Paru dans le Renmin Ribao [Le Quotidien du peuple] du 31 décembre 1962. Nous reproduisons ici le texte français publié aux éditions de Pékin
Le camarade Togliatti et certains autres camarades se sont vigoureusement opposés à la thèse marxiste-léniniste du Parti communiste chinois selon laquelle « l’impérialisme et tous les réactionnaires sont des tigres de papier ». Dans son rapport au récent Congrès du Parti communiste italien, le camarade Togliatti a dit: « il est faux d’affirmer que l’impérialisme soit un simple tigre de papier qu’un coup d’épaule suffirait à renverser ». D’autres disent qu’aujourd’hui l’impérialisme a des dents atomiques, comment pourrait-il alors être un tigre de papier? Les préjugés sont plus éloignés de la vérité que l’ignorance. Si ce n’est par ignorance, c’est délibérément que le camarade Togliatti et d’autres avec lui ont dénaturé cette thèse du Parti communiste chinois.
En comparant l’impérialisme et tous les réactionnaires à des tigres de papier, le camarade Mao Tsé-toung et les communistes chinois envisagent les choses dans leur ensemble et à longue échéance, ils regardent la substance même du problème. Ce qui signifie en dernière analyse que la force véritable appartient aux masses populaires, et non pas à l’impérialisme et aux réactionnaires. […]
En 1919, Lénine compara l’impérialisme anglo-français « universellement puissant » à un « colosse aux pieds d’argile ». Il a dit: « L’impérialisme mondial semblait alors une force si grande, si invincible, que les ouvriers d’un pays arriéré qui auraient tenté de s’insurger contre lui auraient été taxés de folie » [il faisait référence à l’alliance que le régime tsariste avait conclu avec les puissances occidentales, N.d.A.].
Aujourd’hui, […] nous voyons que l’impérialisme qu’on croyait un si insurmontable colosse a montré au monde entier qu’il était un colosse aux pieds d’argile.
Sur la question de la guerre et de la paix, les divergences que nous avons avec le camarade Togliatti et d’autres camarades se manifestent de manière exemplaire dans nos positions respectives sur les armes nucléaires et la guerre atomique.
Le Parti communiste chinois a toujours soutenu que les armes atomiques avaient une puissance de destruction sans précédent, et qu’une guerre nucléaire serait une catastrophe sans précédent pour l’humanité. C’est pour cette raison que nous avons toujours appelé à l’interdiction générale des armes nucléaires, c’est-à-dire à l’interdiction totale des essais, de la fabrication, du stockage et de l’utilisation de ces armes. […] À propos des armes nucléaires et de la guerre atomique, le premier point de divergence entre nous et ceux qui attaquent le Parti communiste chinois porte sur la question de savoir si l’apparition des armes nucléaires a rendu ou non « obsolètes » les principes fondamentaux du marxisme-léninisme en matière de guerre et de paix. Togliatti et avec lui d’autres camarades pensent que l’apparition des armes nucléaires « a changé la nature de la guerre », et que « d’autres considérations devraient entrer en ligne de compte pour définir ce qu’est une guerre juste ». Ils estiment, en fait, que la guerre n’est plus la continuation de la politique, et qu’il n’y a plus aucune différence entre les guerres justes et les guerres injustes. En cela, ils nient complètement les principes fondamentaux du marxisme-léninisme en matière de guerre et de paix. En réalité, les nombreuses guerres qui ont éclaté depuis l’apparition des armes nucléaires ont toutes été la continuation de la politique, et il y a encore des guerres justes et des guerres injustes. Dans les faits, ceux qui estiment qu’il n’y a plus aucune différence entre les guerres justes et les guerres injustes soit s’opposent aux guerres justes [le texte renvoie ici aux guerres d’indépendance des pays tiers et colonisés mais aussi à l’hypothèse d’un conflit mondial, N.d.A.], soit refusent de les soutenir, parce qu’ils ont progressivement glissé vers les positions du pacifisme bourgeois.
La seconde divergence entre nous et ceux qui attaquent le Parti communiste chinois, sur la question des armes nucléaires et de la guerre atomique, consiste à savoir s’il faut regarder l’avenir de l’humanité avec pessimisme ou avec un optimisme révolutionnaire.
