Les origines possibles de la « tendance armée »

« Ain­si, le rejet des Brigades rouges a‑t-il servi de jus­ti­fi­ca­tion à la crim­i­nal­i­sa­tion du dis­sensus rad­i­cal. Il a favorisé la mise en place en Ital­ie d’une lég­is­la­tion répres­sive sévère, sur le mod­èle alle­mand, et l’effacement de toute dis­tinc­tion entre préven­tion et répres­sion […] », c’est du moins ce qu’on pou­vait lire en 1976 au dos du vol­ume Brigate Rosse, che cosa han­no fat­to, che cosa han­no det­to, che cosa se ne è det­to

1 Soc­cor­so rosso, Brigate rosse…, op. cit

. Et plus loin: « En ce sens [celui de recon­stru­ire une his­toire telle qu’elle s’est réelle­ment passée, N.d.A.], le livre du Soc­cor­so Rosso est une ten­ta­tive [de lec­ture] hon­nête. La pub­li­ca­tion de ce livre, dans le moment par­ti­c­uli­er que nous tra­ver­sons, entend pré­cisé­ment offrir au pub­lic ce ser­vice que per­son­ne n’avait aupar­a­vant songé à lui ren­dre, et qui devrait pour­tant être la tâche de tout édi­teur mod­erne. »

L’éditeur pré­cise sa pen­sée dans la note qui intro­duit le vol­ume. Il y récuse les qual­i­fi­ca­tions de « provo­ca­teurs et d’espions » qu’on a sou­vent accolées aux Brigades rouges et leur recon­naît qu’ils com­bat­tent pour « une cause qui a mobil­isé des généra­tions entières de mil­i­tants ». Il y dresse égale­ment une brève généalo­gie: « dans les années 1969–72 (et au-delà), une impor­tante frac­tion des jeunes qui avaient par­ticipé aux luttes ouvrières et étu­di­antes […] a organ­isé sa vie dans la per­spec­tive d’une trans­for­ma­tion rad­i­cale à brève échéance […]. Aujourd’hui, aucune des prin­ci­pales organ­i­sa­tions poli­tiques issues des luttes de cette généra­tion ne croit plus qu’en Ital­ie, il y aura, à court terme, une révo­lu­tion. Pour­tant, comme l’a écrit Francesco Ciafaloni dans les Quaderni pia­cen­ti­ni, “il n’y a pas eu de pas­sage con­scient, argu­men­té, rationnel entre la pre­mière posi­tion et la sec­onde, qui per­me­tte de con­serv­er de manière cohérente une par­tie de la charge psy­chologique et idéologique qui était apparue à un niveau de masse. La plu­part sont ren­trés dans le rang. Ils se sont sim­ple­ment aperçus que la poli­tique avait un prix et qu’ils n’étaient pas prêts à le pay­er. D’autres ont accep­té le jeu de la dou­ble vérité. D’autres encore ont décidé de pouss­er leur choix jusqu’à ses con­séquences ultimes

2 Ibi­dem

[…]” ».

Ces lignes ont été écrites alors que le délite­ment des groupes extra­parlemen­taires était entré dans sa phase aiguë, qu’une vaste restruc­tura­tion autori­taire était à l’œuvre dans les usines (cas­sa inte­grazione

3 La cas­sa inte­grazione guadag­ni, créée en 1946, est un dis­posi­tif qui per­met de plac­er les salariés en chô­mage tech­nique en leur ver­sant une allo­ca­tion financée en par­tie par l’État et en par­tie par les employeurs. Ces salariés « placés en réserve » peu­vent être réin­té­grés à n’importe quel moment. Ils touchent jusqu’à 80% de leur salaire et ne sont pas compt­abil­isés comme chômeurs. Durant les années 1970 et 80, ce dis­posi­tif a per­mis d’ajuster au plus près la quan­tité de main‑d’œuvre (et donc de salaire) aux besoins de la pro­duc­tion, notam­ment à la FIAT. Sur l’usage poli­tique de la cas­sa inte­grazione con­tre le cycle de lutte de l’ouvrier-masse au milieu des années 1970, voir chapitre 10 – L’année fron­tière, p. 494 sqq

, licen­ciements « poli­tiques », etc.) et que le gou­verne­ment com­mençait à éla­bor­er, avec le par­lement, le tour­nant lég­is­latif autori­taire qui allait rester dans l’histoire sous le nom de « péri­ode d’urgence

4 La « péri­ode d’urgence » désigne une forme de gou­verne­ment qui voit les prin­ci­pales forces au par­lement, en par­ti­c­uli­er la DC et le PCI, adopter des mesures lég­isla­tives excep­tion­nelles au nom de « la défense de l’ordre démoc­ra­tique et de la sécu­rité publique » (décret-Loi Cos­si­ga du 15 novem­bre 1979, devenu loi du 6 févri­er 1980). Ces mesures, d’abord imposées sans le vote des cham­bres, vont pro­fondé­ment mod­i­fi­er le code pénal en insti­tu­ant de nou­veaux instru­ments juridiques, tels que la notion d’« asso­ci­a­tion avec final­ité de ter­ror­isme et de sub­ver­sion de l’ordre démoc­ra­tique », la recon­nais­sance juridique des « repen­tis », etc. On peut faire remon­ter ce « tour­nant lég­is­latif autori­taire » à 1974–75 (avec l’adoption du décret-loi du 11 avril 1974, puis de la Loi Reale en 1975 : exten­sion de l’usage des armes à feu par la police, de la garde-à-vue et de la déten­tion préven­tive…) mais à l’époque, le PCI votait encore con­tre ces mesures. Sur l’interprétation de la « péri­ode d’urgence » comme tour­nant poli­tique et lég­is­latif, voir le chapitre 12, p. 595 sqq. Voir aus­si Pao­lo Per­sichet­ti, Oreste Scal­zone, La Révo­lu­tion et l’État, op. cit., et Luther Blis­sett Project, Nemi­ci del­lo Sta­to, Crim­i­nali, “mostri” e leg­gi spe­ciali nel­la soci­età di con­trol­lo, DeriveAp­pro­di, 2002 – disponible en ligne en ital­ien

».

