Les Comités Unitaires de Base (CUB): la classe ouvrière comme sujet

Pen­dant les deux années qui ont précédé 1969, les luttes d’usine ont été mar­quées par une forte autonomie des com­porte­ments ouvri­ers aus­si bien à l’égard de la poli­tique des par­tis de gauche qu’à l’égard de celle du syn­di­cat. La FIOM avait bien ten­té, par­fois avec suc­cès, de pren­dre la tête des luttes, mais la divi­sion per­sis­tante entre les cen­trales syn­di­cales (uil, cisl, cgil) et la soumis­sion des direc­tions aux exi­gences des par­tis les empêchaient de com­pren­dre pleine­ment les nou­velles ten­sions et les exi­gences exprimées par la base ouvrière.

Par ailleurs si, de 1965 à 1967, le PCI se main­tient dans l’opposition par rap­port au cen­tre-gauche, il con­tin­ue à croire en la per­spec­tive d’une « poli­tique du plan »: une poli­tique qui per­me­tte de « pro­gram­mer », de « plan­i­fi­er » le développe­ment économique, pro­duc­tif et poli­tique du néo­cap­i­tal­isme. Fidèle à la ligne tracée depuis l’après-guerre avec l’« idéolo­gie de la Recon­struc­tion », son action ne se dis­tingue de celle du cen­tre-gauche que par la reven­di­ca­tion d’une « pro­gram­ma­tion démoc­ra­tique », et donc d’une par­tic­i­pa­tion des com­mu­nistes et des syn­di­cats à l’élaboration des straté­gies du développe­ment cap­i­tal­iste.

La ligne, le mythe de la « classe ouvrière qui se fait État

1 Ce mot d’ordre, dont il sera de nou­veau ques­tion au chapitre 8 – Le com­pro­mis his­torique (p. 439 sqq.), invoque la néces­sité pour la classe ouvrière de se sub­stituer à l’État défail­lant dans ses fonc­tions d’organisateur de la pro­duc­tion (idée qui domine, de l’idéologie de la Recon­struc­tion au Con­grès de L’EUR), mais aus­si dans ses fonc­tions de police et de garant de la légal­ité con­sti­tu­tion­nelle.

», qui s’émancipe à tra­vers le développe­ment des forces pro­duc­tives, con­tin­ue à occu­per les esprits de la gauche com­mu­niste, syn­di­cale et poli­tique. Et en réal­ité cette con­cep­tion n’est pas près de dis­paraître, elle va au con­traire s’accentuer à par­tir du milieu des années 1970. Il est bien évi­dent qu’une stratégie syn­di­cale assise sur de telles bases théoriques ne pou­vait guère qu’arrimer ses reven­di­ca­tions au rap­port entre salaire et pro­duc­tiv­ité. Depuis le début du gou­verne­ment de cen­tre-gauche, le PCI avait don­né tous les signes d’une bien­veil­lante oppo­si­tion. Il se réser­vait de main­tenir des rap­ports priv­ilégiés avec le PSI et con­sid­érait la poli­tique de « pro­gram­ma­tion » comme un ter­rain sur lequel « la classe ouvrière doit et peut con­duire sa lutte pour faire de la « poli­tique du plan » un out­il ser­vant d’autres buts », au sein de laque­lle « l’efficience pro­duc­tive n’est pas et ne peut être indif­férente à la classe ouvrière, laque­lle a établi sur ce ter­rain une vaste zone de con­ver­gence ».

Comme on l’aura aisé­ment com­pris, une telle stratégie poli­tique se situ­ait aux antipodes de la ten­dance ouvrière – qui reste longtemps souter­raine et frag­men­taire, mais qui n’en est pas moins présente et opérante – à bris­er les règles rigides de la négo­ci­a­tion con­tractuelle, à décon­necter le salaire de la pro­duc­tiv­ité, à inven­ter de nou­velles formes de lutte, hors des sché­mas tra­di­tion­nels. En dépit de cela, l’énorme masse des ouvri­ers injec­tés dans l’usine à par­tir du début des années 1960 con­tin­u­ait de se référ­er au PCI, y com­pris parce qu’il n’y avait pas d’alternative à gauche.

D’ailleurs, le jeune pro­lé­taire, immi­gré ou non, qui se trou­vait en sit­u­a­tion de devoir défendre ses droits dans l’univers autori­taire de l’usine, n’avait d’autre choix que de s’en remet­tre aux syn­di­cats, d’en subir l’hégémonie sur le ter­rain, d’accepter qu’il « fasse la médi­a­tion » entre ses exi­gences et celle de la direc­tion. « Parce que la lutte de classe en usine est par déf­i­ni­tion fon­da­men­tale­ment syn­di­cale et que dans les usines la seule struc­ture organ­isée qui agisse au quo­ti­di­en est le syn­di­cat

2 « I Comi­tati uni­tari di base : orig­i­ni, svilup­pi, prospet­tive », Quaderni di Avan­guardia opera­ia, Sapere edi­zioni, 1973.