Togliatti et d’autres avec lui parlent continuellement de « suicide » de l’humanité, de la « destruction totale » de l’humanité. Ils estiment qu’« il serait même vain de discuter de ce que pourrait être l’orientation de ces morceaux de genre humain en matière d’organisation sociale ». Nous nous opposons fermement à de tels accents pessimistes et désespérés. Nous croyons qu’il est possible de parvenir à l’interdiction totale des armes nucléaires si le camp socialiste détient une grande supériorité nucléaire et que, dans différents pays, les luttes des peuples contre les armes nucléaires et la guerre atomique gagnent en ampleur et en profondeur; privés de leur supériorité nucléaire, les impérialistes seront obligés de reconnaître que leur politique de chantage nucléaire ne fonctionne plus et que le déclenchement d’une guerre atomique aurait pour seul effet de hâter leur destruction. […]
Togliatti et d’autres propagent avec zèle la terreur nucléaire, et affirment haut et fort qu’on est « en droit » de « trembler de peur » devant le chantage nucléaire de l’impérialisme américain. Togliatti a également déclaré qu’il fallait « éviter la guerre à tout prix »; cela ne revient-il pas à dire que, face à la politique de menace et de chantage nucléaires de l’impérialisme américain, il n’y a d’autre voie que celle de la reddition sans conditions, et de l’abandon de tous les idéaux révolutionnaires, de tous les principes révolutionnaires? […]
Il est inconcevable que le fait de « trembler de peur » puisse émouvoir l’impérialisme américain et susciter sa bienveillance au point de le faire renoncer à sa politique d’agression, de guerre, et de chantage nucléaire. […]
Dans les faits, non seulement le camarade Togliatti et d’autres camarades du Parti communiste italien appellent à la collaboration de classe plutôt qu’à la lutte des classes sur le plan international, mais ils étendent leur conception de la « coexistence pacifique » aux rapports entre les oppresseurs et les classes opprimées dans les pays capitalistes. Togliatti a dit: « Toute notre action dans le cadre de la situation intérieure de notre pays, n’est rien d’autre que la traduction en termes italiens de la grande lutte pour la rénovation des structures dans le monde entier ». L’expression « Toute notre action » renvoie à ce qu’ils appellent « la marche vers le socialisme dans la démocratie et la paix », la voie vers le socialisme au moyen des « réformes de structure », comme ils le disent. Bien que, selon nous, la ligne actuelle du Parti communiste italien sur la question de la révolution socialiste soit erronée, ce sont là des choses que les camarades italiens doivent décider eux-mêmes et naturellement nous n’avons jamais cherché à y intervenir. Mais, puisque le camarade Togliatti proclame maintenant que la théorie des « réformes de structure » est une « ligne commune à l’ensemble du mouvement communiste international » et qu’il déclare unilatéralement que la transition pacifique vers le socialisme est « devenue un principe stratégique mondial du mouvement ouvrier et du mouvement communiste », étant donné que cette question touche […] non seulement à la théorie mais aussi au problème fondamental de l’émancipation du prolétariat, nous nous voyons obligés de donner notre point de vue à ce sujet.
Le problème fondamental de toute révolution, c’est celui du pouvoir d’État. Dans le Manifeste du Parti communiste, Marx et Engels affirment que « La première étape dans la révolution de la classe ouvrière est la constitution du prolétariat en classe dominante ». […] Lénine insiste sur la nécessité de briser et de mettre en pièces la machine d’État de la bourgeoisie et d’instaurer la dictature du prolétariat. Il dit: « la classe ouvrière doit briser, mettre en pièces la « machine préconçue de l’État » et ne pas se borner à en prendre possession »; « est marxiste celui qui étend la reconnaissance de la lutte des classes jusqu’à la reconnaissance de la dictature du prolétariat ». […]
Mais le camarade Togliatti et d’autres camarades du Parti communiste italien soutiennent que l’analyse de Lénine dans L’État et la révolution « n’est plus suffisante » […].
Selon leur théorie des « réformes de structure », il n’y aurait plus besoin, dans l’Italie d’aujourd’hui, d’une révolution prolétarienne, de briser la machine d’État de la bourgeoisie, ou d’instaurer la dictature du prolétariat. Il leur suffirait de procéder, dans le cadre de la Constitution italienne, à « une série de réformes », à la nationalisation des grandes entreprises, à la planification économique et à l’extension de la démocratie pour arriver « progressivement » et « pacifiquement » au socialisme. Ils considèrent en somme que l’État est un instrument au-dessus des classes et que l’État bourgeois lui-même est en mesure de conduire une politique socialiste. Ils considèrent que la démocratie bourgeoise est au-dessus des classes, et qu’en s’appuyant sur elle, le prolétariat pourrait s’ériger en « classe dirigeante au sein de l’État ». […]
L’Italie d’aujourd’hui est un pays capitaliste sous la domination de la classe capitaliste monopoliste. Bien que la Constitution italienne intègre certaines conquêtes arrachées par la classe ouvrière et le peuple italiens au cours de luttes longues et héroïques, elle n’en demeure pas moins une constitution bourgeoise qui repose sur la défense de la propriété capitaliste. La démocratie qui est pratiquée en Italie, comme dans tous les pays capitalistes, est une démocratie bourgeoise, c’est-à-dire une dictature bourgeoise. […] Il se peut qu’afin de perpétuer l’exploitation et d’assurer sa propre domination, la classe capitaliste monopoliste procède parfois à certaines réformes. Dans les pays capitalistes, il est absolument nécessaire que la classe ouvrière mène quotidiennement des luttes économiques et combatte pour la démocratie. Mais le but de ces combats est à la fois d’améliorer partiellement le sort de la classe ouvrière et du peuple laborieux et, ce qui est plus important, d’éduquer et d’organiser les masses, d’élever leur conscience et d’accumuler le potentiel révolutionnaire, afin de s’emparer du pouvoir d’État au moment propice. Les marxistes-léninistes sont favorables aux luttes pour les réformes, mais s’opposent fermement au réformisme.
Les faits ont montré que chaque fois que les revendications politiques et économiques de la classe ouvrière et du peuple laborieux ont excédé les limites fixées par les capitalistes monopolistes, le gouvernement italien qui représente les intérêts du capital monopoliste a recouru à la répression. […] Jusqu’à présent, l’histoire n’a jamais fourni un seul exemple de transition pacifique du capitalisme au socialisme. […] La bourgeoisie ne quittera jamais de son propre gré la scène de l’histoire. […] Les communistes ne doivent pas relâcher le moins du monde leur effort pour se préparer à la révolution […].
Cela signifie que les communistes doivent adopter une double tactique: tandis qu’ils se préparent au développement pacifique de la révolution, ils doivent être pleinement préparés à son développement non pacifique.