Le texte qui suit est composé de différents écrits d’Ernesto Che Guevara dont les traductions françaises ont été publiées par les éditions Maspero entre 1962 et 1972 et rééditées aux éditions La Découverte. Nous présentons ici une version légèrement modifiée de ces traductions.
Qu’est-ce qu’un guérillero
?
« L’armée de guérilla, armée populaire par excellence, doit avoir sur le plan des individus toutes les meilleures vertus du meilleur soldat du monde. Elle doit se fonder sur une stricte discipline. Si les formalités de la vie militaire ne conviennent pas à la guérilla, s’il n’y a ni claquement de talons ni salut rigide, ni explication soumise devant le supérieur, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de discipline. La discipline du guérillero est intérieure; elle vient de la conviction profonde qu’a l’individu de la nécessité d’obéir à son supérieur, pour assurer l’efficacité de l’organisme armé dont il fait partie, mais aussi pour garantir sa propre efficacité. […] Soldat discipliné, le guérillero est aussi un soldat très agile, physiquement et mentalement; une guerre de guérilla statique est inimaginable. Tout se passe la nuit. Grâce à leur connaissance du terrain, les guérilleros se déplacent la nuit, prennent position, attaquent l’ennemi et se retirent. Il n’est pas nécessaire qu’ils se retirent très loin du théâtre des opérations; il faut simplement qu’ils le fassent très vite […] ».
Du rôle de la violence
2 Id., « La guerre de guérilla, une méthode » paru dans Révolution africaine d’Alger en septembre 1963, repris dans Textes militaires, op. cit« Nous répondrons: la violence n’appartient pas aux exploiteurs, les exploités peuvent l’employer eux aussi, et plus encore, ils doivent l’utiliser au moment opportun. […] Lénine, dans le Programme militaire de la Révolution prolétarienne, écrivait: “Celui qui admet la lutte de classe ne peut pas ne pas admettre les guerres civiles qui dans toute société de classe représentent la continuation et le développement – naturels et parfois inévitables – de la lutte de classe. Toutes les grandes révolutions l’attestent. Nier les guerres civiles ou les oublier, ce serait tomber dans un opportunisme extrême et renier la révolution socialiste.” Ce qui signifie que nous ne devons pas avoir peur de la violence lorsqu’il s’agit de donner le jour à des sociétés nouvelles; mais cette violence ne doit advenir qu’au moment précis où ceux qui guident le peuple en ont jugé les circonstances favorables ».
Mais après la victoire de la révolution cubaine, et au terme d’un tour du monde comme ambassadeur et messager des idéaux révolutionnaires qui le mène en Afrique, en Asie, en Europe et au Moyen Orient, le besoin irrépressible de libérer d’autres peuples latino-américains des dictatures pro-USA revient hanter le Che. C’est la culture du « foco » guérillero, du petit groupe qui, en se liant aux masses opprimées, déchaîne la tempête qui désagrégera les forces de l’ennemi. C’est un engagement qu’il a pris en son temps avec Fidel et avec lui-même: exporter la révolution!
« Une étincelle peut mettre le feu à la plaine » a dit Mao Tsé-toung: un petit groupe de guérilleros expérimentés et efficaces peut déchaîner la révolte des prolétaires exploités. C’est dans cette intention que le Che part pour la Bolivie, non sans laisser des messages et des orientations pour la lutte.
Créer deux, trois… de nombreux Vietnam, voilà le mot d’ordre
3 Extrait de « Message à la Tricontinentale : Créer deux, trois… de nombreux Vietnam, voilà le mot d’ordre » (mai 1967), envoyé de Bolivie par le Che à la conférence de l’Organisation latino-américaine de solidarité réunie à La Havane. Repris dans Journal de Bolivie, La Découverte, 1997« L’impérialisme américain est coupable d’agression; ses crimes sont immenses et s’étendent au monde entier. Cela, nous le savons, messieurs! Mais ils sont aussi coupables ceux qui, à l’heure de la décision, ont hésité à faire du Vietnam une partie inviolable du territoire socialiste; ils auraient effectivement couru les risques d’une guerre à l’échelle mondiale, mais ils auraient aussi obligé les impérialistes américains à se décider. Ils sont coupables, ceux qui poursuivent une guerre d’insultes et de crocs-en-jambe, commencée il y a longtemps déjà par les représentants des deux plus grandes puissances du camp socialiste [Le Che fait ici référence à la rupture entre la Chine et l’Union Soviétique. N.d.A.]. […]
Le paysage mondial est d’une grande complexité. La tâche de la libération attend encore les pays de la vieille Europe, ceux qui sont suffisamment développés pour ressentir toutes les contradictions du capitalisme, mais trop faibles pour suivre la voie de l’impérialisme ou s’y engager. Là, les contradictions accumulées deviendront, dans les prochaines années, explosives […].
