La galaxie Gutenberg et le mouvement

Dans l’Italie des années 1950, la « con­som­ma­tion » de livres était encore le priv­ilège presque exclusif des class­es moyennes supérieures. La poli­tique des maisons d’édition se fondait d’ailleurs elle-même sur des cal­culs plutôt pes­simistes: des tirages faibles, une nette prédilec­tion pour les clas­siques, anciens et con­tem­po­rains, etc. On visait en somme un lecteur cul­tivé assez tra­di­tion­nel. Pour ce qui con­cer­nait les textes ital­iens, l’attention se por­tait presque exclu­sive­ment (à de rares excep­tions près) sur la lit­téra­ture « pos­i­tive », dans la tra­di­tion de la Résis­tance. Le pro­jet ­cul­turel le plus sub­stantiel était sans doute à cette époque celui des édi­tions Ein­au­di à Turin, dont le comité édi­to­r­i­al mèn­era pen­dant des années une poli­tique indépen­dante des impérat­ifs du marché.

Pour­tant la fin de la décen­nie est ravivée par des ini­tia­tives édi­to­ri­ales nou­velles, qui gag­nent pro­gres­sive­ment en richesse et en con­sis­tance. C’est le cas des édi­tions Fel­trinel­li, qui pub­lient deux grands best-sell­ers, jusqu’alors incon­nus: Le Gué­pard et Le Doc­teur Jiva­go

1 Les édi­tions Fel­trinel­li ont été fondées en 1954 à Milan par Gian­gia­co­mo Fel­trinel­li. Le Gué­pard de Lampe­dusa est pub­lié en 1958, à titre posthume, alors qu’il avait été refusé par tous les édi­teurs ital­iens du vivant de son auteur (tr. fr. aux édi­tions du Seuil). Le film de Luchi­no Vis­con­ti sort en 1963. Le Doc­teur Jiva­go, de Boris Paster­nak, est pub­lié pour la pre­mière fois chez Fel­trinel­li en octo­bre 1957, alors qu’il avait été rejeté par les édi­teurs sovié­tiques. Paster­nak obtien­dra le prix Nobel l’année suiv­ante. Le film éponyme de David Lean est sor­ti en 1965

. Alber­to Mon­dadori quitte la grande entre­prise famil­iale pour fonder les édi­tions Il Sag­gia­tore2 Les édi­tions Arnol­do Mon­dadori ont été fondées en 1907. Elles assoient leur suc­cès au milieu des années 1930 avec l’édition des pub­li­ca­tions Dis­ney et la col­lec­tion d’auteurs inter­na­tionaux « Medusa ». Elles sont pro­prié­taires de très nom­breux mag­a­zines en Ital­ie et en Europe. Alber­to Mon­dadori a quit­té l’entreprise de son père en 1958. Il s’entoure d’une équipe édi­to­ri­ale d’une grande cul­ture, très ouverte à l’expérimentation, qui pub­liera Lévi-Strauss, Sartre, Simone de Beau­voir, mais aus­si André Gide, Wright Mills, Teil­hard de Chardin, etc. Même les grands édi­teurs (Mon­dadori, Riz­zoli, Bom­piani…) s’aperçoivent alors qu’il leur fau­dra compter avec les attentes d’un lec­torat élar­gi, dont il s’agira d’interpréter les exi­gences. La mai­son d’édition du PCI, quant à elle, obéit à une tout autre logique. Les édi­tions Rinasci­ta (qui devien­dront Edi­tori Riu­ni­ti) dif­fusent en effet de manière très insat­is­faisante les clas­siques du marx­isme: les critères de sélec­tion des textes sont sec­taires, les tra­duc­tions incom­plètes, les appareils cri­tiques lacu­naires. Les Grun­drisse de Marx, par exem­ple, ne seront pub­liées qu’à la fin des années 1950, chez un autre édi­teur

3 La pre­mière tra­duc­tion ital­i­enne des Grun­drisse aux édi­tions Nuo­va Italia date de 1957. La tra­duc­tion française de Roger Dan­geville chez Anthro­pos date de 1969. L’ouvrage a été retraduit en 1980 aux Édi­tions sociales (rééd. 2011)

; même chose pour Trot­s­ki, qui restera presque inédit jusqu’au début des années 1960, etc.