». Cela ne sig­ni­fie pas que la nou­velle com­po­si­tion ouvrière ne perçoive pas la con­tra­dic­tion per­ma­nente entre ses exi­gences et les straté­gies poli­tiques de ceux qui la représen­tent (par­ti et syn­di­cat). Les épisodes récur­rents d’insubordination pro­lé­taire et de débor­de­ment des direc­tions syn­di­cales en sont la man­i­fes­ta­tion la plus évi­dente. Les intel­lectuels raf­finés du courant opéraïste y ver­ront aus­si un déli­cat prob­lème théorique, et par­leront sou­vent à ce sujet d’« usage ouvri­er du syn­di­cat ». Car les nou­velles formes de lutte (« chat sauvage », grève « en dami­er », « au sif­flet

3 La grève a scac­chiera, en « dami­er », est un arrêt de tra­vail déclenché suc­ces­sive­ment par dif­férents groupes de tra­vailleurs dont les activ­ités sont inter­dépen­dantes dans l’organisation du tra­vail. Il s’agit de causer le préju­dice max­i­mal avec une perte de salaire min­i­male pour les grévistes. Comme la grève « au sif­flet » ou à la « chat sauvage », qui désig­nent plus spé­ci­fique­ment (comme on l’a vu au chapitre 3) l’absence de préavis dans l’interruption du tra­vail, il s’agit d’un arrêt de tra­vail con­certé entre les tra­vailleurs et déter­miné en fonc­tion de leur posi­tion dans le proces­sus de pro­duc­tion, en dehors de toute con­signe syn­di­cale

»), qui se situent toutes en dehors de la tra­di­tion syn­di­cale, jalon­nent la lente for­ma­tion des « com­porte­ments autonomes de classe ».

À par­tir de 1965, la pres­sion ouvrière ne cesse donc de s’accroître, jusqu’à l’affrontement ouvert avec les « forces de l’ordre ». Le gou­verne­ment fait don­ner la police con­tre les tra­vailleurs à Milan, Rome, Naples et dans de nom­breuses autres villes. En 1966, à l’usine Alfa Romeo de Milan, ce sont de véri­ta­bles épisodes de guéril­la qui opposent tra­vailleurs et policiers (finale­ment, la trêve est con­clue par un échange de « pris­on­niers » entre les deux camps). Lors de l’inauguration de la Fiera

4 La Fiera di Milano (la Foire de Milan) est l’exposition annuelle des pro­duits de l’industrie made in Italy, qui se déroulait dans le parc des expo­si­tions Fiera cam­pi­onar­ia di Milano.

de Milan, mal­gré les freins mis par les dirigeants syn­di­caux, des mil­liers d’ouvriers se met­tent en grève et con­ver­gent vers le site pour y sif­fler Sara­gat (alors prési­dent de la République) lequel, évidem­ment aver­ti, est prudem­ment resté à Rome.

« C’est à l’occasion de la rené­go­ci­a­tion des con­trats de 1966 qu’apparaît, à l’usine Siemens de Milan, un tout nou­veau type d’organisation ouvrière démoc­ra­tique de base: en sub­stance, le pre­mier con­seil d’usine des années 1960. Il prend d’abord la forme d’un “comité de grève” com­posé de délégués d’atelier. Le ­“comité” ne dure pas très longtemps, en par­ti­c­uli­er parce que dès le con­trat signé, le syn­di­cat se livre à une vigoureuse opéra­tion de pilon­nage, mais son exis­tence sig­nale toute­fois net­te­ment que les exi­gences ouvrières com­men­cent à s’orienter vers de nou­velles formes d’organisation

5 « I comi­tati uni­tari di base : orig­i­ni, svilup­pi, prospet­tive », op. cit

. » Et c’est aus­si dans ces espaces de dis­sensus ouvri­er que se déploient les pre­mières formes d’intervention de la gauche révo­lu­tion­naire nais­sante. Même s’il ne faut pas en suré­val­uer l’importance, les ques­tions de l’égalitarisme et de l’anti-productivisme qui com­men­cent à inve­stir le débat pub­lic influ­enceront de larges secteurs des avant-gardes ouvrières et une bonne part des cadres syn­di­caux.

D’autre part, la stratégie poli­tique du PCI, tout à sa quête de formes de par­tic­i­pa­tion au gou­verne­ment de la société, exigeait que le syn­di­cat, conçu comme la « cour­roie de trans­mis­sion » des exi­gences du Par­ti à l’intérieur de l’usine, devi­enne lui aus­si un « acteur social » incon­tourn­able de la négo­ci­a­tion avec le gou­verne­ment et les « élites néo­cap­i­tal­istes ». En ce sens, la néces­sité de l’unité syn­di­cale (dans la diver­sité de ses com­posantes poli­tiques: chré­ti­ennes, social­istes et com­mu­nistes) en venait à être con­sid­érée presque exclu­sive­ment comme une opéra­tion au som­met, l’anticipation sur le ter­rain social pro­duc­tif de la future par­tic­i­pa­tion du PCI au gou­verne­ment.

