Les NAP et les luttes de détenus

Le 31 octo­bre 1974, des affich­es man­u­scrites appa­rais­sent sur les murs de Flo­rence. Elles sont signées « Autono­mia pro­le­taria – Col­let­ti­vo autonomo San­ta Croce – Col­let­ti­vo Jack­son » et annon­cent les obsèques de Luca Man­ti­ni, « pro­lé­taire révo­lu­tion­naire, mil­i­tant com­mu­niste » abat­tu avec Ser­gio Romeo lors d’un hold-up raté à la Caisse d’épargne de Flo­rence.

Luca Man­ti­ni est un mil­i­tant bien con­nu de Lot­ta con­tin­ua, tan­dis que Ser­gio Romeo appar­tient à la foule des délin­quants de droit com­mun. Cet épisode sus­cite tout d’abord une cer­taine per­plex­ité, bien­tôt dis­sipée dans les cer­cles de la gauche extra­parlemen­taire par un tract lais­sé dans une cab­ine télé­phonique, qui révèle l’identité de deux autres per­son­nes arrêtées: Pietro Sofia et Pasquale Abatan­ge­lo.

« Le 29 octo­bre au matin, à Flo­rence, cinq mil­i­tants sont tombés dans une embus­cade ten­due par les cara­biniers […]. Les cama­rades sur lesquels on a tiré rue Alber­ti étaient des mil­i­tants des NAP et nous les revendiquons comme tels. Le but de leur action: une expro­pri­a­tion pour l’autofinancement. Leurs vies ont été fauchées par des rafales de mitrail­lettes. Deux cama­rades sont morts, deux ont été blessés dont un griève­ment. Le dernier a réus­si à s’enfuir, il est désor­mais en lieu sûr

1 Alessan­dro Silj, Mai più sen­za fucile, op. cit. Sur cet épisode et plus large­ment sur l’histoire des NAP, on lira en français le réc­it de Rober­to Sil­vi, La Mémoire et l’oubli, Col­i­brì, 2011

. »

Les NAP (Nuclei armati pro­le­tari) n’étaient pas à ce moment de par­faits incon­nus mais, avec cet épisode trag­ique, ils sont brusque­ment propul­sés à la une des jour­naux. Le groupe avait déjà mené des actions à Naples, Milan et Rome. Toutes avaient pour objec­tif les pris­ons: San Vit­tore à Milan, Pog­gio­re­ale à Naples, Reb­bib­ia à Rome. Elles avaient essen­tielle­ment con­sisté à dif­fuser, au moyen de haut-par­leurs, des mes­sages appelant à la lutte des détenus poli­tiques et de droit com­mun. Car les NAP avaient cen­tré leur action sur la ques­tion car­cérale, et plus large­ment sur celle des insti­tu­tions totales (pris­ons pour mineurs, hôpi­taux psy­chi­a­triques car­céraux)

2 La notion d’« insti­tu­tion totale » ren­voie aux travaux d’Erving Goff­man, l’auteur d’Asiles. Études sur la con­di­tion sociale des malades men­taux et autres reclus [1961], Minu­it, 1979. Il y définit l’institution totale (asiles, pris­ons, etc.) comme « lieu de rési­dence et de tra­vail où un grand nom­bre d’individus, placés dans la même sit­u­a­tion, coupés du monde extérieur pour une péri­ode rel­a­tive­ment longue, mènent ensem­ble une vie recluse dont les modal­ités sont explicite­ment et minu­tieuse­ment réglées »

.