La lec­ture, en somme, avait été jusqu’alors l’apanage d’un petit nom­bre, et les cen­sures idéologiques avaient forte­ment pesé sur les choix édi­to­ri­aux. Mais l’expansion économique et le développe­ment de la con­som­ma­tion sig­nifi­aient aus­si un meilleur accès à l’information (avec la dif­fu­sion mas­sive de la télévi­sion, l’apparition de nou­veaux quo­ti­di­ens, d’hebdomadaires d’information, de mag­a­zines, etc.). Tout cela avait créé de nou­veaux besoins en matière de lec­ture et sus­cité de l’intérêt pour de nou­veaux types de pen­sée.

Lente­ment, pro­gres­sive­ment, la con­som­ma­tion de livres com­mence à s’accroître à par­tir du début des années 1960. Les librairies aus­si se trans­for­ment. Ce ne sont plus des lieux clos, bar­rés d’un comp­toir qui sépare le vendeur du client: elles devi­en­nent, à l’instar des librairies Fel­trinel­li, des espaces ouverts où l’on peut se déplac­er et manip­uler la marchan­dise-livre, des lieux de ren­con­tres et d’échanges cul­turels. La grande édi­tion pein­era longtemps à iden­ti­fi­er les attentes de ce lec­torat nou­veau. Ses choix édi­to­ri­aux sont encore trop dic­tés par des mécan­ismes procé­duri­ers et bureau­cra­tiques, et par les pres­sions de lob­bies intel­lectuels éli­tistes et fer­més.

Les nou­veaux édi­teurs (Leri­ci, Il Sag­gia­tore, Samonà e Savel­li, Sug­ar, Guan­da, Avan­ti!), s’ils n’ont pas tous les mêmes moyens financiers, sont générale­ment plus petits et moins bien dis­tribués (ce prob­lème per­dur­era). Mais leurs respon­s­ables édi­to­ri­aux sont ent­hou­si­astes, expéri­men­tés, indépen­dants et ani­més de solides moti­va­tions poli­tiques ou cul­turelles. Et c’est juste­ment cette plus grande flex­i­bil­ité, qui leur per­met de mieux inter­préter les attentes nou­velles des lecteurs. Car les ten­sions exis­ten­tielles qui agi­tent la jeunesse, si elles se man­i­fes­tent bien sûr dans les com­porte­ments quo­ti­di­ens, induisent aus­si un usage dif­férent des pro­duits ­cul­turels et la recherche d’identifications et de répons­es dans la musique, la lec­ture ou le ciné­ma.

Pen­dant les années 1960, la con­som­ma­tion cul­turelle est l’épicentre d’une révo­lu­tion souter­raine, qui aura une influ­ence pro­fonde jusque sur les cat­a­logues des grandes maisons d’édition. Il est évi­dent que les formes de dis­sensus intel­lectuel (poli­tique ou lit­téraire) qui s’expriment au tra­vers des pra­tiques sociales, ou encore l’apparition de revues auto­gérées ont par­ticipé à ces change­ments, mais ces phénomènes ont prob­a­ble­ment davan­tage touché les élites que l’immense (et inquiète) majorité des jeunes. Ce proces­sus s’est dévelop­pé par auto­genèse, au fil d’une série d’étapes dont il est dif­fi­cile de restituer la chronolo­gie de manière linéaire. Ce qui compte surtout, ce sont les sen­sa­tions, les films, les influ­ences inter­na­tionales, les mod­i­fi­ca­tions des rela­tions à l’intérieur d’une classe d’âge, ou entre hommes et femmes, la dif­fi­culté à accepter les stéréo­types famil­i­aux, etc. Cet ensem­ble d’aspirations encore informelles va lente­ment se trans­former en prise de con­science, et sera source d’imprévisibles suc­cès de librairie, ou au con­traire d’échecs inat­ten­dus.