Dans cette dynamique, la col­lab­o­ra­tion avec le sys­tème cap­i­tal­iste deve­nait donc cen­trale. Au nom de l’« unité syn­di­cale », la CGIL mul­ti­pli­ait les retours en arrière et s’alignait sur les posi­tions ultra-col­lab­o­ra­tionnistes défendues par les autres syn­di­cats. Cela explique par exem­ple que la FIOM, qui avait pour­tant ten­té de pren­dre la tête des luttes de 1965–66, se soit retrou­vée au terme de ces deux ans avec le plus bas nom­bre d’inscrits de son his­toire. Ce que les direc­tions syn­di­cales n’avaient pas com­pris, ou ce qu’elles n’avaient pas voulu com­pren­dre, c’était la mod­i­fi­ca­tion pro­fonde qui était inter­v­enue dans la com­po­si­tion ouvrière: la nou­velle sub­jec­tiv­ité des jeunes ouvri­ers, le fait que la plu­part étaient décon­nec­tés de la tra­di­tion ouvrière issue de la Résis­tance, leur indif­férence aux critères méri­to­cra­tiques de la hiérar­chie d’usine, le fait que bien sou­vent, ils n’exprimaient rien d’autre que le vent de trans­for­ma­tion égal­i­taire et anti­au­tori­taire qui souf­flait en dehors de l’usine.

« L’ouvrier-masse est le pro­tag­o­niste de la nou­velle grande vague de luttes ouvrières, celle qui a com­mencé dans les années 1960

6 Ce texte est extrait de l’appendice à l’édition ital­i­enne de Nous voulons tout ! de Nan­ni Balestri­ni (Vogliamo tut­to !, Fel­trinel­li, 1971, réed. DeriveAp­pro­di, 2004), inti­t­ulé Pren­di­amo­ci tut­to – Con­feren­za per un roman­zo (novem­bre 1971)

. C’est à ce moment qu’est arrivée sur le devant de la scène cette nou­velle fig­ure poli­tique du pro­lé­tari­at, avec ses car­ac­téris­tiques et ses objec­tifs pro­pres, et les nou­velles formes de lutte qu’elle impose. On l’a décrit comme “le mérid­ion­al typ­ique, c’est-à-dire pau­vre, entre 18 et 50 ans, disponible à tous les métiers, sans aucune qual­i­fi­ca­tion pro­fes­sion­nelle – même quand il est formelle­ment tit­u­laire d’un diplôme –, can­di­dat pérenne à l’immigration, sans emploi sta­ble et fréquem­ment au chô­mage ou con­traint à des presta­tions aus­si bigar­rées qu’irrégulières”.

Une fig­ure dont l’émergence poli­tique est tout à fait spon­tanée, au sens où elle est étrangère aux canaux organ­i­sa­tion­nels tra­di­tion­nels, au par­ti et au syn­di­cat. Une fig­ure nou­velle qui agit par elle-même, indépen­dam­ment de toute tra­di­tion poli­tique antérieure, et qui refonde, dans la matéri­al­ité des faits, des événe­ments et des luttes, toutes les manières de faire de la poli­tique.

C’est ce nou­veau sujet poli­tique pro­lé­taire qui, en émi­grant depuis le Sud de l’Italie, a porté dans l’Europe entière le développe­ment cap­i­tal­iste de ces vingt dernières années, de la Fiat à Volk­swa­gen ou à Renault, des mines de Bel­gique à la Ruhr. C’est lui qui a mené les grandes luttes ouvrières de ces dernières années, lui qui a tout mis en pièces, qui a mis l’Italie en crise; lui qui est aujourd’hui à l’origine de la réponse dés­espérée du cap­i­tal, aus­si bien dans les usines qu’au plan insti­tu­tion­nel; lui qui oblige les patrons à brandir l’arme ultime, celle de la crise; lui qui les oblige même à détru­ire leur pro­pre richesse pourvu qu’ils por­tent un coup défini­tif à l’ennemi qui les accule.

L’ennemi, c’est ce pro­lé­taire du Sud: l’homme aux mille métiers parce que sans aucun méti­er, “le dérac­iné, le chômeur, le métay­er expul­sé, l’ouvrier agri­cole sans per­spec­tive, le paysan insolv­able, le diplômé sans tra­vail; cette force de tra­vail mobile, disponible, inter­change­able à des niveaux de qual­i­fi­ca­tion bas ou moyen”. Celui qui ne trou­ve pas de tra­vail dans le Sud et va en chercher à Turin, à Milan, en Suisse, en Alle­magne, partout en Europe. Celui qui en échange de revenu, en échange d’argent, accepte le tra­vail le plus dur, le plus épuisant, le plus inhu­main, ce que per­son­ne d’autre n’est dis­posé à faire.