Le livre du Soc­cor­so rosso sur les Brigades rouges, vite épuisé, ne fut jamais réim­primé. Il reste – avec Mai più sen­za fucile, d’Alessandro Silj

5 Alessan­dro Slij, Mai più sen­za fucile, op. cit

– l’une des rares ten­ta­tives non fal­si­fi­ca­tri­ces (pour ne pas dire vul­gaire­ment diffam­a­toires) pour remon­ter aux orig­ines du phénomène de la lutte armée en Ital­ie.

La ques­tion des Brigades rouges et des actions clan­des­tines, vio­lentes et armées avait, au cours des années précé­dentes, don­né matière à per­pétuel débat. La « stratégie de la ten­sion » instau­rée par l’État avait secrété un cli­mat prop­ice à la mul­ti­pli­ca­tion des thès­es com­plo­tistes, dans la presse bour­geoise bien sûr, mais aus­si dans celle du mou­ve­ment. Ain­si, le Bul­letin de con­tre-infor­ma­tion démoc­ra­tique qui s’était pour­tant rangé aux côtés du mou­ve­ment, n’a‑t-il jamais cessé d’accuser les Brigades rouges d’être des « agents provo­ca­teurs »; de même, pen­dant des années, le quo­ti­di­en Il Man­i­festo n’a jamais pu faire men­tion des Brigades rouges sans les affubler des ter­mes « soi-dis­ant » ou « pré­ten­dues », insin­u­ant ain­si qu’elles se rendaient com­plices des pou­voirs occultes de l’État.

En réal­ité, les Brigades rouges sont nées dans un con­texte ouvri­er, plus par­ti­c­ulière­ment dans les usines Sit-Siemens et Pirelli, à Milan. Au début, leurs actions ne con­nais­sent pas un grand reten­tisse­ment, parce qu’elles ne dif­fèrent en rien d’actions sem­blables qui sont menées au même moment par d’autres forces poli­tiques, ou par la spon­tanéité ouvrière. Peut-être faut-il en effet rap­pel­er ici que pen­dant l’« Automne chaud » et l’année 1970 qui lui suc­cé­da, le sab­o­tage, le pas­sage à tabac des petits chefs, la destruc­tion de leurs voitures et de celles des dirigeants, la for­ma­tion d’un con­tre-pou­voir à l’intérieur de l’usine, sont devenus des pra­tiques usuelles, très large­ment répan­dues. Voici ce qu’écrivait le bimen­su­el Lot­ta con­tin­ua à pro­pos du cli­mat qui rég­nait alors dans les usines:

« Après chaque action, man­i­fes­ta­tion ou blocage des marchan­dis­es, […] chaque ate­lier devient un tri­bunal pro­lé­taire: ceux qui n’ont pas par­ticipé aux actions alors qu’ils en avaient la pos­si­bil­ité, on les met à la porte de l’usine. Un exem­ple typ­ique: dans un ate­lier du mag­a­sin, on apprend que 7 per­son­nes ont tra­vail­lé le dimanche, 4 ouvri­ers et 3 chefs. On dis­cute, et les jaunes sont “mis à pied”: 2 jours pour les ouvri­ers et 3 jours pour les chefs; 3 jours parce que ce sont des chefs, et parce que, pen­dant la dis­cus­sion, l’un d’eux a man­qué de respect aux ouvri­ers en dis­ant qu’il s’en foutait […]. Il ne s’agit pas seule­ment de défendre l’unité: les ouvri­ers sont en train de se frot­ter à l’exercice du pou­voir, et ils y pren­nent goût

6 Soc­cor­so rosso, Brigate rosse…, op. cit

. »

C’est dans ce con­texte que s’inscrivent les pre­mières actions des Brigades rouges. La pre­mière à être signée de l’étoile à cinq branch­es flan­quée de l’inscription Brigate rosse a lieu le 17 sep­tem­bre 1970: l’automobile de Giuseppe Leoni, le directeur du per­son­nel de l’usine Sit-Siemens, est incendiée. Aucun tract n’est lais­sé sur les lieux. Le soir en revanche, un mes­sage mi-ironique, mi-menaçant est glis­sé sous l’essuie-glace de la Fer­rari de Gior­gio Vil­la, ingénieur à Sit-Siemens: « Com­bi­en de temps dur­era-t-elle, la petite Fer­rari? Jusqu’à ce que nous ayons décidé qu’il est temps d’en finir avec les voy­ous. BRIGADES ROUGES

7 Ibi­dem

. »

Avant de se livr­er à ces actions « exem­plaires », les Brigades rouges avaient tenu, devant des audi­teurs per­plex­es et curieux, un meet­ing volant dans le quarti­er ouvri­er de Lorenteg­gio à Milan; elles avaient égale­ment procédé à un jeter de tracts devant l’usine Sit-Siemens.