On peut faire l’hypothèse qu’après-guerre se sont suc­cédées des généra­tions d’étudiants assez dif­férentes. Les deux pre­mières sont encore con­fusé­ment mar­quées par la guerre et le fas­cisme qu’elles ont vécus à l’adolescence: elles sont peu out­il­lées sur le plan his­torique, poli­tique et idéologique. Du reste, le paysage nou­veau qui les envi­ronne ne peut qu’inhiber les étu­di­ants et les jeunes gens d’alors: les ruines (et pas seule­ment matérielles) de la cat­a­stro­phe mil­i­taire, l’irruption de la lib­erté dans la vie poli­tique nationale qui se traduit par la lutte entre les par­tis, toutes choses rel­e­vant par déf­i­ni­tion du monde des adultes.

Le peu d’entre eux qui s’intéressent à la poli­tique s’inscrivent dans le sil­lage des par­tis, aux­quels ils appor­tent, notam­ment aux deux extrêmes et chez les catholiques, l’enthousiasme et la fer­veur de leur âge; mais dans presque tous les cas, ils se soumet­tent à l’autorité des anciens, qu’ils regar­dent avec admi­ra­tion et révérence. « Cette “ini­ti­a­tion” a per­mis à nom­bre d’entre eux de se faire une place dans la “caste” des politi­ciens. Les autres, ceux qui ne s’intéressent pas à la poli­tique, pro­duiront des formes dif­fus­es de qualun­quisme

4 Le terme ital­ien de qualun­quis­mo désigne un manque d’intérêt pour les affaires publiques et une défi­ance envers les insti­tu­tions qui con­fine à la réac­tion. Comme le terme français de « pou­jadisme », qui en est un équiv­a­lent impar­fait, il prend son orig­ine dans un mou­ve­ment poli­tique, le Fronte dell’uomo qualunque, fondé en 1944 par Gugliel­mo Gian­ni­ni. Ce dernier écrivait dans le jour­nal éponyme : « Voici le jour­nal de l’homme quel­conque, qui en a marre et dont le seul et ardent désir est que per­son­ne ne lui casse les pieds. »

. Les épisodes de fronde poli­tique à l’appel des fédéra­tions de jeunesse sont très rares, et bien sûr ils ne con­cer­nent pas les organ­i­sa­tions com­mu­nistes. » (Rug­gero Zan­gran­di).

À par­tir de 1955, une nou­velle généra­tion d’étudiants entre en lice. Elle s’avère rapi­de­ment poreuse à la désil­lu­sion générale qui fait suite à la « poli­tique de la Recon­struc­tion ». Ce phénomène se véri­fie d’ailleurs presque simul­tané­ment, de manière con­fuse à l’échelle plus vaste de la société, et de manière beau­coup plus aiguë dans les usines. Cette généra­tion du « désen­gage­ment » (si l’on excepte ceux qui font car­rière dans les organ­i­sa­tions étu­di­antes) com­mence à inquiéter tout le monde parce qu’elle rejette toutes les valeurs tra­di­tion­nelles et tourne le dos aux grands mythes à présent embaumés de la « lutte de libéra­tion ». C’est une généra­tion con­tra­dic­toire, qui oscille per­pétuelle­ment entre un désir d’ascension sociale et une propen­sion extrême à la rébel­lion (entre 1955 et 1962–63, de nom­breuses uni­ver­sités sont con­trôlées par le FUAN5 Le FUAN (Fronte uni­ver­si­tario d’azione nazionale) est fondé en 1950 par des étu­di­ants appar­tenant aux jeuness­es du MSI, d’inspiration fas­ciste, ce qui explique aus­si la méfi­ance durable des ouvri­ers à l’égard des étu­di­ants).