Bien sûr pen­dant cette phase, son com­porte­ment n’est pas encore déter­miné poli­tique­ment, du point de vue de la con­science de classe. Il se situe sim­ple­ment à l’intérieur du pro­jet cap­i­tal­iste, c’est-à-dire qu’il est pris dans les lois cap­i­tal­istes de l’accumulation. Ils sont tous dedans, pliés, sous le com­man­de­ment absolu de la dom­i­na­tion du cap­i­tal.

Mais dans le pas­sage des années 1960 aux années 1970, il se pro­duit quelque chose de fon­da­men­tal: la dom­i­na­tion du cap­i­tal sur cette fig­ure pro­lé­taire, sur cette fig­ure de l’ouvrier-masse telle qu’on l’a définie, éclate, se brise. Et elle n’éclate pas parce qu’il y aurait eu une prise de con­science, l’avènement d’une idéolo­gie nou­velle cen­trée sur les besoins de pou­voir de cette nou­velle fig­ure ouvrière, de cette nou­velle com­po­si­tion de classe. Elle se brise au con­traire sur la matéri­al­ité même du con­flit, face aux exi­gences matérielles de cet ouvri­er, de ce pro­lé­taire. C’est à l’intérieur même des luttes que la dom­i­na­tion du cap­i­tal est brisée. Elle est brisée en 1969 à la Fiat et dans toute l’Italie par la for­mi­da­ble poussée des luttes qui émer­gent à cette péri­ode.

Les luttes de 1969 ont des car­ac­téris­tiques com­plète­ment dif­férentes de celles qui les ont précédées, et aus­si de celles d’aujourd’hui, parce qu’elles sont nées à l’intérieur du développe­ment. Elles sont nées à un moment où le cap­i­tal util­i­sait la force de tra­vail – cette fig­ure de la force de tra­vail – dans son pro­jet de développe­ment, dans son plan d’accumulation. Et soudain, ce qui était devenu une loi fon­da­men­tale du cap­i­tal – le fait que cette force de tra­vail du Sud devait servir à garan­tir un saut dans le développe­ment du cap­i­tal – s’est révélé, au cœur de son développe­ment même, une con­tra­dic­tion irréversible. Parce que cet ouvri­er qui a fait la richesse, qui a con­stru­it la richesse non pas tant ou pas seule­ment dans les villes du Nord de l’Italie mais, si l’on regarde bien, dans l’Europe entière – ce type d’ouvrier, dans son rap­port même avec le cap­i­tal, réus­sit à inven­ter un com­porte­ment antag­o­niste nou­veau, entière­ment fondé sur ses besoins matériels.

Cet ouvri­er, l’ouvrier-masse, n’a aucun rap­port avec la vieille tra­di­tion com­mu­niste, et il ne peut pas en avoir parce qu’il s’agit d’une com­po­si­tion de classe totale­ment dif­férente de celle dont était né le Par­ti com­mu­niste.

Le PCI était né au Nord, il était né à Turin, il était né du mou­ve­ment des Con­seils d’usine, il était né dans le sil­lage de la révo­lu­tion d’Octobre, il était né de l’expérience des Sovi­ets. Il se fondait sur la fig­ure de l’ouvrier pro­fes­sion­nel, c’est-à-dire d’un ouvri­er haute­ment qual­i­fié qui demandait du pou­voir au nom de sa capac­ité pro­fes­sion­nelle. C’était l’ouvrier qui savait par­faite­ment con­stru­ire une FIAT Balil­la tout seul et qui, parce qu’il déte­nait la capac­ité de pro­duire la richesse, en exigeait en con­trepar­tie la ges­tion.

Les Con­seils ouvri­ers étaient à l’avant-garde de ce mou­ve­ment et il y a eu, en 1920, des épisodes d’occupation d’usines où ils ont ten­té de se sub­stituer à la direc­tion patronale. La néces­sité de con­tr­er l’offensive de cette com­po­si­tion de classe déter­mi­na la réponse cap­i­tal­iste des années suiv­antes. Cette réponse à l’expérience des Sovi­ets et au mou­ve­ment des Con­seils con­duisit à la destruc­tion, à l’absorption, d’un point de vue objec­tif, de la fig­ure de l’ouvrier pro­fes­sion­nel comme fig­ure majeure du proces­sus pro­duc­tif.