Le 20 octo­bre 1970, dans une des feuilles de lutte de Sin­is­tra pro­le­taria, ­l’apparition des Brigades rouges sur la scène poli­tique est men­tion­née en ces ter­mes:

« L’automne rouge a déjà com­mencé

L’automne que nous allons vivre s’annonce comme une échéance de lutte déci­sive dans le con­flit de pou­voir […]. Con­tre les insti­tu­tions qui plan­i­fient notre exploita­tion, con­tre les lois et la jus­tice des patrons, la frac­tion la plus déter­minée et la plus con­sciente du pro­lé­tari­at en lutte a déjà com­mencé à com­bat­tre pour con­stru­ire une nou­velle légal­ité, un nou­veau pou­voir. Pour con­stru­ire son organ­i­sa­tion. Quelques exem­ples: l’enlèvement et l’exposition publique, par les ouvri­ers d’Ignis à Trente, des fas­cistes provo­ca­teurs qui avaient poignardé deux des leurs de manière préméditée

8 Le 30 juil­let à Trente, agressés par des fas­cistes au cours d’une man­i­fes­ta­tion, des ouvri­ers sont blessés à coups de couteau. En mesure de repré­sailles, des ouvri­ers et des étu­di­ants con­traig­nent deux représen­tants locaux du MSI (un con­seiller région­al et un mem­bre du syn­di­cat CISNAL) à marcher dans les rues de Trente avec une pan­car­te autour du cou où l’on pou­vait lire : « Nous sommes fas­cistes. Aujourd’hui nous avons poignardé trois ouvri­ers d’IGNIS. Voilà notre poli­tique pour les ouvri­ers. » Le Can­zoniere pisano a pub­lié une ver­sion chan­tée de cet épisode : Trenta luglio alla Ignis

; l’occupation et la défense des loge­ments occupés, seule manière d’accéder enfin à un loge­ment […] ; l’apparition d’organisations ouvrières autonomes (Brigades rouges) qui sont l’indice que l’auto-organisation pro­lé­tari­enne com­mence à se dot­er d’instruments pour com­bat­tre les patrons et leurs valets sur leur pro­pre ter­rain, « à égal­ité », avec les mêmes moyens que ceux qu’on utilise con­tre la classe ouvrière: directs, sélec­tifs, et sûrs comme à l’usine Siemens.

ORGANISONS LA RÉSISTANCE DES MASSES POPULAIRES…

Il est temps de s’organiser sur la ligne de feu pour enracin­er dans les luttes les con­tenus de la nou­velle pra­tique révo­lu­tion­naire: la stratégie de la guéril­la pop­u­laire. Et il est temps de s’investir dans l’affrontement général­isé pour:

– enracin­er chez les mass­es pop­u­laires en lutte le principe suiv­ant: “il n’y a pas de pou­voir poli­tique sans pou­voir mil­i­taire”;

– édu­quer par l’action par­ti­sane la gauche pro­lé­tari­enne et révo­lu­tion­naire à la résis­tance, à la lutte armée;

– met­tre au grand jour la struc­ture oppres­sive et répres­sive du pou­voir et les instru­ments de désor­gan­i­sa­tion de l’unité de classe

9 Soc­cor­so rosso, Brigate rosse…, op. cit

. »

Mais qu’est-ce donc que Sin­is­tra pro­le­taria

10 Lit­térale­ment : « Gauche pro­lé­tari­enne ». Sur les rap­ports entre ce groupe et l’organisation maoïste française du même nom, voir dans ce chapitre le texte La nais­sance des Brigades rouges, p. 374 sqq

? C’est une revue, dont deux numéros parais­sent courant 1970. Avant cela, plusieurs feuilles de lutte de Sin­is­tra pro­le­taria avaient déjà cir­culé, avec la men­tion « édité par le CPM (Col­let­ti­vo politi­co met­ro­pol­i­tano) ». Comme on s’en sou­vient, le CPM était, en ter­mes organ­i­sa­tion­nels, le résul­tat du débat qui avait agité l’aire des CUB à Milan en 1968 et 1969. Il avait été créé dans le but d’élargir son champ d’action de l’usine à l’ensemble de la société, et de dépass­er les con­tra­dic­tions inhérentes à la sépa­ra­tion entre les luttes en usine et les luttes sociales et étu­di­antes. Dans un texte de jan­vi­er 1970, le CPM résume ain­si la néces­sité de se dot­er de nou­velles formes organ­i­sa­tion­nelles:

« Nous devons nous pos­er le prob­lème de manière con­crète. Quel niveau d’organisation est aujourd’hui pos­si­ble et néces­saire? […]

CUB, Grup­pi di stu­dio, col­lec­tifs locaux du Movi­men­to stu­den­tesco etc. ont rem­pli une fonc­tion: en menant des luttes autodéter­minées et auto­gérées, ils ont per­mis que renaisse un mou­ve­ment autonome du pro­lé­tari­at. Ces luttes avaient essen­tielle­ment pour cadre poli­tique l’école et l’usine, elles se situ­aient donc à l’intérieur des insti­tu­tions […]. Dès lors que les luttes se sont général­isées et que beau­coup des con­tenus poli­tiques de l’autonomie ont été acquis, […] l’instrument organ­i­sa­tion­nel interne, sec­to­riel, n’a plus de fonc­tion poli­tique réelle, et il est dépassé à juste titre par les luttes mêmes qu’il a ren­dues pos­si­bles.