Mais cette troisième généra­tion com­porte égale­ment une com­posante minori­taire, active sur le ter­rain social, et qui est prob­a­ble­ment la pro­tag­o­niste imprévis­i­ble des pre­miers affron­te­ments de rue de l’après-guerre (juil­let 1960 à Gênes, les man­i­fes­ta­tions procubaines, etc.). Elle est sec­ouée par de fortes crises d’identité, qui tien­nent aus­si bien à l’expérience vécue au quo­ti­di­en qu’à une abon­dante con­som­ma­tion d’imaginaire ciné­matographique. Sartre, Camus, Gide, les grands romanciers du New deal et de la fin du XIXe siè­cle russe, mais aus­si Kierkegaard, les pre­mières et dif­fi­ciles lec­tures de Niet­zsche, les timides approches de Marx, con­stitueront leur intime et indéchiffrable « roman de for­ma­tion ».

Cette généra­tion de tran­si­tion est immé­di­ate­ment suiv­ie par une autre avec laque­lle, sou­vent, elle se con­fond. Nour­rie des pre­mières formes de com­mu­ni­ca­tion sociale elle est davan­tage encore mar­quée par le choix du « refus », par la « nausée » que sus­ci­tent chez elle les valeurs établies. C’est une généra­tion qui paraît clivée: les uns inven­tent des formes séparées et non-vio­lentes de con­tes­ta­tion, sur les places, dans les rues, dans les pre­mières « com­munes »; les autres, dans les uni­ver­sités, s’engagent dans la recherche per­ma­nente de nou­veaux instru­ments d’analyse de soi et de la réal­ité en mou­ve­ment. On peut dire que ces deux com­posantes mar­quent ensem­ble le pas­sage d’un « désen­gage­ment » de masse assor­ti des formes minori­taires d’un « nou­v­el engage­ment » sub­jec­tif et indi­vidu­el, à la pra­tique plus large d’une con­tes­ta­tion séparée et d’une recherche intel­lectuelle mar­quée au sceau de la « dif­férence » et de l’« antag­o­nisme ». Les uns décou­vrent la cul­ture beat et les sur­réal­istes français, les autres la pen­sée cor­ro­sive de l’École de Franc­fort: Horkheimer, Adorno, Mar­cuse, Ben­jamin

6 L’École de Franc­fort désigne un groupe d’intellectuels et d’universitaires réu­nis dans les années 1920 autour de l’Institut de recherche sociale à l’Université Goethe de Franc­fort-sur-le-Main. Mais elle est surtout un courant de pen­sée com­pos­ite, aux coor­don­nées mul­ti­ples (marx­isme, psy­ch­analyse, esthé­tique, etc.), qui a con­tribué à thé­ma­tis­er cer­tains out­ils cri­tiques de la société bour­geoise con­tem­po­raine, en insis­tant sur « la ques­tion de l’aliénation cul­turelle […] de manière plus cen­trale que celle de l’exploitation dans ses dimen­sions économiques et insti­tu­tion­nelles » (Jean-Marc Durand-Gas­selin, L’École de Franc­fort, Gal­li­mard, 2012). Durant les années 1960 ce courant aura une forte influ­ence sur les cam­pus améri­cains. Voir égale­ment l’ouvrage clas­sique de Mar­tin Jay, L’Imagination dialec­tique. L’École de Franc­fort 1923–1950, Pay­ot, 1977.

. Et puis, à l’occasion de ce pas­sage par le Nord-Ouest, le jeune Marx des Man­u­scrits

7 La pre­mière tra­duc­tion ital­i­enne des Man­u­scrits de 1844, chez Ein­au­di, date de 1949. Il fau­dra atten­dre 1962 en France pour la pre­mière édi­tion com­plète aux Édi­tions sociales. Une autre suiv­ra chez Gal­li­mard en 1968, établie par Max­im­i­lien Rubel

et le grand Marx de la matu­rité, celui des Grun­drisse, les expéri­ences héré­tiques des con­seil­listes et du com­mu­nisme de gauche, la dra­ma­tique grandeur lib­er­taire des anar­chistes et le Lénine de la « spon­tanéité » ouvrière du Que faire? Et encore: le Brecht du rigoureux « engage­ment mil­i­tant » et le Lukács d’His­toire et con­science de classe. On relit l’histoire de la révo­lu­tion d’Octobre au prisme des écrits du « prophète muet » Trot­s­ki, et la guerre civile espag­nole du point de vue des anar­cho-com­mu­nistes.