Le cap­i­tal a eu recours à dif­férents moyens pour parachev­er la défaite de l’ouvrier tra­di­tion­nel: le fas­cisme, le saut tech­nologique, la crise économique de 1929. Le résul­tat devait néces­saire­ment en être la destruc­tion et le rem­place­ment de l’ouvrier pro­fes­sion­nel par une nou­velle fig­ure de la force de tra­vail, une autre fig­ure de pro­duc­teur.

Par con­séquent, l’ouvrier spé­cial­isé fait place à un nou­veau type d’ouvrier qui tient, du point de vue du rap­port de pro­duc­tion, de l’organisation même de la pro­duc­tion, un rôle tout dif­férent. C’est l’ouvrier de la chaîne de mon­tage: non pro­fes­sion­nal­isé, non spé­cial­isé, mobile, inter­change­able. C’est l’ouvrier du grand saut tech­nologique des années 1920 et 1930, de la chaîne de mon­tage fordiste et du tay­lorisme. C’est l’ouvrier qui a, comme nous aujourd’hui, un rap­port com­plète­ment dif­férent à la machine et à l’usine. »

La cul­ture sub­jec­tive de l’ouvrier-masse, même si elle était encore con­fuse et sans pro­jet, était aux antipodes de la poli­tique de pro­duc­tiv­ité et du salaire indexé au mérite. La thèse de Bruno Trentin (le dirigeant his­torique de la fiom) selon laque­lle « les aug­men­ta­tions de salaire égales pour tous ne sont que des pru­rits égal­i­taires de nature petite-bour­geoise », lui était par exem­ple incom­préhen­si­ble. Cette authen­tique imbé­cil­lité de la part d’un dirigeant syn­di­cal qui jouit encore aujourd’hui d’un large pres­tige, y com­pris chez les intel­lectuels de gauche, allait être démen­tie durable­ment par les luttes vic­to­rieuses de l’Automne chaud.

Mais la « com­po­si­tion poli­tique ouvrière » n’était pas la seule à con­naître une muta­tion rapi­de: les tech­ni­ciens, les employés et les salariés des ser­vices (postes et télé­phones, hôpi­taux, trans­ports, etc.) subis­saient eux aus­si d’importantes mod­i­fi­ca­tions de leur statut et de leurs fonc­tions. La posi­tion tra­di­tion­nelle des employés et des tech­ni­ciens dans le cycle pro­duc­tif, notam­ment, s’était large­ment trans­for­mée au cours des années 1960. Les proces­sus de restruc­tura­tion tech­nologique avaient con­duit à un fort accroisse­ment du secteur des tech­ni­ciens, tan­dis que celui des employés admin­is­trat­ifs avait net­te­ment dimin­ué.

Mais face aux dynamiques du nou­veau cycle cap­i­tal­iste, les employés sem­blent « désar­més » sur le plan cul­turel et poli­tique. Ils sont habitués à adhér­er à des syn­di­cats « mous », ils sont portés tant sociale­ment que psy­chologique­ment à se dis­tinguer de la con­di­tion ouvrière. On sait qu’ils sont ten­dan­cielle­ment soumis au mythe de l’efficience et du pres­tige patronal, et qu’ils restent « petits-bour­geois » dans leurs rela­tions privées et leurs modes de con­som­ma­tion quo­ti­di­enne. Ils por­tent sou­vent leur suf­frage sur des for­ma­tions cen­tristes et con­ser­va­tri­ces, mais ils subis­sent les pres­sions du PCI qui s’oriente vers la con­quête des class­es moyennes et la social-démoc­ra­ti­sa­tion de ses struc­tures. Leur pou­voir d’achat ne cesse de s’éroder, ce qui entraîne une perte de statut social et de pres­tige. Décon­te­nancés par les inno­va­tions tech­niques et admin­is­tra­tives (le proces­sus d’automation et les infra­struc­tures mécanographiques), ils sont touchés de plein fou­et par une vaste opéra­tion de raje­u­nisse­ment du per­son­nel et l’embauche de mil­liers d’employés jeunes et com­bat­ifs.

Pour les uns comme pour les autres, c’est donc bien d’un proces­sus de « pro­lé­tari­sa­tion » qu’il s’agit, et qui les propulse dans le con­flit de classe en cours. Le slo­gan « ouvri­ers et employés unis dans la lutte » com­mence à cir­culer dans les man­i­fes­ta­tions, abolis­sant une sépa­ra­tion qui exis­tait depuis tou­jours. Bien sûr, dans les usines, beau­coup de tech­ni­ciens assu­ment des fonc­tions de « petits chefs » affec­tés au con­trôle des « temps et des rythmes » et une minorité semi-priv­ilégiée d’employés assu­ment en par­tie des fonc­tions man­agéri­ales, mais ceux-là devront bien vite affron­ter la rage et l’insubordination ouvrières.