Les NAP nais­sent dans les pris­ons de la ren­con­tre entre les cen­taines de mil­i­tants de gauche inculpés et le vaste cir­cuit des détenus de droit com­mun qui se con­sacrent à des activ­ités extralé­gales. Ils provi­en­nent pour par­tie du mou­ve­ment des « Dan­nati del­la ter­ra » (d’après le livre de Frantz Fanon sur l’oppression des peu­ples du Tiers-monde

3 Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, Maspero, 1961, rééd. La Décou­verte, 2002

), que Lot­ta con­tin­ua avait épaulé au début des années 1970. Ils se situent aus­si dans la lignée de l’action d’un des plus célèbres détenus depuis les années 1960, Sante Notar­ni­co­la, un mil­i­tant du PCI turi­nois auteur avec d’autres de dizaines de braquages, tou­jours incar­céré aujourd’hui, et dont on peut lire l’histoire dans L’evasione impos­si­bile

4 Sante Notar­ni­co­la, La Révolte à per­pé­tu­ité [1972], éd. d’En Bas, 1977. Le nom de Notar­ni­co­la fig­u­rait sur la liste des 13 pris­on­niers dont les BR deman­dent la libéra­tion dans leur com­mu­niqué du 24 avril 1978, lors de l’enlèvement Moro. Placé en semi-lib­erté en 1995 après 27 années de prison, il a finale­ment été libéré en jan­vi­er 2000.

.

Les NAP con­stituent dans le paysage des organ­i­sa­tions clan­des­tines armées ital­i­ennes une vari­ante extrême­ment orig­i­nale, dif­fi­cile à situer selon des critères nets et uni­vo­ques.

Une des spé­ci­ficités des NAP tient à son ter­ri­toire d’origine, le Sud, et à son con­texte de classe: une réal­ité sociale et économique car­ac­térisée à l’époque (mais c’est en par­tie encore le cas) par une forte pro­duc­tion de com­porte­ments mar­gin­aux et extralé­gaux. Dans ce type de sit­u­a­tion, les dif­férences sont con­sid­érables en ter­mes de choix de vie et de formes de lutte, entre les « garan­tis » – les tra­vailleurs en poste qui ont sou­vent accédé à un emploi sta­ble par le clien­télisme poli­tique – et les « non-garan­tis » – les pro­lé­taires exclus du tis­su pro­duc­tif, con­traints de remet­tre chaque jour en jeu leur force de tra­vail en échange d’un revenu.

Ces couch­es pop­u­laires, qu’on les appelle « sous-pro­lé­tari­at », « class­es mar­ginales », « non-garan­tis » ou « pro­lé­tari­at informel », ne sont pas sim­ple­ment trib­u­taires de con­di­tions de survie qui les poussent en per­ma­nence aux fron­tières de la pègre (organ­isée ou non): le pas­sage par la prison fait pour eux fig­ure de par­cours obligé, d’élément régu­la­teur de leur exis­tence. C’est dans cette dynamique com­plexe, dans ces con­di­tions d’existence vio­lentes et con­traintes que nais­sent dans les pris­ons, au début des années 1970, au terme d’une longue réflex­ion poli­tique, les pre­miers col­lec­tifs de détenus de droit com­mun. Ce mou­ve­ment des « Damnés de la terre » est forte­ment mar­qué par les théories de Frantz Fanon, mais aus­si des frères Jack­son (les fameux Frères de Soledad).

C’est égale­ment l’époque où les Brigades rouges mènent l’essentiel de leur tra­vail de pro­pa­gande sur la « lutte armée » et l’inéluctable con­struc­tion du « par­ti clan­des­tin ». Le mou­ve­ment des détenus est forte­ment influ­encé par cet assem­blage com­plexe de cul­tures poli­tiques. Il décide de s’affirmer non seule­ment comme un fait poli­tique, mais aus­si comme une véri­ta­ble organ­i­sa­tion de lutte. C’est ain­si que nais­sent les NAP, de la néces­sité urgente d’apparaître et de lut­ter con­tre la société dans son ensem­ble – une société qui vous con­di­tionne en même temps qu’elle vous détru­it. Le noy­au his­torique du groupe est donc con­sti­tué au départ par les « extralé­gaux » les plus durs et les plus déter­minés, dans les pris­ons comme à l’extérieur. « Se rebeller ou mourir dans les pris­ons et dans les ghet­tos », écriront-ils dans un de leurs pre­miers tracts: cette ter­ri­ble alter­na­tive exis­ten­tielle exprime à elle seule toute la macéra­tion et la rage vécues par cha­cun d’entre eux, comme pro­lé­taire extralé­gal détenu, jusqu’à ce qu’elle se « réin­car­ne » dans le défi « stratégique » de la lutte armée.