Dévelop­per l’autonomie du pro­lé­tari­at aujourd’hui, cela sig­ni­fie dépass­er les luttes sec­to­rielles et les organ­i­sa­tions sec­to­rielles. Ce dépasse­ment ne peut advenir que par la lutte con­tre les ten­dances « con­ser­va­tri­ces » à l’intérieur du mou­ve­ment, qui con­fondent l’autonomie avec son pre­mier niveau d’expression organ­isée, c’est-à-dire pré­cisé­ment les CUB, Grup­pi di stu­dio, Movi­men­to stu­den­tesco

11 Soc­cor­so rosso, Brigate rosse…, op. cit

. »

Ce texte fait spé­ci­fique­ment référence à la polémique qui avait opposé au sein des CUB les ten­ants de la « ligne de masse » et ceux de la « ligne de par­ti », c’est-à-dire fon­da­men­tale­ment la ten­dance de base d’une part et de l’autre Avan­guardia opera­ia, qui entendait inté­gr­er la fonc­tion des CUB dans une organ­i­sa­tion de type par­ti. La suite du texte pré­cise encore ce point de vue:

« La dimen­sion sociale de la lutte néces­site des organ­i­sa­tions de base à l’échelle de la société […]. Il ne s’agit donc pas de pass­er d’une organ­i­sa­tion de base à une organ­i­sa­tion pyra­mi­dale […] mais de créer des organ­i­sa­tions poli­tique­ment homogènes, pour inter­venir dans la lutte sociale mét­ro­pol­i­taine.

Le dépasse­ment de l’ouvriérisme et de l’estudiantisme […] ne sera pas le fruit de l’union spon­tanée, spo­radique et apoli­tique d’ouvriers et d’étudiants […], elle implique la con­sti­tu­tion de foy­ers organ­i­sa­tion­nels capa­bles d’agir sur l’ensemble des ques­tions sociales

12 Ibi­dem

. »

Le CPM devient rapi­de­ment une organ­i­sa­tion de masse, en par­ti­c­uli­er à Milan. Il est présent dans des dizaines d’usines et d’établissements sco­laires. Les mil­i­tants de Potere operaio, entre autres, le regar­dent avec une sym­pa­thie et un intérêt crois­sants, parce qu’ils y voient – mal­gré les diver­gences – un exem­ple en acte d’organisation de l’autonomie ouvrière.

Le texte que nous avons cité plus haut est issu d’un con­grès du CPM qui s’est tenu fin 1969 à Chi­avari, alors que réson­nent encore les échos du « mas­sacre d’État ». Les ques­tions de l’organisation, de la ligne et de la vio­lence sont au cen­tre des débats. Trois fac­teurs récents ont sans aucun doute lour­de­ment influ­encé les dis­cus­sions et les choix qui ont été faits alors: la répres­sion extrême­ment dure exer­cée par les insti­tu­tions de l’État pen­dant l’année 1969; la forte impres­sion pro­duite par la « vio­lence » de masse, spon­tanée, des ouvri­ers pen­dant l’« Automne chaud »; et enfin, les analy­ses stratégiques pro­duites au fil des luttes par les deux prin­ci­paux groupes poli­tiques, Lot­ta con­tin­ua et Potere operaio.

Le CPM, où l’on retrou­ve Rena­to Cur­cio et d’autres mil­i­tants issus de l’Université néga­tive de Trente, reprend en par­tie le con­cept de « lutte de longue durée », qui avait été théorisé au cours de l’expérience tren­tine, pour cri­ti­quer les posi­tions de Lot­ta con­tin­ua et de Potere operaio:

« Dans la lutte de classe, il con­vient de dis­tinguer trois élé­ments: les objec­tifs, les formes de lutte, l’organisation. Il appar­tient à la classe ouvrière de rad­i­calis­er la lutte sur des objec­tifs uni­fi­ca­teurs, mais l’organisation est le pro­duit des luttes […].

On jugera par con­séquent qu’une lutte est avancée ou rétro­grade dans l’exacte mesure où elle exprime – ou non – des objec­tifs uni­fi­ca­teurs et des formes rad­i­cales. L’organisation vient ensuite, elle répond à l’exigence de “con­serv­er” à un niveau con­scient les résul­tats acquis au cours de la lutte. […].

Nous faisons donc l’hypothèse d’une longue “guerre de posi­tion” au cours de laque­lle la classe ouvrière se ren­force à mesure qu’elle s’organise.

Sur ces ques­tions, Lot­ta con­tin­ua et Potere operaio, mal­gré leurs dif­férences, parta­gent la même analyse. Pour ces organ­i­sa­tions, l’autonomie est une con­di­tion préal­able à l’avènement de la lutte même. Pour elles, l’autonomie sig­ni­fie « indépen­dance » par rap­port au syn­di­cat et au par­ti […].

Le développe­ment de l’autonomie est donc enten­du comme le développe­ment d’une capac­ité organ­i­sa­tion­nelle qu’il s’agit d’opposer aux organ­i­sa­tions tra­di­tion­nelles. Nous pen­sons quant à nous que cette con­cep­tion de l’autonomie est restric­tive et super­fi­cielle, parce qu’ainsi com­prise, elle n’est plus que l’instrument et la con­di­tion du développe­ment des luttes […]. Vis-à-vis des luttes autonomes de masse de 1968 et 1969, deux posi­tions coex­is­tent au sein du mou­ve­ment ouvri­er:

– il y a ceux qui refusent d’y voir une dimen­sion de rup­ture, et qui ten­tent de récupér­er et d’exploiter leurs poten­tial­ités aux fins d’une sorte de “restau­ra­tion poli­tique” […] ;

– il y a ceux qui, quels que soient les courants ou les ten­dances dont ils provi­en­nent, ont com­pris que l’autonomie du pro­lé­tari­at était le point cen­tral dont devait par­tir le tra­vail poli­tique à venir […].

Nous faisons par­tie des sec­onds, et con­sid­érons qu’il s’agit là de l’unique posi­tion féconde, la seule capa­ble de dévelop­per la lutte révo­lu­tion­naire dans les métrop­o­les européennes.