C’est dans ce con­texte, et tan­dis qu’au dehors explose la con­tes­ta­tion étu­di­ante, que la base ouvrière prend con­science du fait que le syn­di­cat joue un rôle fon­da­men­tal dans la poli­tique de col­lab­o­ra­tion avec l’adversaire de classe. La lutte se porte alors con­tre la poli­tique syn­di­cale, con­tre la manière dont elle se traduit con­crète­ment en usine. La cri­tique du PCI n’est plus alors que le sim­ple reflet de la cri­tique adressée à la CGIL – dans la seule mesure où il sem­ble évi­dent qu’elle en subit l’hégémonie.

La lutte con­tre la poli­tique col­lab­o­ra­tionniste des syn­di­cats prend dif­férentes formes. Cer­tains choi­sis­sent de lut­ter « à l’intérieur de l’organisation syn­di­cale » pour y cor­riger ce qui est par­fois envis­agé comme des erreurs dans le cadre d’une stratégie glob­ale­ment val­able; d’autres déci­dent de créer des « struc­tures d’organisation indépen­dantes » pour dévelop­per une action de masse sur des bases de classe, ce qui est devenu impos­si­ble dans les organ­i­sa­tions syn­di­cales. Cette sec­onde option donne nais­sance à de petits syn­di­cats et aux Comités uni­taires de base.

La créa­tion des pre­miers Cub au print­emps 1968 fait suite à deux énormes mou­ve­ments de grève, con­tre les « cages salar­i­ales

7 Les gab­bie salar­i­ali sont un mode de cal­cul et d’indexation des salaires mis en place en 1946, qui repo­sait sur dif­férents paramètres dont l’indice de cherté de la vie selon les provinces (il exis­tait 14 « zones » dif­férentes, qui furent ensuite réduites à 7). Ce sys­tème dis­tin­guait prin­ci­pale­ment les salaires du Sud de ceux du Nord. En mars 1969, suite à une série de mobil­i­sa­tions pour l’égalité des salaires, le principe des « cages » sera aboli

» et sur les retraites, qui avaient tous deux fait preuve d’un très haut degré de matu­rité. Les « cages salar­i­ales » étaient un instru­ment de divi­sion de la classe. Des salaires dif­férents selon les zones géo­graphiques, des négo­ci­a­tions isolées et des luttes séparées, tout cela fai­sait le jeu des patrons: la lutte devait être unique, nationale et par caté­gories. Mais les ouvri­ers demandaient aus­si à savoir quel serait leur futur après une vie de tra­vail et d’exploitation. Tous avaient à l’esprit, par leur vécu per­son­nel, par leur con­di­tion de classe, des images de pères, de mères, de par­ents, d’amis réduits à une vie mis­érable par des retraites faméliques, après 30 ou 40 ans de dur labeur en usine. Tous avaient en mémoire les cen­taines de mil­liers de morts (« les morts blanch­es

8 Les mor­ti bianche désig­nent des acci­dents du tra­vail mor­tels, ain­si nom­més en Ital­ie en rai­son du silence qui les entoure et de l’absence de respon­s­abil­ités établies

») et d’invalides du tra­vail. Ils demandaient que tout cela change.

Les « cages salar­i­ales » furent abolies et la réforme du régime des retraites fut engagée. Des man­i­fes­ta­tions avaient réu­ni des cen­taines de mil­liers d’ouvriers, don­nant sou­vent lieu à de vio­lents affron­te­ments avec la police. À Valdag­no, fief indus­triel des comtes Mar­zot­to, les ouvri­ers avaient abat­tu la stat­ue du fon­da­teur de la dynas­tie qui trô­nait sur la place. Les étu­di­ants s’étaient couram­ment joints à ces man­i­fes­ta­tions et les jour­naux patronaux (mais aus­si le PCI) déli­raient con­tin­uelle­ment sur les provo­ca­tions de « grou­pus­cules chi­nois ». La vio­lence de la police et l’ampleur incon­trôlable des man­i­fes­ta­tions ouvrières avaient ébran­lé le gou­verne­ment. Quant au syn­di­cat et au PCI, ils essayaient de « chevauch­er le tigre » du dis­sensus ouvri­er en pro­posant notam­ment le désarme­ment de la police, et en deman­dant que la garantie de l’ordre pub­lic soit con­fiée aux syn­di­cats.

Cette posi­tion n’est pas sans sus­citer de lour­des inquié­tudes par­mi les autorités poli­cières, et jusque dans les appareils des ser­vices secrets. On peut avancer que c’est à ce moment qu’ils com­men­cent à expéri­menter les tech­niques de ce qu’on appellera plus tard la « stratégie de la ten­sion ». En effet, le 30 août 1968 (et l’incident se repro­duira en décem­bre) on retrou­ve une bombe intacte au six­ième étage des mag­a­sins la Rinascente à Milan. Le Préfet Alle­gra

9 Anto­nio Alle­gra était respon­s­able du Bureau poli­tique à la Pré­fec­ture de police lorsqu’en décem­bre 1969, après l’attentat de la piaz­za Fontana, des accu­sa­tions con­tre le mou­ve­ment seront suiv­ies de nom­breuses arresta­tions dans les milieux anar­chistes. Sur cet atten­tat, voir dans ce chapitre – La Stratégie de la ten­sion (p. 320 sqq.) et L’État mas­sacre (p. 325 sqq.)

