Il1 Ce texte est extrait de « Sull’uso capitalistico delle macchine nel neocapitalismo », art. cit.. est évident qu’en validant pleinement les processus de rationalisation (considérés comme l’ensemble des techniques productives élaborées dans le champ du capitalisme), on oublie que c’est précisément le « despotisme » capitaliste qui prend la forme de la rationalité technologique. Dans l’usage capitaliste, ce ne sont pas seulement les machines qui sont incorporées au capital mais aussi les « méthodes », les techniques d’organisation, etc. Elles s’opposent aux ouvriers comme du capital, comme une « rationalité » extérieure. La « planification » capitaliste présuppose la planification du travail vivant2 « Le capital a une unique pulsion vitale : se valoriser, créer de la survaleur, pomper avec sa partie constante, les moyens de production, la plus grande masse possible de surtravail. Le capital est du travail mort, qui ne s’anime qu’en suçant tel un vampire du travail vivant, et qui est d’autant plus vivant qu’il en suce davantage. » Karl Marx, Le Capital, Livre I, chapitre VIII : « La journée de travail », PUF-Quadrige, 2009. Dans « Marx, force de travail, classe ouvrière », Mario Tronti soulignera : « Force de travail, travail vivant et ouvrier vivant sont des termes synonymes », Ouvriers et Capital, op. cit... Et plus elle s’efforce de se présenter comme un système de règles clos, parfaitement rationnel, plus elle est abstraite et partiale, prête à ne servir qu’une organisation de type hiérarchique. C’est le contrôle, et non la « rationalité », c’est le projet de pouvoir des producteurs associés
et non la planification technique, qui permettent d’établir un rapport adéquat avec les processus techniques et économiques dans leur ensemble.
En effet, si l’on considère d’un point de vue « technique », pseudo-scientifique, les nouveaux problèmes et les nouvelles contradictions qui surgissent dans l’entreprise capitaliste actuelle, il est possible de trouver aux nouveaux déséquilibres qui viennent à se former des solutions toujours plus « avancées » sans toucher à la substance de l’aliénation, en garantissant au contraire le maintien de l’équilibre du système. Les idéologies sociologiques et organisationnelles du capitalisme contemporain ont connu différentes phases, du taylorisme au fordisme, jusqu’au développement des techniques intégratives, human engineering, relations humaines, régulation des communications, etc. Elles visent précisément à mettre en adéquation de façon toujours plus complexe et raffinée la planification du travail vivant et les stades que les exigences de planification de la production ont progressivement atteints avec l’accroissement continu du capital constant. Il est évident que dans ce cadre, les techniques d’« information » tendent à prendre toujours davantage d’importance: elles sont destinées à neutraliser la contestation ouvrière qui résulte directement du caractère « total » des processus d’aliénation dans la grande usine rationalisée. Bien sûr, l’analyse concrète se trouve devant des situations très disparates, liées à une quantité non négligeable de facteurs particuliers (disparités dans le développement technologique, diversité des orientations subjectives de la direction capitaliste, etc.). Mais ce qu’il nous importe ici de souligner, ce sont les vastes, les indéfinissables marges de « concession » possible (ou mieux: de « stabilisation ») dont dispose le capitalisme lorsqu’il fait usage des techniques « d’information » pour manipuler les comportements ouvriers. Il est impossible de déterminer la limite au-delà de laquelle l’« information » portant sur les processus productifs globaux cesse d’être un facteur de stabilisation pour le pouvoir du capital. Ce qui est certain, c’est que les techniques d’information tendent à restituer, dans la situation plus complexe de l’entreprise capitaliste contemporaine, cet « attrait » (satisfaction) du travail dont parlait déjà Le Manifeste.
4 Panzieri pointe ici un phénomène qui n’avait pas été anticipé par Le Manifeste du Parti communiste, lequel affirme au contraire que « l’introduction des machines et la division du travail, dépouillant le travail de l’ouvrier de son caractère individuel, lui ont enlevé tout attrait. Le producteur devient un simple accessoire de la machine, on n’exige de lui que l’opération la plus simple, la plus monotone, la plus vite apprise », Karl Marx, Friedrich Engels, Le Manifeste du Parti communiste, GF, 1999.L’extension des techniques d’information et de leur champ d’application, l’extension de la sphère des décisions techniques cadrent parfaitement avec la « caricature » capitaliste de la régulation sociale de la production. Il convient donc de souligner que la « conscience de produire » n’opère en aucun cas le renversement du système, que la participation des travailleurs au « plan fonctionnel » du capitalisme, est en soi un facteur d’intégration, d’aliénation, pour ainsi dire, aux limites extrêmes du système. Il est néanmoins vrai que le développement des « facteurs de stabilisation » dans le néocapitalisme constitue une prémisse qui rend nécessaire, pour l’action ouvrière, le renversement total de l’ordre capitaliste. La lutte ouvrière se présente alors comme la nécessité d’une opposition globale au plan capitaliste, où le facteur essentiel est la conscience, disons même dialectique, de l’unité des deux moments « technique » et « despotique » de l’organisation actuelle de la production. L’action révolutionnaire doit « comprendre » la « rationalité » technologique, non pour la reconnaître et l’exalter, mais plutôt pour la soumettre à un nouvel usage: l’usage socialiste des machines.
- 1Ce texte est extrait de « Sull’uso capitalistico delle macchine nel neocapitalismo », art. cit..
- 2« Le capital a une unique pulsion vitale : se valoriser, créer de la survaleur, pomper avec sa partie constante, les moyens de production, la plus grande masse possible de surtravail. Le capital est du travail mort, qui ne s’anime qu’en suçant tel un vampire du travail vivant, et qui est d’autant plus vivant qu’il en suce davantage. » Karl Marx, Le Capital, Livre I, chapitre VIII : « La journée de travail », PUF-Quadrige, 2009. Dans « Marx, force de travail, classe ouvrière », Mario Tronti soulignera : « Force de travail, travail vivant et ouvrier vivant sont des termes synonymes », Ouvriers et Capital, op. cit..
- 3L’expression « producteurs associés » désigne chez Marx une société où le système des besoins et l’organisation du travail ne sont plus soumis au procès vital du capital. « Les producteurs associés – l’homme socialisé – règlent de manière rationnelle leurs échanges organiques avec la nature et les soumettent à leur contrôle commun au lieu d’être dominés par la puissance aveugle de ces échanges », Karl Marx, Le Capital, livre III, Éditions Sociales, 13 Agnès Heller consacre à cette notion un chapitre de son livre La Théorie des besoins chez Marx [1976], 10/18, 1978 .
- 4Panzieri pointe ici un phénomène qui n’avait pas été anticipé par Le Manifeste du Parti communiste, lequel affirme au contraire que « l’introduction des machines et la division du travail, dépouillant le travail de l’ouvrier de son caractère individuel, lui ont enlevé tout attrait. Le producteur devient un simple accessoire de la machine, on n’exige de lui que l’opération la plus simple, la plus monotone, la plus vite apprise », Karl Marx, Friedrich Engels, Le Manifeste du Parti communiste, GF, 1999.