Car c’est de cela qu’il s’agit. Non pas tant de rem­porter immé­di­ate­ment la vic­toire et de tout con­quérir (comme le dis­ent les slo­gans faciles des appren­tis manip­u­la­teurs), mais de croître dans une lutte de longue haleine, en util­isant les puis­sants obsta­cles que le mou­ve­ment trou­ve sur sa route, afin de trans­former le mou­ve­ment spon­tané de masse en mou­ve­ment révo­lu­tion­naire organ­isé

13 Soc­cor­so rosso, Brigate rosse…, op. cit

. »

Courant 1970, le CPM lance Sin­is­tra pro­le­taria, un organe d’information et de liai­son entre les luttes et les réal­ités du mou­ve­ment. C’est sous cet inti­t­ulé que le col­lec­tif mèn­era ou sou­tien­dra de nom­breuses luttes d’usine et qu’il par­ticipera à plusieurs grandes occu­pa­tions de loge­ments à Milan, via Mac Mahon et dans le quarti­er de Gal­laratese

14 On pour­ra lire en français l’un des rares textes qui fait le bilan de ces cam­pagnes d’occupation dans Lea Melandri, « Via Tibal­di et le com­mu­nisme » [1971], L’Infamie orig­i­naire, éd. Des Femmes, 1979

. Plus tard, il lancera une cam­pagne de lutte sur la ques­tion des trans­ports publics au cri de: « Reprenons les trans­ports » ou « Les trans­ports on les prend, l’abonnement on ne le paie pas ».

Ces slo­gans repre­naient, dans leur cadence comme dans leurs con­tenus, ceux de la cam­pagne de Lot­ta con­tin­ua qu’avait rejointe Sin­is­tra pro­le­taria: « Reprenons la ville », « Les maisons on les prend, les loy­ers on ne les paie pas ».

Le CPM mène par ailleurs des actions sys­té­ma­tiques en direc­tion des tech­ni­ciens et des étu­di­ants-tra­vailleurs, qu’ils con­sid­èrent comme l’un des ter­rains les plus per­ti­nents pour com­pren­dre le développe­ment des luttes dans les usines et dans la société.

La ques­tion des « tech­ni­ciens » avait déjà été soulevée avec beau­coup d’intelligence par les mil­i­tants et les intel­lectuels opéraïstes. En 1968, à Milan, un grand con­grès nation­al des fac­ultés tech­niques et sci­en­tifiques en lutte avait pro­duit des analy­ses impor­tantes sur la restruc­tura­tion tech­nologique en cours et sur la fonc­tion assignée aux tech­ni­ciens et à leur for­ma­tion sco­laire et uni­ver­si­taire par le néo­cap­i­tal­isme. Au cours d’une longue inter­ven­tion, Fran­co Piper­no de Potere operaio avait abor­dé la ques­tion du rap­port entre « fis­sion » et « fusion » nucléaire, antic­i­pant des analy­ses qui allaient devenir « à la mode » bien des années plus tard. Mais si les luttes des tech­ni­ciens sus­ci­tent tant d’intérêt, ce n’est pas seule­ment parce qu’ils sont dotés d’une intel­li­gence et d’une com­pé­tence tech­ni­co-sci­en­tifique révo­lu­tion­naires: ce qui les rend cen­trales, c’est avant tout leur posi­tion­nement dans le con­flit de classe en cours.

Dans le texte qui suit

15 « Ristrut­turazione cap­i­tal­is­ti­ca, pro­le­ta­riz­zazione dei tec­ni­ci e rifor­ma del­la scuo­la », Lin­ea di mas­sa n° 3, 1969

, après avoir exam­iné les dynamiques d’innovation tech­nologiques du néo­cap­i­tal­isme ital­ien dans les secteurs clefs de la pétrochimie, du nucléaire, de l’automobile, de l’aéronautique et de l’aérospatiale, mais aus­si de l’électronique et de l’automation, Piper­no analyse la nou­velle fonc­tion du « tech­ni­cien » dans la société cap­i­tal­iste avancée:

« La fon­da­tion de l’État comme État-plan implique une gigan­tesque exten­sion des ser­vices généraux qui assurent et coor­don­nent l’utilisation des fac­teurs pro­duc­tifs (recherche, pro­gram­ma­tion, trans­ports, ser­vices soci­aux, enseigne­ment), et leur prise en main par le secteur pub­lic.

D’autre part, la régu­la­tion du cycle sup­pose une capac­ité insti­tu­tion­nelle de l’État à rétablir le rap­port de forces entre les class­es sur le plan de la vio­lence sociale: c’est-à-dire que l’organisation éta­tique du cap­i­tal social doit être capa­ble de s’affirmer comme pur appareil répres­sif chaque fois que les luttes pren­nent la forme d’une attaque poli­tique con­tre le rap­port de pro­duc­tion et imposent la crise comme ter­rain de l’affrontement.

Sur le plan de l’organisation sociale, cette car­ac­téris­tique du cap­i­tal­isme avancé néces­site le ren­force­ment et l’extension des ser­vices impro­duc­tifs affec­tés spé­ci­fique­ment au con­trôle du com­porte­ment de la force de tra­vail (dis­posi­tifs de sur­veil­lance, répres­sion, manip­u­la­tion, etc.).

On a déjà observé que ces mou­ve­ments du cap­i­tal, que l’on a sché­ma­tique­ment exam­inés par secteurs, requièrent tous des inno­va­tions tech­nologiques rad­i­cales dans le proces­sus de tra­vail.

Du point de vue de la strat­i­fi­ca­tion sociale, on peut glob­ale­ment affirmer que le “saut tech­nologique” mod­i­fie la répar­ti­tion de la pop­u­la­tion active en aug­men­tant le nom­bre d’emplois tech­niques et en raré­fi­ant les emplois manuels agri­coles.