, qui devien­dra célèbre après le « mas­sacre d’État », écrit dans un rap­port con­fi­den­tiel que « les engins explosifs ont cer­taine­ment été déposés par des élé­ments anar­chistes, puisque le dépôt a été précédé par l’envoi d’une let­tre adressée à la Pré­fec­ture, dacty­lo­graphiée en let­tres majus­cules et signée Briga­ta anar­chi­ca Rava­chol ».

Inutile de soulign­er com­bi­en il peut sem­bler étrange qu’un éventuel poseur de bombe se soucie d’avertir la police avant l’attentat. Il ne sera plus jamais ques­tion des bombes à la Rinascente, mis à part la ten­ta­tive par­ti­c­ulière­ment mal­adroite de les attribuer, longtemps après, à la com­pagne de Gian­gia­co­mo Fel­trinel­li. Cet épisode, auquel suc­cède celui des « bombes de la Fiera » (tan­dis qu’au Par­lement, on s’apprêtait juste­ment à dis­cuter du désarme­ment de la police), con­firme en tout cas qu’à par­tir de 1968, les corps séparés de l’État s’activent déjà pour con­tre­car­rer toutes les modal­ités de trans­for­ma­tion démoc­ra­tique.

Pour revenir à l’histoire des Cub: le phénomène reste d’abord très hétérogène, il varie en fonc­tion des sit­u­a­tions et des secteurs ouvri­ers et n’atteint son ampli­tude max­i­male qu’entre l’été et l’automne 1969. Les Cub se sont implan­tés surtout au Nord, dans ces régions de grandes con­cen­tra­tions ouvrières où le rap­port avec les straté­gies syn­di­cales était par­ti­c­ulière­ment con­flictuel et ten­du: Milan, Pavie, Trente, Por­to Marghera, Bologne. Des expéri­ences ana­logues ne furent toute­fois pas rares dans le Cen­tre de l’Italie (Flo­rence, Pise, Rome) et en Sar­daigne (Por­to Tor­res). Dans le Sud, les Cub ne prirent pas, sauf à Naples. Pen­dant 68, il y eut des ten­ta­tives de coor­di­na­tion hor­i­zon­tale entre les Cub, mais elles ne fonc­tion­nèrent jamais réelle­ment, prob­a­ble­ment en rai­son de la forte présence (par­fois jusqu’à l’hégémonie) dans cer­taines réal­ités locales d’étudiants très idéol­o­gisés.

L’une des expéri­ences les plus intéres­santes dans l’histoire des cub est sans aucun doute celle de l’usine Pirelli Bic­oc­ca, à Milan. Le Cub Pirelli naît au print­emps 1968, suite à la sig­na­ture d’un con­trat d’entreprise au terme de 72 heures de grève. Dans un tract, un groupe d’ouvriers qui compte aus­si des activistes syn­di­caux inscrits au PCI, à la CGIL et à la CISL, dénonce la sig­na­ture du con­trat. Il se con­stitue sans se réclamer d’aucune idéolo­gie par­ti­c­ulière – comme un foy­er d’organisation de la lutte, et non comme un organe de direc­tion poli­tique de la classe ouvrière.

À l’usine Pirelli, le proces­sus de mod­i­fi­ca­tion de la com­po­si­tion ouvrière avait été long et très intense. L’âge moyen des ouvri­ers embauchés depuis 1967 était très inférieur à 30 ans et beau­coup d’entre eux étaient des tra­vailleurs-étu­di­ants. Car­ac­téris­tiques que ces ouvri­ers partageaient d’ailleurs avec les mil­liers de jeunes pro­lé­taires embauchés au cours des deux années précé­dentes dans la plu­part des usines ital­i­ennes.

Par rap­port aux jeunes immi­grés embauchés au début des années 1960, ils avaient glob­ale­ment un niveau d’études plus élevé, un plus grand vécu métro­politain et des aspi­ra­tions sub­jec­tives plus com­plex­es. Et aus­si, dans l’ensemble: une faible expéri­ence poli­tique et syn­di­cale, une allergie notable à la bureau­cratie et au col­lab­o­ra­tionnisme syn­di­cal, et une affinité cer­taine avec les luttes étu­di­antes. Ce furent d’ailleurs ces jeunes ouvri­ers qui, chez Pirelli comme sur d’autres sites, établirent les pre­miers con­tacts avec les étu­di­ants qui fai­saient de l’agitation devant les usines.