Et à nous, les exploités du monde, quel est le rôle qui nous revient? Les peuples de trois continents observent et apprennent leur leçon au Vietnam. Puisque les impérialistes exercent, avec la menace de la guerre, un chantage sur l’humanité, la réponse juste c’est de ne pas avoir peur de la guerre. Attaquer durement et sans trêve partout où se joue l’affrontement, telle doit être la tactique générale des peuples. […]
Il faut mener la guerre là où l’ennemi l’emporte avec lui: jusque dans sa maison, dans les lieux où il se divertit; il faut qu’elle soit totale. Il ne faut pas laisser à l’ennemi une seule minute de tranquillité, une seule minute de calme, que ce soit à l’intérieur ou hors de ses casernes; il faut l’attaquer là où il est; il faut que, partout où il passe, il se sente une bête traquée. Alors il perdra peu à peu courage. Il deviendra plus bestial encore, mais on notera chez lui des signes de défaillance. »
D’autres terres du monde réclament le concours de mes modestes efforts
4 Le 3 octobre 1965 à la Havane, Fidel Castro lit la lettre d’adieu que Che Guevara lui a adressée à son départ pour l’Afrique, puis pour la Bolivie. Elle est reprise dans son intégralité dans Textes politiques, op. cit« Fidel,
Aujourd’hui, beaucoup de choses me reviennent en mémoire, le moment où je t’ai connu dans la maison de Maria Antonia, lorsque tu m’as proposé de venir avec toi, et toute la tension des préparatifs.
Un jour, on est venu nous demander qui on devrait prévenir si nous mourions et la possibilité réelle que cela advienne nous a tous frappés. Plus tard, nous avons appris que cela était vrai, que dans une révolution (si c’en est une) ou l’on est vainqueur ou l’on meurt. Beaucoup sont tombés sur le chemin qui mène à la victoire. […]
Je sens que j’ai accompli la part de mon devoir qui me liait à la révolution cubaine sur son territoire et je prends congé de toi, des camarades, de ton peuple qui est désormais le mien.
Je renonce formellement à mes charges à la direction du parti, à mon poste de ministre, à mon grade de commandant, à ma condition de cubain. Rien de légal ne me lie plus à Cuba; seulement des liens d’une autre nature qui ne peuvent être détruits comme peuvent l’être des papiers officiels. […]
D’autres terres du monde réclament le concours de mes modestes efforts. Je peux faire ce que tes responsabilités à la tête de Cuba t’interdisent et l’heure est venue de nous séparer.
Sache que je le fais avec un mélange de joie et de douleur: ici, je laisse la part la plus pure de mes espérances de constructeur et les plus chers de tous les êtres qui me sont chers. J’en éprouve un déchirement. Je porterai sur les nouveaux champs de bataille la foi que tu m’as inculquée, l’esprit révolutionnaire de mon peuple, le sentiment d’accomplir le plus sacré des devoirs: lutter contre l’impérialisme où qu’il soit. Voilà qui réconforte et adoucit n’importe quelle blessure. […]
J’aurais encore beaucoup de choses à dire, à toi et à notre peuple, mais je sens que les mots ne sont pas nécessaires, qu’ils ne peuvent exprimer ce que je voudrais dire et qu’il est inutile de gaspiller davantage de papier.
Hasta la victoria siempre! La patrie ou la mort!
Je t’embrasse avec toute ma ferveur révolutionnaire.
Che »
Appel avant de quitter Cuba
5 « Message à la Tricontinentale… », Journal de Bolivie, op. cit« Toute notre action est un cri de guerre contre l’impérialisme et un appel vibrant à l’unité des peuples contre le grand ennemi du genre humain: les États-Unis d’Amérique du Nord. Qu’importe où nous surprendra la mort, qu’elle soit la bienvenue pourvu que notre cri de guerre soit entendu, pourvu qu’une autre main se tende pour ramasser nos armes, que d’autres hommes se lèvent pour entonner les chants funèbres, dans le crépitement des mitrailleuses et les nouveaux cris de guerre et de victoire.
Hasta la victoria siempre! »
- 1Ernesto Che Guevara, « Qu’est-ce qu’un guérillero ? », paru dans Revoluciôn le 19 février 1959. Repris dans Textes militaires, La Découverte, 2001
- 2Id., « La guerre de guérilla, une méthode » paru dans Révolution africaine d’Alger en septembre 1963, repris dans Textes militaires, op. cit
- 3Extrait de « Message à la Tricontinentale : Créer deux, trois… de nombreux Vietnam, voilà le mot d’ordre » (mai 1967), envoyé de Bolivie par le Che à la conférence de l’Organisation latino-américaine de solidarité réunie à La Havane. Repris dans Journal de Bolivie, La Découverte, 1997
- 4Le 3 octobre 1965 à la Havane, Fidel Castro lit la lettre d’adieu que Che Guevara lui a adressée à son départ pour l’Afrique, puis pour la Bolivie. Elle est reprise dans son intégralité dans Textes politiques, op. cit
- 5« Message à la Tricontinentale… », Journal de Bolivie, op. cit