En out­re, le type de trans­for­ma­tion cap­i­tal­iste que nous venons de décrire attire les investisse­ments vers des secteurs qui présen­tent un besoin struc­turel en tra­vail tech­nique, non seule­ment dans le proces­sus de fab­ri­ca­tion à pro­pre­ment par­ler, mais surtout “en amont” et “en aval” de ce proces­sus.

Et c’est là une nou­veauté, dont les effets sont explosifs. Tra­di­tion­nelle­ment en effet, le développe­ment de l’industrie ital­i­enne s’est con­cen­tré sur une tech­nolo­gie qui, si elle lais­sait une large place à l’habileté de l’opérateur indi­vidu­el, au méti­er – c’est-à-dire glob­ale­ment aux proces­sus empiriques élaborés directe­ment dans la pra­tique (typ­ique­ment dans la sidérurgie, le tex­tile, le cuir, etc.) –, elle était égale­ment fondée sur l’exécution de tâch­es monot­o­nes et répéti­tives par une main‑d’œuvre pourvue au mieux d’une instruc­tion de base et d’une brève pré­pa­ra­tion extrasco­laire, prin­ci­pale­ment admin­istrée par les insti­tuts pro­fes­sion­nels (on pense au secteur auto­mo­bile ou à la pro­duc­tion d’électroménager).

La tran­si­tion cap­i­tal­iste à laque­lle est con­trainte aujourd’hui l’économie ital­i­enne néces­site au con­traire d’importants investisse­ments à long terme pour la recherche, l’étude, la con­cep­tion de pro­jets et la réal­i­sa­tion de nou­velles infra­struc­tures […].

Le rap­port entre l’ouvrier et le matéri­au qu’il trans­forme est tou­jours plus médié par une série de procé­dures sci­en­tifiques, objec­tivées par la machine automa­tisée; par­al­lèle­ment, on con­state que les tech­ni­ciens en tant que couche pro­fes­sion­nelle­ment qual­i­fiée de la force de tra­vail devi­en­nent peu à peu pré­dom­i­nants.

Ain­si, des fig­ures sociales qui opèrent aux marges du proces­sus de val­ori­sa­tion, ou même qui rem­plis­sent des fonc­tions impro­duc­tives de con­trôle et de dis­ci­pline sur le tra­vail vivant, ont-elles pris aujourd’hui un poids nou­veau dans le proces­sus de pro­duc­tion. Si l’ingénieur tra­di­tion­nel se car­ac­téri­sait par le fait qu’il effec­tu­ait par délé­ga­tion cer­taines fonc­tions patronales, l’ingénieur de l’unité pro­duc­tive automa­tisée mod­erne s’acquitte en règle générale d’une fonc­tion pro­duc­tive qui touche à la recherche, à la con­cep­tion de pro­jets, à la coor­di­na­tion du tra­vail, même s’il con­tin­ue sou­vent d’exercer un cer­tain nom­bre de pou­voirs dis­ci­plinaires sur la force de tra­vail la moins qual­i­fiée. Évidem­ment, cette affir­ma­tion implique l’abandon de l’identification tra­di­tion­nelle, et pour par­tie marx­i­enne, entre la trans­for­ma­tion de la matière et le tra­vail pro­duc­tif; elle autorise en out­re, par-delà les hiérar­chies mys­ti­fi­ca­tri­ces indexées aux écarts de revenu et à l’échelle des qual­i­fi­ca­tions, une iden­ti­fi­ca­tion pro­fonde entre les dif­férents secteurs de la classe ouvrière.

En effet, si l’on définit le tra­vail pro­duc­tif comme l’activité qui éla­bore des infor­ma­tions, trans­mis­es ensuite au matéri­au brut afin qu’en les incor­po­rant il se trans­forme en marchan­dise, alors nous devons en tir­er la con­clu­sion que le tra­vail pro­duc­tif s’exerce non seule­ment lors de la phase de fab­ri­ca­tion mais aus­si dans la recherche et dans la con­cep­tion, ain­si que dans la coor­di­na­tion et la dis­tri­b­u­tion.

Il en résulte que seules peu­vent être exclues de cette déf­i­ni­tion du tra­vail pro­duc­tif les activ­ités qui sont stricte­ment dévolues au con­trôle et à la dis­ci­pline des com­porte­ments de la force de tra­vail.

Mais ni l’analyse du proces­sus de tra­vail, ni une redéf­i­ni­tion du procès de val­ori­sa­tion ne suff­isent à étay­er la thèse qui iden­ti­fie les tech­ni­ciens comme un moment de la com­po­si­tion poli­tique de la classe ouvrière. L’incorporation des tech­ni­ciens dans la classe ouvrière n’a de sens que dans la mesure où leurs luttes respec­tives se coor­don­nent et se mêlent. Ain­si, regarder les tech­ni­ciens comme des tra­vailleurs pro­duc­tifs revient en réal­ité à faire l’hypothèse d’une inter­ven­tion poli­tique fondée sur la pos­si­bil­ité de com­mu­ni­quer à ce secteur de la force de tra­vail qual­i­fiée les rythmes et les objec­tifs de l’insubordination ouvrière.

En effet, nous ver­rons que si la réal­i­sa­tion pra­tique des mou­ve­ments du cap­i­tal néces­site cette opéra­tion de vio­lence sociale sur le tra­vail vivant que l’on appelle “réforme de l’école”, la lutte con­tre l’école dûment com­prise doit ten­ter d’impliquer les tech­ni­ciens dans le con­flit de classe qui s’annonce avec les échéances con­tractuelles de 1969–70. Ce serait là un pre­mier pas vers la réu­ni­fi­ca­tion poli­tique ver­ti­cale de la classe ouvrière. »

Une par­tie de ces réflex­ions seront repris­es par le Col­let­ti­vo politi­co met­ro­pol­i­tano, en par­ti­c­uli­er après la grève nationale des tech­ni­ciens début 1969. La forte présence de tech­ni­ciens et d’employés au CUB Pirelli et au Grup­po di stu­dio Sit-Siemens n’y fut sans doute pas non plus étrangère. C’est égale­ment dans ce con­texte théori­co-poli­tique qu’est né le GDS IBM, dans une entre­prise qui est, avec Olivet­ti, l’une des pointes avancées de la pro­duc­tion tech­nologique en Ital­ie.