Le cub regroupe des ouvri­ers et des étu­di­ants, aux­quels se joignent sou­vent quelques tech­ni­ciens et employés. Il se réu­nit en dehors de l’usine. Les pre­miers objec­tifs de lutte por­tent sur la néces­sité de nou­velles embauch­es et la réduc­tion du temps de tra­vail sans perte de salaire. « Les syn­di­cats ne peu­vent pas […] porter une attaque de fond sur le plan économique », sou­tient le Cub, parce qu’ils sont objec­tive­ment con­traints à jouer le rôle de ges­tion­naires des con­trats. « Les objec­tifs ne peu­vent pas venir d’en haut, ils doivent se con­stru­ire et s’affiner dans le débat de base », « la lutte est l’unique arme ouvrière ». Dans le texte pub­lié par la revue Quindi­ci, en mars 1969, que nous repro­duisons ci-dessous, les fon­da­teurs du Cub retra­cent les débuts de leur expéri­ence. Il témoigne par dif­férents aspects du degré de matu­rité ouvrière qui a été atteint dans l’affrontement avec le plan du cap­i­tal, et on y retrou­ve un grand nom­bre des thèmes qui joueront un rôle « moteur » au cours des luttes de l’Automne chaud.

dans ce chapitreTexte du CUB Pirelli »
  • 1
    Ce mot d’ordre, dont il sera de nou­veau ques­tion au chapitre 8 – Le com­pro­mis his­torique (p. 439 sqq.), invoque la néces­sité pour la classe ouvrière de se sub­stituer à l’État défail­lant dans ses fonc­tions d’organisateur de la pro­duc­tion (idée qui domine, de l’idéologie de la Recon­struc­tion au Con­grès de L’EUR), mais aus­si dans ses fonc­tions de police et de garant de la légal­ité con­sti­tu­tion­nelle.
  • 2
    « I Comi­tati uni­tari di base : orig­i­ni, svilup­pi, prospet­tive », Quaderni di Avan­guardia opera­ia, Sapere edi­zioni, 1973.
  • 3
    La grève a scac­chiera, en « dami­er », est un arrêt de tra­vail déclenché suc­ces­sive­ment par dif­férents groupes de tra­vailleurs dont les activ­ités sont inter­dépen­dantes dans l’organisation du tra­vail. Il s’agit de causer le préju­dice max­i­mal avec une perte de salaire min­i­male pour les grévistes. Comme la grève « au sif­flet » ou à la « chat sauvage », qui désig­nent plus spé­ci­fique­ment (comme on l’a vu au chapitre 3) l’absence de préavis dans l’interruption du tra­vail, il s’agit d’un arrêt de tra­vail con­certé entre les tra­vailleurs et déter­miné en fonc­tion de leur posi­tion dans le proces­sus de pro­duc­tion, en dehors de toute con­signe syn­di­cale
  • 4
    La Fiera di Milano (la Foire de Milan) est l’exposition annuelle des pro­duits de l’industrie made in Italy, qui se déroulait dans le parc des expo­si­tions Fiera cam­pi­onar­ia di Milano.
  • 5
    « I comi­tati uni­tari di base : orig­i­ni, svilup­pi, prospet­tive », op. cit
  • 6
    Ce texte est extrait de l’appendice à l’édition ital­i­enne de Nous voulons tout ! de Nan­ni Balestri­ni (Vogliamo tut­to !, Fel­trinel­li, 1971, réed. DeriveAp­pro­di, 2004), inti­t­ulé Pren­di­amo­ci tut­to – Con­feren­za per un roman­zo (novem­bre 1971)
  • 7
    Les gab­bie salar­i­ali sont un mode de cal­cul et d’indexation des salaires mis en place en 1946, qui repo­sait sur dif­férents paramètres dont l’indice de cherté de la vie selon les provinces (il exis­tait 14 « zones » dif­férentes, qui furent ensuite réduites à 7). Ce sys­tème dis­tin­guait prin­ci­pale­ment les salaires du Sud de ceux du Nord. En mars 1969, suite à une série de mobil­i­sa­tions pour l’égalité des salaires, le principe des « cages » sera aboli
  • 8
    Les mor­ti bianche désig­nent des acci­dents du tra­vail mor­tels, ain­si nom­més en Ital­ie en rai­son du silence qui les entoure et de l’absence de respon­s­abil­ités établies
  • 9
    Anto­nio Alle­gra était respon­s­able du Bureau poli­tique à la Pré­fec­ture de police lorsqu’en décem­bre 1969, après l’attentat de la piaz­za Fontana, des accu­sa­tions con­tre le mou­ve­ment seront suiv­ies de nom­breuses arresta­tions dans les milieux anar­chistes. Sur cet atten­tat, voir dans ce chapitre – La Stratégie de la ten­sion (p. 320 sqq.) et L’État mas­sacre (p. 325 sqq.)