operaio – posi­tion alors défendue par Toni Negri et qui l’emportera : « Ceci est le dernier numéro de Potere operaio. Nous avons choisi l’autonomie organ­isée et la direc­tion ouvrière. Si d’autres cama­rades souhait­ent con­tin­uer à crier le slo­gan « pou­voir ouvri­er », qu’ils se ras­surent, nous le fer­ons égale­ment […] Nous avons refusé le groupe et sa logique pour être à l’intérieur du mou­ve­ment réel, pour être dans l’Autonomie organ­isée », édi­to­r­i­al de Potere operaio, « Ricom­in­cia­re da capo non sig­nifi­ca tornare indi­etro », sep­tem­bre 1973, cité dans Ser­gio Bianchi, Lan­fran­co Camini­ti (dir.), Gli autono­mi, vol. 2, op. cit
  • 4
    La Rosa dei ven­ti est une organ­i­sa­tion anti­com­mu­niste dont les ram­i­fi­ca­tions s’étendaient au niveau de l’État et au niveau inter­na­tion­al. Gior­gio Fre­da est un mil­i­tant néo­fas­ciste ital­ien du syn­di­cat étu­di­ant FUAN et de l’organisation Ordine nuo­vo. En 1987, il sera inculpé pour l’attentat de la piaz­za Fontana puis acquit­té par la cour d’assise de Bari. En 2005, il est con­damné sans que sa par­tic­i­pa­tion directe puisse être démon­trée. Ce juge­ment aura donc une stricte valeur sym­bol­ique. Fre­da sera égale­ment désigné par Fran­co Tomasi­ni (un mem­bre du MSI) comme auteur de l’attentat con­tre le recteur Opocher, le 15 avril 1969 (l’enquête fini­ra aux oubli­ettes) et recon­nu respon­s­able en 1987 de l’attentat du 8 août 1969 dans un train de voyageurs. Mas­si­m­il­iano Fachi­ni, élu au con­seil com­mu­nal sous les couleurs du MSI en 1970, sera égale­ment mis en cause dans l’attentat de la Piaz­za Fontana, et acquit­té en 1991
  • 5
    Cet épisode a lais­sé une chan­son : e com­in­cia­rono a volare le molo­tov
  • 6
    Mot-valise, en référence au leader démoc­rate-chré­tien Amintore Fan­fani, nom­mé prési­dent du con­seil pour faire face à l’insurrection de juil­let 1960 con­tre la tenue d’un con­grès du par­ti fas­ciste (MSI) à Gênes
  • 7
    « La minorité doit être pro­tégée, parce que par­fois la vérité est de son côté. » Déci­sion du Comité cen­tral du Par­ti com­mu­niste chi­nois sur la grande révo­lu­tion cul­turelle pro­lé­tari­enne, 8 août 1966
  • 8
    C’est l’année du XIe con­grès du PCI à Rome, le pre­mier après la mort de Togli­at­ti, qui con­firme Lui­gi Lon­go à la tête du par­ti
  • 9
    En 1975, le plan de restruc­tura­tion de l’usine auto­mo­bile Inno­cen­ti-Ley­land prévoy­ait le licen­ciement de 1 700 ouvri­ers : « À Rome, ils déci­dent de notre sort. Il promet­tent une nou­velle usine, un nou­veau pro­jet. Entre-temps, ici, l’exploitation ne cesse de croître. Occupons immé­di­ate­ment l’usine, n’attendons pas nos let­tres de licen­ciement. Blo­quons la sor­tie des marchan­dis­es », appelle en novem­bre 1975 un tract de Lot­ta con­tin­ua dis­tribué à l’usine Inno­cen­ti
  • 10
    Sur cette ques­tion voir le chapitre 11, et notam­ment Théorie du con­sen­sus et dis­sensus cul­turel (p. 573 sqq.)
  • 11
    Respon­s­able du PCI et de la rédac­tion de L’Unità à Turin dans les années 1960–1970, Min­uc­ci fait par­tie des secré­taires de direc­tion de Berlinguer lorsque ce dernier dirige le Par­ti, notam­ment pen­dant le con­flit à la FIAT à l’automne 1980