Le choix stratégique du CPM-Sin­is­tra pro­le­taria d’unifier luttes d’usine et luttes sociales leur per­met de larges alliances avec Potere operaio et Lot­ta con­tin­ua sur les ques­tions du loge­ment et des trans­ports. Dans la lignée de l’expérience des CUB – où les étu­di­ants-tra­vailleurs avaient joué un rôle de liai­son –, le CPM décide égale­ment d’intervenir de manière sys­té­ma­tique dans les insti­tuts tech­niques et pro­fes­sion­nels, où la con­cen­tra­tion d’étudiants-travailleurs est la plus impor­tante et où les étu­di­ants sont les plus récep­tifs à la sit­u­a­tion de l’emploi qui se pro­file dans le secteur des tech­ni­ciens.

De toutes les villes d’Italie, Milan compte la plus forte con­cen­tra­tion d’étudiants-travailleurs: env­i­ron 80 000 en 1970. Parce que c’est une ville indus­trielle, les mou­ve­ments des étu­di­ants-tra­vailleurs créent une passerelle naturelle entre les luttes des sco­lar­isés et les luttes d’usine. Dans les pre­miers mois de 1970, les luttes des étu­di­ants-tra­vailleurs sont presque entière­ment cha­peautées par le CPM, qui a pro­duit l’analyse théorique la plus aboutie de la fonc­tion de cette fig­ure sociale. Le Movi­men­to lavo­ra­tori stu­den­ti

16 Ce MLS de 1970 ne doit pas être con­fon­du avec son homonyme plus tardif, une organ­i­sa­tion de l’Université Statale de Milan apparue en 1975

devient une organ­i­sa­tion où con­flu­ent des mil­i­tants issus d’autres expéri­ences (cadres du CUB Pirelli, étu­di­ants de Trente, etc.). Il est hégé­monique à l’institut tech­nique Fel­trinel­li, et devient une référence pour des expéri­ences ana­logues. Dans les analy­ses du CPM et du MLS, les cours du soir sont décrits comme un tra­vail d’usine:

« Les cours du soir sont une insti­tu­tion pro­duc­tive […], ils pro­duisent l’homme comme marchan­dise. Les échecs, les aban­dons, le sur­me­nage, les inter­rup­tions de cur­sus […], sont les moyens con­crets par lesquels l’usine du soir décide de sous­traire au proces­sus de fab­ri­ca­tion une par­tie non nég­lige­able du matéri­au qu’elle pro­duit. En ce sens, la “sélec­tion” n’est rien d’autre qu’un “con­trôle de qual­ité” du pro­duit. Selon le nom­bre de salariés dont il a besoin, le sys­tème développe les cours du soir ou com­mence au con­traire à éclair­cir les rangs en recalant les étu­di­ants

17 Sur la for­ma­tion comme pro­duc­tion de tra­vail vivant au moyen de tra­vail vivant, voir la brochure « L’école, ate­lier de la société-usine », op. cit. : « Au stade du cap­i­tal social, est pro­duc­tif tout tra­vail qui s’échange con­tre du cap­i­tal et non con­tre du revenu, qui con­tribue sociale­ment à la repro­duc­tion élargie du cap­i­tal, et donc la pro­duc­tion de la sci­ence, de la tech­nolo­gie, et toutes les opéra­tions en amont et en aval de la pro­duc­tion […]. »

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Mais les cours du soir ont aus­si une fonc­tion idéologique: le con­trôle de qual­ité pré­sup­pose que la pro­duc­tion soit “homogène” au sys­tème, d’où la néces­sité pour les patrons de créer le “con­sen­sus poli­tique et idéologique des mass­es pro­lé­taires”. En somme, “l’exploitation qui, dans les usines, se man­i­feste surtout sous son aspect éco­nom­i­co-struc­turel, prend à l’école la forme pré­va­lente de l’oppression politi­co-idéologique”.

Nous con­sid­érons que les études sont un véri­ta­ble tra­vail parce qu’elles pro­duisent quelque chose de pré­cis, de tan­gi­ble: une force de tra­vail pourvue d’une capac­ité pro­duc­tive accrue. Les cours du soir équiv­a­lent donc à 4 heures sup­plé­men­taires. Objec­tion nous a été faite que la loi oblig­eait à pay­er des charges sur le tra­vail. Mais quelle loi? Comme l’école, la loi appar­tient aux patrons.

LA LUTTE EST LA LOI DES EXPLOITÉS.