Les NAP avaient repris des BR le con­cept de la lutte armée et de l’organisation clan­des­tine, mais ils ne se référaient pas aux grands mod­èles de la IIIe Inter­na­tionale typ­iques de la com­po­si­tion ouvrière de l’époque. Leur idée-force se résumait à la néces­sité absolue de « détru­ire la prison », juste­ment parce que la con­science poli­tique du pro­lé­tari­at « extralé­gal » ne pou­vait naître qu’à par­tir de la prison. Leur bref cycle de lutte se place donc sous le signe de l’audace sub­jec­tive, il met en débat les exi­gences de cha­cun d’entre eux et devient un mod­èle qui sus­cite une large vague de sym­pa­thie au sein du pro­lé­tari­at mérid­ion­al. Une his­toire rapi­de, trag­ique, riche de sig­ni­fi­ca­tions cachées, refoulées dans la con­science des démoc­rates. Le Sud pro­fond, inépuis­able réser­voir d’exploités et d’exploitation, ter­ri­toire de con­quête pour toutes les mafias poli­tiques, con­tin­uera à peser avec toutes ses his­toires occultées sur la con­science col­lec­tive des ital­iens. Aujourd’hui encore, après avoir éradiqué toute vel­léité de trans­for­ma­tion, ceux qui nous gou­ver­nent s’apprêtent une fois de plus à faire du pro­lé­tari­at mérid­ion­al un ter­rain d’expérimentation, un lab­o­ra­toire du con­sen­sus, afin de don­ner, sous cou­vert de la caté­gorie de « crime organ­isé », une légitim­ité aux lég­is­la­tions « d’urgence

5 La lutte con­tre la mafia servi­ra de pré­texte dès les années 1980 au main­tien et à l’extension des lég­is­la­tions d’urgence mis­es en place à la fin des années 1970 con­tre la « sub­ver­sion poli­tique ». Ce glisse­ment des out­ils juridiques vers ladite « lutte con­tre le crime organ­isé », en plus de con­firmer le rôle du « col­lab­o­ra­teur de jus­tice » (le repen­ti) et la restric­tion des droits de la défense, per­met de met­tre en place « des tech­niques d’avant-garde extrême­ment sophis­tiquées […] qui échap­pent aux divers pou­voirs et fil­tres de con­trôle inter­mé­di­aires », Pao­lo Per­sichet­ti, Oreste Scal­zone, « L’usine à “repen­tis”. Fab­ri­ca­tion d’un col­lab­o­ra­teur de jus­tice », La Révo­lu­tion et l’État, op. cit

».

Après les vio­lentes tur­bu­lences des années 1970 et en l’absence de toute réforme car­cérale, la prison est rede­v­enue le prin­ci­pal régu­la­teur des con­flits soci­aux. Le pro­lé­tari­at extralé­gal n’a plus le choix qu’entre d’une part la dom­i­na­tion des organ­i­sa­tions crim­inelles et la prison, et de l’autre l’humiliation par le marig­ot poli­tique local dont dépend sa survie. Mais en matière d’aliénation, l’extralégal ne peut pas faire de demi-mesure: soit il est révo­lu­tion­naire – de manière sub­jec­tive ou roman­tique – soit il n’est Rien.

Au cours de leur brève exis­tence, les NAP font l’objet d’une répres­sion déli­rante: meurtres de sang-froid, assas­si­nats prémédités, tor­tures, con­di­tions de déten­tion ter­ri­bles, destruc­tions psy­chiques et physiques. Après les événe­ments de Flo­rence, où les cara­biniers avaient ouvert le feu sur le groupe de Man­ti­ni sans som­ma­tion ni néces­sité appar­ente, Vital­iano Principe meurt à Naples, vic­time de son pro­pre engin explosif. Égale­ment blessé, Alfre­do Papale, le corps mutilé par l’explosion, subi­ra 14 heures d’interrogatoire mal­gré un œil crevé. En 1975, Gio­van­ni Taras mour­ra déchi­queté par une explo­sion alors qu’il pré­pare un atten­tat con­tre l’asile lager d’Aversa