Les édi­teurs sont per­pétuelle­ment désori­en­tés par la demande. La con­som­ma­tion de lit­téra­ture décline rapi­de­ment (toute la col­lec­tion « Medusa » de Mon­dadori fini­ra aux inven­dus) tan­dis que celle des essais pro­gresse. Ein­au­di, qui dis­po­sait déjà d’un cat­a­logue assez « out­il­lé » pour répon­dre à cette nou­velle demande d’information (notam­ment avec la col­lec­tion Nuo­va Uni­ver­sale Ein­au­di et Paper­back), con­tin­ue de s’imposer avec deux nou­velles col­lec­tions (Nuo­vo politec­ni­co et Serie polit­i­ca) pra­tique­ment faites sur mesure pour le « mou­ve­ment ». Les édi­tions Fel­trinel­li, sans doute aus­si à cause de l’engagement poli­tique de leur fon­da­teur, « chevauchent le tigre » de la demande en pub­liant des textes et des doc­u­ments sur les luttes de libéra­tion (en Algérie, en Pales­tine, à Cuba, etc.), mais aus­si Gins­berg, Ker­ouac, et la Révo­lu­tion sex­uelle de Reich. ­Fel­trinel­li fonde égale­ment un cen­tre d’archives sur l’histoire du mou­ve­ment ­ouvri­er, l’Institut Fel­trinel­li, qui devien­dra assez rapi­de­ment une référence incon­tourn­able pour les « nou­veaux his­to­riens ».

La petite édi­tion démoc­ra­tique et « mil­i­tante » est extrême­ment vivace. ­Samonà e Savel­li, un édi­teur d’inspiration troskiste, pub­lie des écrits de Cas­tro et de Trot­s­ki, des analy­ses sur le stal­in­isme, sur l’expérience spar­tak­iste, etc. Sug­ar dif­fuse des textes inédits de Lukács et de Korsch, mais aus­si tout Bur­roughs et Reich. Leri­ci pub­lie Roland Barthes et Reich, mais égale­ment la revue d’avant-garde lit­téraire et artis­tique Mar­ca­tré. Guan­da explore avec sub­til­ité la planète poésie. Les édi­tions Avan­ti! de Gian­ni Bosio, qui ont pub­lié au début des années 1960 La Guerre de guéril­la de Che Gue­vara et les Écrits choi­sis de Rosa Lux­em­burg, s’émancipent du PSI. Dev­enues les Edi­zioni del Gal­lo, et relayées par la suite par l’Institut Ernesto De Mar­ti­no, elles creusent le sil­lon de la cul­ture pop­u­laire et pro­lé­taire, de cet « autre mou­ve­ment ouvri­er et paysan », hors de l’institution du Par­ti, hors de l’histoire des groupes dirigeants. Elles inven­tent la cul­ture poli­tique de « l’histoire orale » en Ital­ie

8 Sur cette tra­di­tion de l’histoire orale en Ital­ie dont il a été déjà ques­tion au chapitre 2, on peut lire Cesare Bermani (dir.), Intro­duzione alla sto­ria orale, Odradek, 1997.

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Et c’est aus­si à par­tir de ce croise­ment entre l’essor de la petite et moyenne édi­tion démoc­ra­tique ou mil­i­tante et les change­ments sur­venus dans les cat­a­logues des grandes maisons d’édition, que l’on peut lire l’impact de la révo­lu­tion cul­turelle « par le bas » qui a tra­ver­sé la société ital­i­enne des années 1960. Pour la pre­mière fois, l’industrie cul­turelle avait été con­trainte de mod­i­fi­er sa pro­duc­tion en fonc­tion d’une demande con­sciente, hors du sys­tème, étrangère et sou­vent opposée aux ­lob­bies uni­ver­si­taires et intel­lectuels.