Nous n’avons à observ­er et à met­tre en œuvre qu’une seule loi: la lutte con­tin­ue con­tre l’exploitation que les lois de l’État bour­geois ten­tent de ren­dre juste, et par con­séquent légale

18 CPM – Col­let­ti­vo lavo­ra­tori-stu­den­ti, « Svilup­po e ristrut­turazione del­la scuo­la serale come isti­tu­to pro­dut­ti­vo », jan­vi­er 1970, cité dans Soc­cor­so rosso, Brigate rosse…, op. cit

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dans ce chapitreLa nais­sance des Brigades rouges »
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    Soc­cor­so rosso, Brigate rosse…, op. cit
  • 2
    Ibi­dem
  • 3
    La cas­sa inte­grazione guadag­ni, créée en 1946, est un dis­posi­tif qui per­met de plac­er les salariés en chô­mage tech­nique en leur ver­sant une allo­ca­tion financée en par­tie par l’État et en par­tie par les employeurs. Ces salariés « placés en réserve » peu­vent être réin­té­grés à n’importe quel moment. Ils touchent jusqu’à 80% de leur salaire et ne sont pas compt­abil­isés comme chômeurs. Durant les années 1970 et 80, ce dis­posi­tif a per­mis d’ajuster au plus près la quan­tité de main‑d’œuvre (et donc de salaire) aux besoins de la pro­duc­tion, notam­ment à la FIAT. Sur l’usage poli­tique de la cas­sa inte­grazione con­tre le cycle de lutte de l’ouvrier-masse au milieu des années 1970, voir chapitre 10 – L’année fron­tière, p. 494 sqq
  • 4
    La « péri­ode d’urgence » désigne une forme de gou­verne­ment qui voit les prin­ci­pales forces au par­lement, en par­ti­c­uli­er la DC et le PCI, adopter des mesures lég­isla­tives excep­tion­nelles au nom de « la défense de l’ordre démoc­ra­tique et de la sécu­rité publique » (décret-Loi Cos­si­ga du 15 novem­bre 1979, devenu loi du 6 févri­er 1980). Ces mesures, d’abord imposées sans le vote des cham­bres, vont pro­fondé­ment mod­i­fi­er le code pénal en insti­tu­ant de nou­veaux instru­ments juridiques, tels que la notion d’« asso­ci­a­tion avec final­ité de ter­ror­isme et de sub­ver­sion de l’ordre démoc­ra­tique », la recon­nais­sance juridique des « repen­tis », etc. On peut faire remon­ter ce « tour­nant lég­is­latif autori­taire » à 1974–75 (avec l’adoption du décret-loi du 11 avril 1974, puis de la Loi Reale en 1975 : exten­sion de l’usage des armes à feu par la police, de la garde-à-vue et de la déten­tion préven­tive…) mais à l’époque, le PCI votait encore con­tre ces mesures. Sur l’interprétation de la « péri­ode d’urgence » comme tour­nant poli­tique et lég­is­latif, voir le chapitre 12, p. 595 sqq. Voir aus­si Pao­lo Per­sichet­ti, Oreste Scal­zone, La Révo­lu­tion et l’État, op. cit., et Luther Blis­sett Project, Nemi­ci del­lo Sta­to, Crim­i­nali, “mostri” e leg­gi spe­ciali nel­la soci­età di con­trol­lo, DeriveAp­pro­di, 2002 – disponible en ligne en ital­ien
  • 5
    Alessan­dro Slij, Mai più sen­za fucile, op. cit
  • 6
    Soc­cor­so rosso, Brigate rosse…, op. cit
  • 7
    Ibi­dem
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    Le 30 juil­let à Trente, agressés par des fas­cistes au cours d’une man­i­fes­ta­tion, des ouvri­ers sont blessés à coups de couteau. En mesure de repré­sailles, des ouvri­ers et des étu­di­ants con­traig­nent deux représen­tants locaux du MSI (un con­seiller région­al et un mem­bre du syn­di­cat CISNAL) à marcher dans les rues de Trente avec une pan­car­te autour du cou où l’on pou­vait lire : « Nous sommes fas­cistes. Aujourd’hui nous avons poignardé trois ouvri­ers d’IGNIS. Voilà notre poli­tique pour les ouvri­ers. » Le Can­zoniere pisano a pub­lié une ver­sion chan­tée de cet épisode : Trenta luglio alla Ignis
  • 9
    Soc­cor­so rosso, Brigate rosse…, op. cit
  • 10
    Lit­térale­ment : « Gauche pro­lé­tari­enne ». Sur les rap­ports entre ce groupe et l’organisation maoïste française du même nom, voir dans ce chapitre le texte La nais­sance des Brigades rouges, p. 374 sqq
  • 11
    Soc­cor­so rosso, Brigate rosse…, op. cit
  • 12
    Ibi­dem
  • 13
    Soc­cor­so rosso, Brigate rosse…, op. cit
  • 14
    On pour­ra lire en français l’un des rares textes qui fait le bilan de ces cam­pagnes d’occupation dans Lea Melandri, « Via Tibal­di et le com­mu­nisme » [1971], L’Infamie orig­i­naire, éd. Des Femmes, 1979
  • 15
    « Ristrut­turazione cap­i­tal­is­ti­ca, pro­le­ta­riz­zazione dei tec­ni­ci e rifor­ma del­la scuo­la », Lin­ea di mas­sa n° 3, 1969
  • 16
    Ce MLS de 1970 ne doit pas être con­fon­du avec son homonyme plus tardif, une organ­i­sa­tion de l’Université Statale de Milan apparue en 1975
  • 17
    Sur la for­ma­tion comme pro­duc­tion de tra­vail vivant au moyen de tra­vail vivant, voir la brochure « L’école, ate­lier de la société-usine », op. cit. : « Au stade du cap­i­tal social, est pro­duc­tif tout tra­vail qui s’échange con­tre du cap­i­tal et non con­tre du revenu, qui con­tribue sociale­ment à la repro­duc­tion élargie du cap­i­tal, et donc la pro­duc­tion de la sci­ence, de la tech­nolo­gie, et toutes les opéra­tions en amont et en aval de la pro­duc­tion […]. »
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    CPM – Col­let­ti­vo lavo­ra­tori-stu­den­ti, « Svilup­po e ristrut­turazione del­la scuo­la serale come isti­tu­to pro­dut­ti­vo », jan­vi­er 1970, cité dans Soc­cor­so rosso, Brigate rosse…, op. cit