6 Le 30 mai 1975, Gio­van­ni Taras, un ouvri­er milanais de 22 ans incar­céré à Aver­sa, meurt alors qu’il mon­tait sur le toit de l’hôpital pour y plac­er un engin explosif, muni d’une ban­de­role ren­dant hom­mage à Ser­gio Romeo. Il y avait alors 800 détenus à Aver­sa : inculpés en attente de juge­ment, « malade men­taux » ou pris­on­niers « indis­ci­plinés » mobil­isés con­tre la prison. Les hôpi­taux psy­chi­a­triques judi­ci­aires (OPG) ont été créés par la réforme péni­ten­ti­aire de 1975, qui définit dans le code pénal ital­ien un nou­veau type d’institution : l’hôpital-prison.

. Tou­jours en 1975, Anna Maria Man­ti­ni, la sœur de Luca, est tuée par la police, qui par­lera d’une « trag­ique erreur

7 Sur l’exécution d’Anna Maria Man­ti­ni, voir Ida Faré et Fran­ca Spir­i­to, Mara et les autres, Des femmes et la lutte armée, éd. Des femmes, 1982

». En juil­let 1976, 23 mil­i­tants des NAP sont déjà incar­cérés, beau­coup d’autres les rejoin­dront au cours des années suiv­antes. Par­mi eux, Alber­to Buon­con­to, ren­du fou par des con­di­tions de déten­tion extrême­ment dures, se sui­cidera après sa libéra­tion. Son père témoign­era en ces ter­mes du traite­ment réservé à son fils

8 Fran­ca Rame, Non par­lar­mi degli archi, par­la­mi delle tue galere, Edi­zioni F.R., 1984

:

« Je suis le père d’Alberto. Je ne veux ni ne peux exprimer ici des sen­ti­ments qui doivent rester per­son­nels. Je veux seule­ment dire ce qui offense ma sen­si­bil­ité d’homme et de citoyen, plus que de père.

Je veux seule­ment faire part des doutes et des angoiss­es qui chaque jour et pour tou­jours accom­pa­g­neront pour moi le sou­venir d’Alberto.

Alber­to était une per­son­ne pro­fondé­ment sen­si­ble, un homme sincère et loy­al.

Et aujourd’hui encore je me demande quelle a été la rai­son d’une telle cru­auté, d’un acharne­ment aus­si impi­toy­able à son égard, la rai­son des tor­tures qu’on lui a infligées après son arresta­tion, pen­dant et après sa longue incar­céra­tion, ce long cal­vaire qui jour après jour a détru­it Alber­to.

À ces ques­tions, per­son­ne ne peut répon­dre. Ce qui peut me don­ner, peut-être, un peu de récon­fort, c’est l’espérance que ce qui est arrivé à mon fils Alber­to (et qui mal­heureuse­ment arrive encore aujourd’hui à d’autres jeunes gens, au moins en par­tie) ne se repro­duise pas demain.

C’est pour cela que j’ai tenu moi aus­si à par­ticiper à ce livre, à ce recueil de témoignages sur l’histoire trag­ique d’Alberto.

Je ne sais si d’autres juges sauront un jour juger et peut-être con­damn­er ceux qui ont tué mon fils.

La veille de l’arrestation d’Alberto, en début d’après-midi, des cara­biniers et des agents en civ­il de la Digos9 La Digos (« Divi­sione inves­tigazioni gen­er­ali e oper­azioni spe­ciali ») est une police de « préven­tion de l’ordre pub­lic » créée en 1978 avec la réor­gan­i­sa­tion des ser­vices de Police. Elle est en charge de mis­sions de ren­seigne­ment, d’enquête et d’antiterrorisme. Les agents de la Digos sont répar­tis dans les dif­férentes pré­fec­tures, et dépen­dent de la « Direc­tion cen­trale de la police de préven­tion », qui a son siège à Rome depuis 1981 vien­nent perqui­si­tion­ner à notre domi­cile. Ils sont sept, ils dis­ent qu’ils sont de la police et qu’ils sont chez nous au motif de l’article 80 – con­duite sans per­mis. Ils fouil­lent dans nos affaires et s’emparent arbi­traire­ment de pho­tos où l’on aperçoit Alber­to au milieu d’un groupe d’amis. Ma femme proteste en dis­ant que l’article 80 n’autorise pas à saisir des pho­tos, que c’est un coup de force, qu’on est en droit d’exiger qu’ils nous les ren­dent. Mais à quoi bon?