dans ce chapitre« Fran­co Bolel­li: La révo­lu­tion cul­turelle de la musiqueLa crise des asso­ci­a­tions étu­di­antes tra­di­tion­nelles »
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    Les édi­tions Fel­trinel­li ont été fondées en 1954 à Milan par Gian­gia­co­mo Fel­trinel­li. Le Gué­pard de Lampe­dusa est pub­lié en 1958, à titre posthume, alors qu’il avait été refusé par tous les édi­teurs ital­iens du vivant de son auteur (tr. fr. aux édi­tions du Seuil). Le film de Luchi­no Vis­con­ti sort en 1963. Le Doc­teur Jiva­go, de Boris Paster­nak, est pub­lié pour la pre­mière fois chez Fel­trinel­li en octo­bre 1957, alors qu’il avait été rejeté par les édi­teurs sovié­tiques. Paster­nak obtien­dra le prix Nobel l’année suiv­ante. Le film éponyme de David Lean est sor­ti en 1965
  • 2
    Les édi­tions Arnol­do Mon­dadori ont été fondées en 1907. Elles assoient leur suc­cès au milieu des années 1930 avec l’édition des pub­li­ca­tions Dis­ney et la col­lec­tion d’auteurs inter­na­tionaux « Medusa ». Elles sont pro­prié­taires de très nom­breux mag­a­zines en Ital­ie et en Europe. Alber­to Mon­dadori a quit­té l’entreprise de son père en 1958
  • 3
    La pre­mière tra­duc­tion ital­i­enne des Grun­drisse aux édi­tions Nuo­va Italia date de 1957. La tra­duc­tion française de Roger Dan­geville chez Anthro­pos date de 1969. L’ouvrage a été retraduit en 1980 aux Édi­tions sociales (rééd. 2011)
  • 4
    Le terme ital­ien de qualun­quis­mo désigne un manque d’intérêt pour les affaires publiques et une défi­ance envers les insti­tu­tions qui con­fine à la réac­tion. Comme le terme français de « pou­jadisme », qui en est un équiv­a­lent impar­fait, il prend son orig­ine dans un mou­ve­ment poli­tique, le Fronte dell’uomo qualunque, fondé en 1944 par Gugliel­mo Gian­ni­ni. Ce dernier écrivait dans le jour­nal éponyme : « Voici le jour­nal de l’homme quel­conque, qui en a marre et dont le seul et ardent désir est que per­son­ne ne lui casse les pieds. »
  • 5
    Le FUAN (Fronte uni­ver­si­tario d’azione nazionale) est fondé en 1950 par des étu­di­ants appar­tenant aux jeuness­es du MSI
  • 6
    L’École de Franc­fort désigne un groupe d’intellectuels et d’universitaires réu­nis dans les années 1920 autour de l’Institut de recherche sociale à l’Université Goethe de Franc­fort-sur-le-Main. Mais elle est surtout un courant de pen­sée com­pos­ite, aux coor­don­nées mul­ti­ples (marx­isme, psy­ch­analyse, esthé­tique, etc.), qui a con­tribué à thé­ma­tis­er cer­tains out­ils cri­tiques de la société bour­geoise con­tem­po­raine, en insis­tant sur « la ques­tion de l’aliénation cul­turelle […] de manière plus cen­trale que celle de l’exploitation dans ses dimen­sions économiques et insti­tu­tion­nelles » (Jean-Marc Durand-Gas­selin, L’École de Franc­fort, Gal­li­mard, 2012). Durant les années 1960 ce courant aura une forte influ­ence sur les cam­pus améri­cains. Voir égale­ment l’ouvrage clas­sique de Mar­tin Jay, L’Imagination dialec­tique. L’École de Franc­fort 1923–1950, Pay­ot, 1977.
  • 7
    La pre­mière tra­duc­tion ital­i­enne des Man­u­scrits de 1844, chez Ein­au­di, date de 1949. Il fau­dra atten­dre 1962 en France pour la pre­mière édi­tion com­plète aux Édi­tions sociales. Une autre suiv­ra chez Gal­li­mard en 1968, établie par Max­im­i­lien Rubel
  • 8
    Sur cette tra­di­tion de l’histoire orale en Ital­ie dont il a été déjà ques­tion au chapitre 2, on peut lire Cesare Bermani (dir.), Intro­duzione alla sto­ria orale, Odradek, 1997.