Après une perqui­si­tion métic­uleuse mais sans résul­tat, ils me deman­dent de les accom­pa­g­n­er à la pré­fec­ture avec ma fille Pao­la. Ma femme reste à la mai­son.

Quand Pao­la, que les émo­tions ont épuisée, demande à pren­dre l’ascenseur, ils répon­dent de manière provo­ca­trice qu’en prison il n’y a pas d’ascenseur, insin­u­ant ain­si qu’elle aus­si est sous le coup d’une accu­sa­tion.

Ils nous lais­sent des heures dans une pièce, et de temps en temps un fonc­tion­naire vient me deman­der ce que je sais, moi, de mon fils. Pourquoi est-ce que je ne lui dis pas de revenir à la mai­son? Depuis com­bi­en de temps il n’est plus à Naples? Hyp­ocrite­ment, ils insis­tent pour que je leur par­le de mon fils. Ce sont des ques­tions piège, parce qu’Alberto est déjà entre leurs mains: ils sont en train de le frap­per et de le tor­tur­er. Mais moi, je ne le sais pas encore.

Et puis j’apprends par les avo­cats et par la presse qu’Alberto a été blessé. Les plaintes que nous avons déposées ont été classées parce que les auteurs n’ont pas été iden­ti­fiés. Pas iden­ti­fiés!!! Les tor­tures qu’il a subies lui ont été infligées dans une admin­is­tra­tion publique, il aurait été facile de remon­ter aux respon­s­ables, si on en avait eu seule­ment la volon­té.

C’est ce jour-là qu’a com­mencé notre dés­espoir à tous. Mon fils a payé de sa vie sa lutte con­tre l’inégalité et l’injustice. Un jour, mon fils, mon Alber­to, et tous les autres, présen­teront la “note” à tous les puis­sants qui, indif­férents, répri­ment, écrasent, assas­si­nent.

Et l’addition sera salée

10 Pour de plus amples développe­ments sur le par­cours et la mort d’Alberto Buon­con­to, voir Rober­to Sil­vi, La Mémoire et l’oubli, op. cit

. »

Liberare tutti (Pino Masi)

Il y a tant de cama­rades
dont nous sommes privés
parce que cette jus­tice
les préfère en prison

Mais ils sont aux côtés
d’autres pro­lé­taires
ceux qui passent leur vie
dans les péni­tenciers

Ils s’organisent
pour faire des pris­ons
une base de lutte
con­tre les patrons

Pour cela ils ont besoin
aus­si de notre appui
si nous lut­tons dehors
nous leur serons une aide

       Libér­er tout le monde
       cela veut dire lut­ter encore
       cela veut dire s’organiser
       sans per­dre une heure

Porcs patrons
vous vous êtes leur­rés
vos taules ne suff­isent pas
à nous tenir enfer­més

Mon­trons bien
à ceux qui nous exploitent
que pour un seul qui est dedans
mille autres lut­tent à l’extérieur

Nous sommes tous des délin­quants
mais seule­ment pour le patron
nous sommes tous des cama­rades
pour la révo­lu­tion

Et tous les réformistes
qui jouent aux déla­teurs
tout comme les patrons
on s’en débar­rassera

       Libér­er tout le monde…

dans ce chapitre« La clan­des­tinité, l’idéologie, l’organisationProb­lé­ma­tiques du mou­ve­ment ouvri­er des années 1970 »
  • 1
    Alessan­dro Silj, Mai più sen­za fucile, op. cit. Sur cet épisode et plus large­ment sur l’histoire des NAP, on lira en français le réc­it de Rober­to Sil­vi, La Mémoire et l’oubli, Col­i­brì, 2011
  • 2
    La notion d’« insti­tu­tion totale » ren­voie aux travaux d’Erving Goff­man, l’auteur d’Asiles. Études sur la con­di­tion sociale des malades men­taux et autres reclus [1961], Minu­it, 1979. Il y définit l’institution totale (asiles, pris­ons, etc.) comme « lieu de rési­dence et de tra­vail où un grand nom­bre d’individus, placés dans la même sit­u­a­tion, coupés du monde extérieur pour une péri­ode rel­a­tive­ment longue, mènent ensem­ble une vie recluse dont les modal­ités sont explicite­ment et minu­tieuse­ment réglées »
  • 3
    Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, Maspero, 1961, rééd. La Décou­verte, 2002
  • 4
    Sante Notar­ni­co­la, La Révolte à per­pé­tu­ité [1972], éd. d’En Bas, 1977. Le nom de Notar­ni­co­la fig­u­rait sur la liste des 13 pris­on­niers dont les BR deman­dent la libéra­tion dans leur com­mu­niqué du 24 avril 1978, lors de l’enlèvement Moro. Placé en semi-lib­erté en 1995 après 27 années de prison, il a finale­ment été libéré en jan­vi­er 2000.
  • 5
    La lutte con­tre la mafia servi­ra de pré­texte dès les années 1980 au main­tien et à l’extension des lég­is­la­tions d’urgence mis­es en place à la fin des années 1970 con­tre la « sub­ver­sion poli­tique ». Ce glisse­ment des out­ils juridiques vers ladite « lutte con­tre le crime organ­isé », en plus de con­firmer le rôle du « col­lab­o­ra­teur de jus­tice » (le repen­ti) et la restric­tion des droits de la défense, per­met de met­tre en place « des tech­niques d’avant-garde extrême­ment sophis­tiquées […] qui échap­pent aux divers pou­voirs et fil­tres de con­trôle inter­mé­di­aires », Pao­lo Per­sichet­ti, Oreste Scal­zone, « L’usine à “repen­tis”. Fab­ri­ca­tion d’un col­lab­o­ra­teur de jus­tice », La Révo­lu­tion et l’État, op. cit
  • 6
    Le 30 mai 1975, Gio­van­ni Taras, un ouvri­er milanais de 22 ans incar­céré à Aver­sa, meurt alors qu’il mon­tait sur le toit de l’hôpital pour y plac­er un engin explosif, muni d’une ban­de­role ren­dant hom­mage à Ser­gio Romeo. Il y avait alors 800 détenus à Aver­sa : inculpés en attente de juge­ment, « malade men­taux » ou pris­on­niers « indis­ci­plinés » mobil­isés con­tre la prison. Les hôpi­taux psy­chi­a­triques judi­ci­aires (OPG) ont été créés par la réforme péni­ten­ti­aire de 1975, qui définit dans le code pénal ital­ien un nou­veau type d’institution : l’hôpital-prison.
  • 7
    Sur l’exécution d’Anna Maria Man­ti­ni, voir Ida Faré et Fran­ca Spir­i­to, Mara et les autres, Des femmes et la lutte armée, éd. Des femmes, 1982
  • 8
    Fran­ca Rame, Non par­lar­mi degli archi, par­la­mi delle tue galere, Edi­zioni F.R., 1984
  • 9
    La Digos (« Divi­sione inves­tigazioni gen­er­ali e oper­azioni spe­ciali ») est une police de « préven­tion de l’ordre pub­lic » créée en 1978 avec la réor­gan­i­sa­tion des ser­vices de Police. Elle est en charge de mis­sions de ren­seigne­ment, d’enquête et d’antiterrorisme. Les agents de la Digos sont répar­tis dans les dif­férentes pré­fec­tures, et dépen­dent de la « Direc­tion cen­trale de la police de préven­tion », qui a son siège à Rome depuis 1981
  • 10
    Pour de plus amples développe­ments sur le par­cours et la mort d’Alberto Buon­con­to, voir Rober­to Sil­vi, La Mémoire et l’oubli, op. cit